Annals of Burns and Fire Disasters - vol. X - n. 1 - March 1997

LES BRULURES ELECTRIQUES - ETUDE RETROSPECTIVE ET ANALYTIQUE A PROPOS DE 588 CAS SUR UNE DECENNIE 1984-1993

Jowdar S., Kismoune H., Boudjemia F, Bacha D.
Service de Chirurgie Plastique et des Brûlés, Hôpital Universitaire Douera, Douera, Algérie


RESUME. Les brûlures constituent certement la plus habituelle des conséquences des accidents électriques. Il est difficile de connaître leur fréquence pour l'ensemble des accidents électriques, mails on estime que les brûlures sont observées dans plus de 80% des cas. Les différents aspects physiologiques de l'électricité et de ses conséquences sont passés en revue à propos d'une étude rétrospective et analytique concernant 588 cas sur la décennie 1984-1993. Du point de vue étiologique, ce sont surtout les accidents du travail qui dominent. Si ce sont les non professionnels de l'électricité qui fournissent le gros des malades, les professionnels de l'électricité ne sont pas indemnes, et la négligence, la méconnaissance de l'électricité, l'imprudence et les défauts de sécurité se retrouvent isolés ou associés. Au niveau des accidents domestiques, on retrouve surtout l'absence des nonnes de sécurité. L'enfant paie un lourd tribut à l'électricité. Les lésions sont souvent graves et profondes avec un taux de mortalité de 13,2%. Le taux de morbidité est impressionnant: plus de 60% des patients présentent des séquelles invalidantes témoignant de l'ampleur des dégâts. La thérapeutique est décevante, les interventions chirurgicales longues et itératives, aboutissant malheuresement à des amputations. Le meilleur traitement reste la prévention par l'instauration de mesures de sécurité draconiennes avec des campagnes d'information et une législation ferme et sévère.

Introduction

Les brûlures constituent très certainement la plus habituelle des conséquences des accidents électriques. Il est difficile de connaître leur fréquence pour l'ensemble des accidents électriques, cependant on estime que les brûlures sont observées dans plus de 80% des électrisations.

Casuistique

Fréquence
Sur une période de 10 ans (1984-1993), 97.335 brûlures toute gravité confondue ont été traitées dans le service. 4.398 patients atteints de brûlures graves ont été hospitalisés, dont 588 avec des brûlures électriques, soit 13% des hospitalisations pour brûlures graves.
On note une augmentation de fréquence d'année en année. Il ne semble pas que cela soit un biais de recrutement. L'augmentation est due certainement à l'utilisation de plus en plus large de l'électricité.

Age - sexe (Tableau I)
La population des accidentés est une population presqu'exclusivement active, jeune, et de sexe masculin. Le service recrutant exclusivement des adultes, le nombre d'enfants électrisés serait faible. Il faut souligner que l'enfant de moins de cinq ans paie un lourd tribut à l'électricité.

Age (ans) Hommes Femmes Total
0-10 6 0 6
11-20 103 7 110
21-30 225 6 231
31-40 183 7 190
41-50 41 2 43
51 et+ 7 1 8
Total 565 23 588

Tableau I - Distribution des accidents par âge et sexe

Type d'accident (Tableau II)
L'erreure humaine, la méconnaissance du courant électrique, l'imprudence sont retrouvées dans l'accident électrique.

Accidents domestiques 141
Accidents professionnels 428
Jeux (escalade pylônes) 13
Lésions iatrogènes (bistouri électrique) 6
Total 588

Tableau II - Distribution des accidents par causes

Dans notre série il s'agit surtout d'accidents professionnels (428). Il faut noter que près des 2/3 des blessés ne sont pas des électriciens (Tableau III). Ce sont surtout des ouvriers du bâtiment, des manoeuvres ou des agriculteurs qui touchent malencontreusement un conducteur électrique. Au niveau des électriciens, le défaut de sécurité est retrouvé principalement (défaut de port de gants, de souliers isolants).

Professionnels électricité
Techniciens
Electrotechniciens

142

Non professionnels électricité
Manoeuvres
Agriculteurs
Autres

286

Total

428

Tableau III - Distribution des accidents professionnels

En ce qui concerne les accidents domestiques, ce sont surtout les femmes et les enfants qui sont atteints (défaut d'isolation des appareils électroménagers et des prises de courant, et multiplication des prolongateurs dans les intérieurs, véritables pièges pour les jeunes enfants qui en explorant leur environnement les portent à la bouche et sont atteints gravement à la main et aux lèvres).
Nous avons relevé dans notre série 13 accidents électriques graves où des adolescents inconscients ont grimpé sur des pylônes portant des lignes à haute tension ou ont touché des fils tombés à terre.
Par ailleurs, six lésions iatrogènes dues à des bistouris électriques défectueux ont été traitées dans le service.

Fig. 1 - Brulure eletrique profonde d'un enfant Fig. 2 - Brulure eletrique des doigts
Fig. 1 - Brulure eletrique profonde d'un enfant Fig. 2 - Brulure eletrique des doigts

Caractéristiques physiques de l'électricité

L'électricité naturelle est représentée par des poissons pouvant délivrer entre 50 et 100 v et la foudre pouvant délivrer jusqu'à 300.000 v. L'électricité industrielle dispense soit du courant alternatif, le plus utilisé, soit du courant continu, délivré par des accumulateurs.
Il existe en général des courants:

  • de basse tension délivrant entre 220 et 380 v, appelés courants domestiques (220-240 v)
  • de moyenne tension, entre 1 et 30 kv
  • de haute tension, à partir de 30 kv

Il faut signaler que les accumulateurs, batteries et piles diverses deviennent de plus en plus petits et de plus en plus puissants, donc de plus en plus dangereux.
L'électricité médicale, par l'usage généralisé du bistouri électrique, S'étend à plusieurs domaines: électrothérapie, électro-choc, défibrillateur, acupunture. Ceci entraîne un risque de lésions iatrogènes non négligeable.

Fig. 3 - Brulure eletrique des orteils Fig. 4 - Brulure eletrique de la base du 4e doigt due à l'alliance
Fig. 3 - Brulure eletrique des orteils Fig. 4 - Brulure eletrique de la base du 4e doigt due à l'alliance
Fig. 5 - Brulure eletrique du coude, du poignet et de la main: lésions d'agrippement Fig. 6 - Brulure eletrique des organes genitaux externes
Fig. 5 - Brulure eletrique du coude, du poignet et de la main: lésions d'agrippement Fig. 6 - Brulure eletrique des organes genitaux externes

Définitions médicales

Souvent professionnels, les accidents électriques donnent lieu à réparation nécessitant des rapports d'expertise.
Dans la terminologie française, on distingue:

  • électrisation: englobe toutes les manifestations physiologiques et physiopathologiques dues au passage du courant à travers le corps humain lors d'un contact sous tension - victimes survivantes ou décédées secondairement
  • électrocution: mort immédiate lors du passage du courant électrique
  • foudroiement: électro-traumatisme mortel du à la foudre

Aspects physiques et physiologiques de l'électricité
Les constantes d'électricité

Cinq constantes sont à prendre en compte pour comprendre comment une lésion peut être engendrée par le courant électrique:

  1. une source d'énergie électrique (voltage) U exprimée en volts
  2. ne intensité de courant électrique (ampérage) 1 exprimée en ampères
  3. une résistance R qui transmet mal le courant exprimée en ohms
  4. un temps de contact T exprimé en secondes
  5. une quanthé de chaleur produite J exprimée en joules

La quantité de chaleur produite par le passage du courant électrique est donnée par la loi de Joule:

J  =

U2
--------

T

R

Voici quelques valeurs tissulaires de résistance au courant électrique:

tissus inertes poumons foie : 500 ohms
poumons : 4.000 ohms
foie : 900 ohms
cartilage : 50.000 ohms
muqueuses : 800 ohms
peau : 1.000 à 100.000 ohms

Sur le sol cimenté, avec des chaussures sèches, la résistance du corps humain au courant électrique est d'environ 5.000 ohms.

Comme s'électrise-t-on?

Il existe cinq façons de s'électriser: Contact bipolaire

  1. contact avec une partie active sous tension et contact avec une autre partie active sous tension (fréquent et particulièrement dangereux)

  2. contact avec une partie active sous tension et contact avec une masse mise accidentellement sous tension (rare)

  3. contact avec une masse mise accidentellement sous tension avec une autre masse mise accidentellement sous tension (très rare)

Contact unipolaire

  1. contact avec une partie active sous tension et la terre (très fréquent)
  1. contact avec une masse mise accidentellement sous tension et la terre (très fréquent)

Une masse présente au contact les mêmes risques qu'un' conducteur (ou une pièce conductrice) nu sous tension, pour peu qu'il existe simultanément ces deux conditions:

  • la masse des appareils n'est pas reliée à la terre
  • elle est mise accidentellement sous tension.

La terre peut être soit une masse reliée à la terre, soit un élément conducteur susceptible de propager un potentiel, tel que: éléments métalliques ou en béton armé utilisé dans la construction des bâtiments, charpente, armature, panneau, menuiserie métallique ou canalisation métallique de gaz, eau, chauffage, et tout appareil non électrique relié à la canalisation, si cette liaison constitue une liaison électrique (radiateur, cuisinière, évier métallique, et parfois le sol lui-même et parois non isolants). Par liaison électrique, on entend une liaison présentant une conductibilité électrique.

Cas particuliers

L'arc électrique
C'est un phénomène particulier, dans certaines circonstances, lorsque le voltage est très important: on considère alors qu'il peut y avoir atteinte sans contact direct avec la source de courant par phénomène "d'arc". La distance du "saut" électrique est de 2 à 3 cm pour 10.000 v.
Ce courant émis à distance crée de véritables lésions cutanées et musculaires. On a calculé que la chaleur produite varie entre 2.000 et 20.000 'C.

La foudre
La foudre est une décharge électrique atmosphérique responsable du foudroiement. Ce type d'accident est rare et peu connu. Dans le cas le plus fréquent, celui du "coup de foudre descendant négatif', l'éclair résulte de la jonction entre un traceur descendant négatif (né d'un volumineux nuage orageux) et d'une prédécharge ascendante positive (née d'une aspérité au sol telle un arbre ou une personne). Appelé aussi arc en retour, il atteint en quelques secondes un pie de 25.000 ampères en moyenne qui décroît rapidement vers un courant persistant de 100 ampères.
En cas de foudroiement d'une personne, la tension aux bornes du corps atteint 300.000 v; la résistance du corps ne dépassant guère 300 ohms, c'est une électrisation ou une électrocution brève, sans qu'il y ait de brûlures profondes.
Un foudroiement peut se produire selon quatre principaux mécanismes, pouvant s'associer entre eux:

  1. le coup de foudre direct, le plus dangereux, le courant entrant par l'extrémité céphalique et sortant par le sol
  2. l'éclair latéral, ayant atteint une personne après avoir traversé un arbre ou une autre personne, explique la propagation de la foudre de proche en proche
  3. la tension de pas: la foudre ayant atteint le sol pénètre le sujet par les pieds et le courant s'écoule dans la partie inférieure du corps; la tension de pas est particulièrement dangereuse pour les quadrupèdes
  4. la tension du toucher: elle se produit quand le sujet touche un arbre foudroyé, ou une canalisation d'une habitation non protégée contre la foudre

Du point de vue clinique, ce sont les manifestations cardiaques qui dominent et qui expliquent la fréquence des décès. Viennent ensuite les manifestations neurologiques à type de paralysie (kerauno-paralysie), les manifestations psychiques à type de syndrome de stress post-traumatique, les manifestations sensorielles oculaires et auditives (50% de perforations tympaniques), les manifestations cutanées, et les brûlures profondes et peu étendues aux points d'entrée et de sortie du courant. Les lésions par effet de souffle ou blast sont dues à la propagation de l'onde de choc responsable de lésions internes barotraumatiques souvent mortelles.
Le traitement quand il est possible en urgence se résume à une ressuscitation des fonctions vitales. Une fois hors de danger, la surveillance sera de règle car les séquelles cardiaques, neurologiques, neuropsychiques et sensorielles peuvent apparaître tardivement, même une année après parfois, rendant l'étiologie difficile à determiner. L'indemnisation, si l'accident s'est produit sur le lieu du travail, est difficile à évaluer.

Aspects physiopathologiques

Les conséquences physiologiques d'une électrisation sont multiples. Certaines résultent de phénomènes d'inhibition ou de stimulation (accidents neurologiques, fibrillation ventriculaire, tétanisation musculaire): c'est le choc électrique et ses conséquences. On doit les distinguer des effets liés à la libération d'énergie thermique.

Conséquences d'un choc élec trique

Elles seraient éventuellement prévisibles si l'on pouvait connaître la fréquence du courant, sa durée de passage et son intensité. La fréquence est généralement connue: elle joue un rôle important dans la dépolarisation cellulaire. Le courant alternatif expose à la fibrillation ventriculaire pour des intensités quatre fois plus faibles que les courants continus. La durée de passage du courant est variable d'un accident à un autre, et le temps de contact peut être prolongé par une réaction d'agrippement au conducteur ou par perte de connaissance immédiate. L'intensité varie aussi. Elle dépend de la tension du courant et des résistances qui lui sont offertes. La tension est le plus souvent connue mais les résistances peuvent varier dans un rapport de un à cent.
Des résistances placées en série (vêtements, sol) s'ajoutent à la résistance corporelle. Cette dernière varie considérablement en fonction du trajet emprunté par le courant, mais aussi en fonction de facteurs physiques, physiologiques et même psychologiques.
Deux cas particuliers méritent d'être soulignés. Ueau abaisse les résistances, et l'intensité délivrée est alors élevée. Ceci rend compte de la gravité des accidents qui surviennent en milieu humide. Inversement, l'augmentation brutale des résistances par carbonisation des tissus lors d'une électrisation à haut voltage abaisse l'intensité. Ceci pourrait expliquer que, dans tels cas, le risque de fibrillation ventriculaire ne soit pas plus grand que pour des tensions plus faibles.

Effets thermiques de l'électricité

Ils sont exprimés par la relation

Q =

U2
_______

T


R

où Q est la quantité de chaleur libérée exprimée en joules. Les résistances, le voltage et le temps de contact sont impliqués.
Cette expression fait apparaître le rôle capital du voltage dans la genèse des brûlures. Pour qu'elles se produisent à basse tension, il faut que le temps de contact soit prolongé, que les résistances soient abaissées, ou que l'énergie thermique soit libérée dans un peti' volume tissulaire (contacts bipolaires rapprochés au niveau de la bouche et de la main chez
Si la fréquence et la tension sont le plus souvent connues, il est par contre difficile d'évaluer les autres paramètres. Les variations imprévisibles du temps de contact et des résistances expliquent sans doute la disparité des conséquences pour des électrisations comparables.

Les brûlures électriques.- les différents types, Il On distingue en général trois types de brûlures électriques:

  1. les brûlures par flash électrique: elles sont dues à la flamme engendrée par un arc électrique; elles ont la même sémiologie et relèvent du même traitement que les brûlures thermiques
  2. les brûlures mixtes: associant les lésions dues au passage du courant dans le corps et les brûlures engendrées par la flamme de l'arc électrique, elles sont gravissimesles
  3. brûlures électriques vraies.

Le dégagement de chaleur par effet joule se produit en profondeur au niveau des masses musculaires et des axes vasculonerveux. La résistance électrique de ces tissus est faible, et l'intensité délivrée localement est importante. Ce sont des brûlures profondes, le plus souvent indolores car les terminaisons sensitives sont détruites. Elles réalisent un tableau voisin de celui du crush syndrome. Dans les premières heures, elles entraînent une fuite plasmatique, un état de choc, et surtout un oedème sous-aponévrotique qui peut être compressif. Il résulte et se constitue un syndrome des loges et une rhabdomyolyse, avec libération de myoglobine dans la circulation sanguigne. Une insuffisance rénale aiguë peut apparaitre avec un risque majeur d'hyperkaliémie.
Dans les jours suivants, les lésions évoluent vers la nécrose. La surinfection par des germes anaérobies est possible avec des extensions de la nécrose. S'y ajoutent des phénomènes vasculaires, hémorragie et thrombose.
Tout ceci pose aux chirurgiens de gros problèmes pour déterminer le moment et l'étendue des résections nécessaires. De toute façon, ces brûlures sont délabrantes et longues à cicatriser.

Les conséquences neurologiques du choc électrique

Le choc électrique a des effets directs sur le système nerveux. Les mécanismes sont multiples et intrinsèques. Ils réalisent des altérations cellulaires avec ou sans effet électrothermique, sécrétions anarchiques de neuromédiateurs, modification de la circulation cérébrale, et oedème cérébral.
L'électrisation entraîne des troubles de la conscience, troubles neurovégétatifs, avec arrêt respiratoire plus ou moins retardé. Des troubles à type de crise convulsive ou de syndrome déficitaire peuvent s'observer. Du point de vue périphérique, des tétanisations musculaires peuvent se produire:

• si la tétanisation porte sur les extenseurs elle projette violemment la victime en arrière, avec chute et lésions traumatiques

• si la tétanisation porte sur les fléchisseurs, il y a agrippernent au conducteur avec augmentation du temps de contact et aggravation des lésions

• pour des intensités supérieurees à 10 mA, et si le trajet passe par la cage thoracique, la tétanisation du diaphragme est possible et provoque un blocage respiratoire

Des séquelles s'observent fréquemment, à type d'atrophie corticale. Un syndrome extrapyramidal peut se constituer longtemps après l'accident. Une cataracte, une surdité, des lésions médullaires et des atteintes nerveuses périphériques ont été également décrites.

Aspects anatomopathologiques

Par opposition aux brûlures thermiques, dont les lésions sont étendues en surface, dans les brûlures électriques l'importance des lésions profondes contraste avec les dimensions de l'atteinte cutanée (point de pénétration du courant).
D'un blanc nacré, dans les heures qui suivent l'accident la peau se nécrose pour devenir noire les jours suivants. Sa détersion spontanée ou chirurgicale (nécrectomie) laisse apparaître l'atteinte en profondeur des muscles, tendons, vaisseaux et nerfs.
L'aspect de ces brûlures est très variable. La lésion minimale est celle que Jellinek avait décrite sous le nom de marque électrique. Il s'agit d'une très petite lésion arrondie ou elliptique jaunâtre ou grisâtre, au centre légèrement déprimé et qui semble incrustée dans la peau saine alentour.
Ces marques électriques sont intéressantes à connaître car leur constatation peut permettre de rapporter à un accident électrique un état de mort apparente ou un décès dont la cause n'apparaît pas a priori.
A un degré de plus, la brûlure est une lésion arrondie ou ovalaire, volontiers cratériforme, qui apparaît au niveau du point de contact avec le conducteur sous tension et parfois avec ce que l'on appelle le point de sortie (ce qui n'a guère de sens pour un courant alternatif qui représente en fait un deuxième point de contact avec un autre conducteur ou la masse).
Les lésions dues au courant électrique sont habituellement plus étendues que ne le laisse supposer l'examen superficiel initial, et il est fréquent que s'associent aux lésions constatées au point de contact des brûlures profondes tout le long du trajet du courant, en particulier au niveau des zones rétrécies, donc plus résistantes, que constituent les membres, particulierèment le poignet et la main.
La main représente le plus souvent le point d'entrée du courant. Cela a été retrouvé 283 fois dans notre série (Tableau IV). Le point de sortie se fait par le pied en général (196 fois dans notre étude), où les lésions sont beaucoup plus profondes et étendues.
Il est a signaler la gravité particulière des localisations céphaliques et périnéales.
L'atteinte cutanée (Tableau V) est dominée par les lésions profondes (542 cas). Par contre les lésions cutanées sont peu étendues puisque dans 442 cas elles étaient inférieures à 20% de surface atteinte dans notre étude.
Les atteintes musculaires et tendineuses: les muscles, tissus riches en eau, peuvent être lésés lors des décharges électriques qui déterminent des nécroses et des hémorragies, l'effet calorique étant responsable de la coagulation du cytoplasme. Aussi l'aspect évolutif de ces lésions s'ex-plique par l'association de destruction des fibres musculaires contemporaine de l'accident ainsi que des lésions secondaires par les modifications physico-chimiques des cellules qui ne sont évidentes que plusieurs jours après l'accident. Uoedème observé, vite important, agit dans le sens d'une aggravation des lésions musculaires imposant des incisions de décharge musculo-aponévrotiques précoces et profondes. Ces faits nous ont poussés à retarder l'heure du traitement réparateur jusqu'à la stabilisation des lésions, du moins lorsque seul le muscle est atteint; par contre, la mise à nu des structures fragiles (tendons, vaisseaux, nerfs) doit indiquer une couverture précoce. L'atteinte tendineuse peut être primitive ou secondaire à l'infection cutanée sous-jacente (infection des tendons fléchisseurs de la main au poignet par nécrose du carré pronateur). Dans ce cas, l'excision précoce suivie de la couverture par lambeau est de règle.

Lésions cutanées
superficielles

46

profondes

542

Etendue des bralures
inférieure à 20%

442

supérieure à 20%

146

Atteintes musculaires tendineuses

335

Atteintes vasculaires

483

Lésions associées
pertes de connaissance

79

fractures

35

troubles visuels

28

Tableau V - Anatomie pathologique des lésions

Tableau V - Anatomie pathologique des lésions

Les atteintes vasculaires, retrouvées 483 fois dans notre série, sont particulièrement graves, imposant de larges nécrectomies voire des amputations. Cette atteinte serait due, selon le travail désormais classique de Martin, Convert et Dechaume,' à une désintégration de la mésartère au maximum du niveau de la limitante élastique et à un degré moindre une atteinte de l'endartère. Pour Michon,' il s'agirait d'une thrombose pure dans les artères et les veines sans lésion pariétale.
Les lesions associées sont caractérisées par les traumatismes dus aux chutes (fractures, membres, rachis, crâne). On note aussi des pertes de connaissance plus ou moins prolongées et des troubles visuels dominés par les cataractes.

Aspects thérapeutiques

Le traitement médical

Tout sujet victime d'un choc électrique même apparemment bénin doit bénéficier dès que possible d'un examen médical et d'un électrocardiogramme. Si des troubles de conscience transitoires sont observés, même si l'aspect est rassurant, l'hospitalisation est nécessaire. Elle est obligatoire dans tous les cas s'il s'agit d'un accident à haute tension. Si un témoin est présent, il doit provoquer la coupure du courant et entreprendre sans délai, en cas de besoin, une ventilation artificielle et un massage cardiaque externe.

  • Sur le lieu de l'accident quatre situations sont possibles:

  1. l'accident est bénin, ressenti comme une simple secousse sans aucune complication

  2. l'accident est préoccupant: la victime a presenté transitoirement des troubles de la conscience. Elle doit rester allongée et être accompagnée à l'hôpital par une équipe médicalisée, où elle justifiera d'une attention particulière d'au moins 24 heures

  3. l'accident est grave: après son dégagement, l'électrisé reste inconscient, le rythme respiratoire est irrégulier, la ventilation est insuffisante, les téguments sont cyanosés, le pouls est rapide, et la tension artérielle instable. Le blessé doit être placé en position de sécurité avec ventilation assistée si nécessaire, les soins étant complétés par l'equipe de secours médicalisés et poursuivis à l'hôpital

  4. état de mort apparente: avec disparition des pouls fémoraux et carotidiens, dès dégagement, réanimation intensive jusqu'à l'arrivée de secours médicalisés même si la situation semble désespérée. Le blessé devra être, transporté, intubé et ventilé, et une défibrillation cardiaque doit être tentée immédiatement si nécessaire. Les soins complémentaires seront prodigués en réanimation cardiorespiratoire

Pour les accidents à haute tension, les accidents graves précédemment décrits se rencontrent également. Mais dans la plupart des cas existent aussi des brûlures parfois associées à des traumatismes. La mobilisation et le transport de ces blessés doivent être réalisés avec les précautions d'usage.

  • En milieu hospitalier

En milieu hospitalier on pratiquera le traitement médical, surtout symptomatique, entrepris sur les lieux de laccident et poursuivi dans les unités de réanimation. Il est prudent de surveiller pendant quelques jours l'électrocardiogramme, le taux d'enzymes musculaires et cardiaques dans le sang, la présence de myoglobine dans le sang et les urines, l'alcalinité des urines, et l'état de la fonction rénale. L'antibioprophylaxie et la sérothérapie antitétanique sont obligatoires en cas de brûlures électriques. La réanimation spécifique du brûlé se fera en fonction du pourcentage de surface cutanée atteinte. Pour les brûlures électriques, il faudra surveiller particulièrement la fonction rénale. Uapport précoce d'une ration calorico-azotée est nécessaire en fonction des besoins: elle sera administrée par voie veineuse, puis par voie entèrale.

Le traitement chirurgical

  • Les incisions de décharge

En urgence, le traitement est dominé par la nécéssité de pratiquer des incisions de décharge musculo-aponévrotiques pour soulager un segment de membre menacé par l'ischémie induite par l'oedème faisant garrot interne. Ces incisions doivent être larges, situées sur les faces antérieures et postérieures au niveau des avant-bras, prenant en général deux articulations. Elles doivent être réalisées en urgence, sans anesthésie, en salle de soins, et il faut arrêter l'incision en territoire cutanée sain où la tension oedémateuse cesse.

  • Les nécrectomies

Des nécrectomies larges emportant peau et muscles nécrosés sont impératives en cas de risque vital et choc persistant lors du crush syndrome. En géneral, la séparation des tissus séquestrés des tissus vivants se fait entre la fin de la première semaine et celle de la deuxième semaine. Ces résections souvent itératives permettent de faire la part de la myonécrose des lésions oedémateuses et inflammatoires d'accompagnement.
L'attitude chirurgicale est guidée par le souci de prévenir l'extension des lésions, de diminuer le risque de surinfection, et de limiter les conséquences générales et fonctionnelles de la myonécrose.
Le choix du moment et l'étendue des résections peut être facilité par des examinens complémentaires.
L'artériographie et le Doppler montrent les thromboses et les ruptures vasculaires, mais elle ne renseignent pas fidèlement sur l'état de la circulation musculaire. Les examens isotopiques (Xénon 133 et pyrophosphate de Technétium 99) permettraient une cartographie musculaire plus précise. Des biopsies peropératoires ou l'injection de colorants permettraient de distinguer les tissus vascularises, mais en pratique courante cela n'est pas toujours possible. Par ailleurs, ces examens sont décevants car non prédictifs: à chaque fois qu'ils sont probants, la clinique l'est déjà.
Aussi, l'inspection minutieuse des lésions lors de la révision des pansements sous anesthésie générale reste un geste capital.
Des nécrectomies itératives seront effectuées à la demande jusqu'à l'éradication complète des foyers tissulaires dévitalisés.
Les amputations ont été nombreuses dans notre série (85 cas). Le souci majeur a été d'être conservateur afin de perrnettre un appareillage moins invalidant. Ces gestes ne sont pas classiques: le plus souvent on pratique une résection entre le mort et le vivant, confectionnant dans un second temps opératoire un moignon appareillable.
Des autoplasties (lambeau inguinal de MaeGregor) ont été pratiquées en urgence pour recouvrir et protéger des structures nobles (tendons, nerfs et vaisseaux) au niveau des poignets dénudés.
Le recouvrement des pertes de substance cutanée s'est effectué par des greffes dermo-épidermiques pour 510 patients.
Une fois les lésions stabilisées au bout de quelques mois, des transferts tendineux ont été effectués dans le but d'une réhabilitation fonctionnelle. Le traitement est complété par des séances de rééducation fonctionnelle. L'appareillage termine la restauration fonctionnelle.

Les complications et les séquelles

Les complications sont dominées par les phénomènes infectieux liés à la profondeur des brûlures et des insuffisances rénales aiguës dues au crush syndrome.
Dans notre série, 78 décès ont été déplorés, dont 62 liés à des brûlures mixtes détruisant plus de 50% de surface cutanée. Les seize autres sont dus à des insuffisances rénales irréversibles et des toxémies liées au crush syndrome.
Les séquelles sont dominéees par l'handicap de la perte d'un membre ou d'un segment de nombre lié aux amputations ou aux raideurs articulaires (124 séquelles majeures dans notre étude).
Les autres séquelles fonctionnelles mineures et esthétiques, retrouvées 381 fois dans notre série, sont représentées par des cicatrices invalidantes et inesthétiques siégeant surtout aux mains et des troubles trophiques au niveau des membres inférieurs.
Les sequelles tardives sont en général de trois ordres: cardiovasculaires, neuropsychiatriques, et sensorielles. Souvent elles sont difficilement rattachées à l'électrisation.
Dans notre étude, quinze lésions cardiovasculaires ont été retrouvées, à type de troubles du rythme. Les manifestations neuropsychiatriques (49 fois dans notre série) se sont révélées par des accès d'agitation et de syndrome post-commotionnel, de l'installation d'un fond d'anxiété, et de l'apparition de troubles de la mémoire. Par ailleurs, on note chez la plupart de nos patients une peur panique de l'électricité persistante pendant plusieurs années. Les troubles sensoriels (25 de nos patients) se sont révélés par des cataractes qu'il est difficile de faire relier à l'accident électrique auprès des organismes d'assurance et de sécurité sociale, cette séquelle apparaissant tardivement, deux à trois ans après l'accident.

L'impact socio-professionnell

La durée moyenne d'hospitalisation est longue, deux moins en moyenne, et les arrêts de travail sont importants entre 4 et 18 mois.
Les incapacités de travail sont liées aux séquelles de brûlures, neurologiques, cardiovasculaires, psychiques et traumatiques. Elles ont été attribuées chez plus de la moitié de nos patients avec une moyenne de 40% d'invalidité physique permanente.
Parmi les électriciens professionnels, 135 ont dû subir une reconversion professionnelle.

Conclusion - prévention

Quand on considère la multitude des utilisateurs de l'électricité dans leur activité domestique, professionnelle et de loisir, il semble à première vue que les accidents électriques soient peu fréquents.
Cependant, toute électrisation comporte un risque de mort immédiate ou retardée ou de séquelles graves. C'est pourquoi il faut être vigilant et la prévention est fondamentale.
Elle repose sur le respect et l'amélioration des normes de fabrication, d'installation et d'utilisation de systèmes de protection. Elle se base sur l'éducation du plus grand nombre concernant le risque électrique et sur l'apprentissage des gestes élémentaires de survie.
Cette éducation devrait être réellement développée dans les écoles et dans l~s familles. Le rôle des pouvoirs publics et des mass-média est ici capital.

 

SUMMARY. Burns are the commonest consequences of electrical accidents. It is difficult to establish the overall frequency of burns in such accidents, but it is estimated that they occur in more than 80% of cases. This retrospective analytical study of 588 cases between 1984 and 1993 presents the various physiological aspects of electrical accidents and their consequences. The majority of the accidents occurred at work. Most cases did not involve professional electricians, but even they were sometimes burned as a result of carelessness, misunderstanding of technical aspects, and safety defects. Domestic accidents occurred because of a lack of safety standards, with children paying a heavy price. The lesions were very often serious and deep, with a high mortality rate of 13.2%, and over 60% of the patients suffering various disabling sequelae. Therapeutic methods were disappointing and surgical operations long and repeated, often leading to amputation. The best treatment remains prevention through the application of draconian safety standards, together with information campaigns and severe, firm legislation.


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This paper was presented at the
Ninth Meeting of the MBC in Tunis in May 1996.

Address correspondence to: Dr S. Joucard
Service de Chirurgie Plastique et des Brûlés
Hôpital Universitaire Douera
Douera 42455, Algeria.




 

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