Annals of Burns and Fire Disasters - vol. X - n. 1 - March 1997

RISQUE CHIMIQUE EN MILIEU SOUTERRAIN

Viala B.

Direction de la Sécurité Civile, Ministère de l'Interieur, Paris, France


RESUME. L'Auteur considère tous les aspects du risque chimique en milieu souterrain - tunnel routier ou ferroviaire, métro ou galerie marchande. Certaines contraintes de ce milieu sont identiques, comme l'accessibilité, la visibilité, l'acoustique, et le problème psychologique. Les risques potentiels sont l'incendie et l'attentat par gaz toxique. Après avoir discuté les paramètres à prendre en compte dans une stratégi * e particulière pour affronter ces situations de risque, l'Auteur indique les modalités du sauvetage des victimes en soulignant l'importance de la mise en oeuvre d'un plan de secours spécifique préétabli.

Introduction

Le risque en milieu souterrain sera variable en fonction du type d'installation. En effet, le monde souterrain peut être representé par des tunnels routiers ou ferroviaires, par le métro, par des galeries commerçantes souterraines. Les populations et les risques seront donc différents ainsi que la façon d'envisager le secours. Dans un tunnel routier ou ferroviaire, le risque sera représenté par le transport des matières dangereuses en même temps que la cohabitation avec des passagers. Dans un métro ou en galerie marchande, le risque majeur sera soit l'incendie, soit l'attentat par gaz toxique, et concernera donc essentiellement un grand rassemblement de foule. Cependant, certaines contraintes de ce milieu seront identiques, à savoir:

  1. l'accessibilité
  2. la visibilité
  3. l'acoustique
  4. le problème psychologique

Dans un tunnel routier, l'accessibilité peut être envisagée par des véhicules de secours, à condition qu'une voie d'urgence soit dégagée, alors que dans un tunnel ferroviaire, un métro, ou une galerie souterraine seule la pénétration à pied sera possible (Tableau 1).

Dans tous les cas, d'incendie en particulier, la visibilité sera diminuée par les fumées et par les poussières, de même que l'obscurité, et représentera une gêne considérable pour les secours (Tableau II). Les bruits ambiants, les bruits de ventilation, les cris de panique, entraîneront des difficultés de communication qui contribueront à augmenter le stress des victimes potentielles et des secours (Tableau III). La partie psychique sera à prendre en compte; en particulier la claustrophobie, l'absence de repère, majoreront l'angoisse de tous et contribueront a créer un climat de panique (Tableau IV).

Risques potentiels

Les risques potentiels susceptibles d'être trouvés dans ce milieu

Les incendies du métro de Bakou et de Londres et l'attentat récent du métro de Tokyo mettent en évidence deux risques majeurs:

  1. l'incendie d'une part

  2. et l'attentat par gaz toxique (gas toxique Sarin, Tabun ou VX) d'autre part

Que ce soit en cas d'incendie ou en cas d'attentat par gaz toxique, ces deux cas seront responsables en commun d'une agression toxique et d'une agression psychique.

  1. A l'incendie, il faudra rajouter la responsabilité d'une agression thermique. La toxicité de l'incendie donc sera liée à la combustion qui va entraîner la production de fumées responsables de la diminution de la visibilité, d'inhalation de suie dans les branches, et de transport de molécules chimiques toxiques.

Tableau 1 - Contrainte du milieu souterrain: accessibilité Tableau II - Contrainte du milieu souterrain: visibilité
Tableau 1 - Contrainte du milieu souterrain: accessibilité Tableau II - Contrainte du milieu souterrain: visibilité

Cette combustion entraînera également un phénomène de pyrolyse, responsable d'émission de CO, (responsable de narcose) et de CO (responsable de troubles du comportement et du décès).
De la même façon, toujours par l'incendie, il y aura production, dans les fumées, d'aldéhyde et d'acroléine, qui seront cause d'irritations pulmonaires et d'initations oculaires.
Avec la déplétion en oxygène (le taux normal dans l'air étant de 21%) à 16%, il y aura des troubles du comportement; à 12%, l'inconscience; et à 6%, le décès.

Tableau III - Contrainte du milieu souterrain: acoustique Tableau IV - Contrainte du milieu souterrain: problème psychologique
Tableau III - Contrainte du milieu souterrain: acoustique Tableau IV - Contrainte du milieu souterrain: problème psychologique

Tous ces facteurs réunis seront cause des mouvements incontrôlés des victimes potentielles, empêchant un réflexe de fuite normal.
Dans notre expérience d'incendie, la plupart des victimes sont décédées avant d'être brûlées et ce sont ces troubles du comportement qui empêchent généralement le réflexe de fuite. C'est ce qui s'est malheuresement passé à Bakou et dans le métro de Londres. L'agression thermique est finalement celle qui sera classée en dernier, car la majorité des décès est due plus à la toxicité des fumées qu'aux brûlures (Tableau V).

Tableau V - Risque potentiel dans le milieu souterrain: incendie

Tableau V - Risque potentiel dans le milieu souterrain: incendie

  1. Pour les gaz toxiques, suite à différents attentats, nous retiendrons plus spécialement, à l'expérience de Tokyo, les composés organophosphorés tels que le Sarin, le Tabun ou le VX
    Contrairement à la toxicité de la fumée d'incendie, le problème majeur sera celui de la contamination par inhalation ou par contact, ou par les deux. La conséquence en sera le risque de transfert de contamination.

    Les neurotoxiques auront une double toxicité:

  • Une toxicité immédiate, en fonction de leur concentration dans l'air, après inhalation. Ils seront responsable de troubles locaux comme:
  • douleurs oculaires
  • irritations oculaires
  • contractures musculaires plus ou moins importante
  • troubles respiratoires, allant de la simple gêne à la paralysie par atteinte du système nerveux central
  • pertes de connaissance
  • décès

Cette contamination sera due aux molécules en suspension dans l'air pénétrant par voie pulmonaire.

  • Une toxicité retardée de quelques heures à deux jours qui sera extrêmement dangereuse, du fait de transfert de contamination.

En effet, les victimes, ne ressentant aucun trouble particulier immédiat, vont retourner chez elles et transporter ainsi partout leur propre contamination. Les molécules des toxiques seront piégées par leur vêtements (tous les matériaux actuels - bois, cuirs, tissus, caoutchouc, latex - sont perméables à ces toxiques) et pénétreront d'une part à travers la peau et d'autre part, par effet de relargage, des vapeurs seront également inhalées.
Les troubles qui apparaîtront par la suite seront identiques à ceux décrits précédemment et les victimes se présenteront alors tardivement dans un hôpital qui sera ainsi très vite contaminé.
Que ce soit les gaz ou les fumées d'incendie, il y a des caractéristiques communes à ces deux risques qui sont:

  • la rapidité de propagation
  • les troubles du comportement
  • la panique

Dans les deux cas, cela nécessite la mise en place d'un plan de secours particulier (Tableau VI).

Tableau VI - Risque potentiel dans le milieu souterrain: gaz toxique

Tableau VI - Risque potentiel dans le milieu souterrain: gaz toxique

Paramètres particuliers

Les paramètres à prendre en compte dans une stratégie particulière sont:

  • la rapidité de propagation des gaz
  • la rapidité de propagation des fumées
  • les problèmes de visibilité
  • le nombre des victimes potentielles
  • la taille et la caractéristique des installations
  • les issues d'entrée et de sortie, tant pour la population que pour les secours

Les problèmes posé aux secours seront ceux des fumées et des gaz. Les fumées et les gaz sont chacun source de suffocation, d'intoxication et de panique.
Pour la fumée, il faudra rajouter des problèmes de visibilité. Dans les deux cas, la protection des sauveteurs devant intervenir est impérative. Elle passe par le port d'un appareil respiratoire isolant, d'une combinaison étanche, sachant que les neurotoxiques traversent tous les types de matériaux (les seules tenues véritablement étanches sont en butyle vinyle), mais il faut savoir qu'à l'intérieur de ces tenues la température centrale monte très vite et que le temps maximum supporté par le personnel est d'une heure. Cela implique donc que tous les sauveteurs soient parfaitement entraînés non seulement au port mais aussi à la mise en place de cette tenue, la moindre fuite pouvant être mortelle. L'éclairage et les communications devront être vérifiés et fiables, sous peine de stress des sauveteurs et donc de danger pour eux. La réponse stratégique à une telle catastrophe découle directement de ce que nous venons de voir. U alerte doit être très précoce et très fiable et peut être donnée, en ce qui concerne les incendies, par des détecteurs automatiques et des témoins "professionnels". Pour les gaz, l'identification sera beaucoup plus difficile et une symptomatologie identique frappant de très nombreuses personnes dans un même lieu doit impérativement y faire penser. Le prépositionnement des secours doit être fait de façon à pouvoir intervenir dans les cinq minutes auprès des zones sensibles. Des plans d'intervention préétablis doivent exister.Le personnel local doit être entraîné et avoir une connaissance parfaite des lieux, des issues et des accès. Le commandement sera parfaitement rigoureux, coordonné et identifié de tous. Aucune pénétration des équipes de sauvetage, quel que soit le cas de figure, ne se fera sans ordre, sans protection respiratoire, sans tenue spéciale étanche, sans vérification des moyens de communication et d'éclairage, sans guide.

Engagement des secours

En cas d'incendie, il se fera par des accès reconnus. En même temps qu'il y aura extension du feu, il y aura mise en oeuvre immédiate d'une hyperventilation et d'un désenfumage. Les personnes valides seront évacuées au plut tôt et guidées dans l'évacuation. Parallèlement, il y aura dégagement des blessés et mise en sécurité d'un poste médical avancé qui permettra de commencer les soins d'urgence et de procéder à un triage. En cas d'attentat par toxique, la procédure sera sensiblement identique dans la mise en place, mais il faudra rajouter, de façon impérative, la prise en compte de la notion de contamination et de transfert de contamination. Cela implique l'installation immédiate d'une zone de regroupement des contaminés ou des sujets susceptibles del'être. Cette zone sera strictement contrôlée par les forces de l'ordre et installée de façon à ne pas être sous le vent. La délimitation de cette zone contaminée est capitale et nul ne doit pouvoir y pénétrer ni en sortir sans avoir été contrôlé et décontaminé. Cela implique donc un contrôle par les forces de l'ordre, elles-mêmes en tenue de protection. Le balisage, la détection et l'identification du toxique ne seront réalisés que par des équipes spécialisées munies de trousses et appareils de contrôle (spectrophotomètre à flamme, papier réactif, spectrophotomètre de masse). A côté de cette zone contaminée, délimitation de la zone contaminable. Cette zone n'est en principe pas contaminée et servira au stockage du matériel et des personnels de secours. Enfin, délimitation de la zone propre qui sera la zone de rassemblement des victimes décontaminées. Tout accès à cette zone sera préalablement contrôlé par un détecteur de contamination et en cas de positivité le personnel contaminé devra repasser par toute la chaîne. Après cette zone propre, reprise de la chaîne normale médicale des secours. Entre la zone contaminée et la zone contaminable sera donc installée la chaffie de décontamination qui permettra de traiter les victimes couchées ou les victimes valides. Elle est composée de plusieurs tentes et, dans l'ordre, il y aura:

  • accueil des victimes
  • déshabillage complet de toutes
  • poudrage
  • douche totale

et à l'issue:

  • contrôle de la contamination
  • rhabillage et pénétration dans la zone propre

Pour les victimes blessées, les soins médicaux d'urgence seront entrepris dans la chaîne de décontamination, a savoir oxygenothérapie et injection d'antidote, à l'exclusion de tout autre geste. Bien évidemment, le personnel de sauvetage ainsi que le matériel de secours et de soins utilisés en zone contaminée resteront dans cette zone et seront soumis aux mêmes règles en fin de mission. Cela nécessite donc la mise en oeuvre d'un plan de secours spécifique préétabli. En cas de gaz toxique, ce plan tiendra compte également du risque que peut faire courir une hyperventilation du métro mal contrôlée. En effet, les extracteurs de fumée vont entraîner les gaz en surface, et ainsi transférer la contamination des toxiques à l'extérieur et la dissémination vers la population de surface. C'est ce qui s'est passé lors de l'attentat de Tokyo où des passants situés à plus de 800 rit en surface de l'attentat ont été contaminés dans la rue. Il faut donc créer, à la surface autour des sorties d'air, des zones de sécurité strictement contrôlées et considérées comme contaminées. Il sera donc indispensable d'en connaître l'emplacement.

Conclusion

Il apparaît que le sauvetage en milieu souterrain (milieu hostile par définition) repose:

  • pour l'incendie sur:
    • une détection precoce
    • un stationnement de proximité
    • une connaissance parfaite des accès
  • pour les toxiques, mêmes mesures que pour l'incendie, plus:
    • équipement spécial contre les gaz toxiques
    • équipes spécialisées en décontamination
    • et module de décontamination

 

SUMMARY. A survey is presented of the various aspects of chemical risk in an underground environment - a road or train tunnel, underground railway or shopping arcade. Some constraints of this type of environment are identical, such as accessibility, visibility, acoustics, and the psychological problem. The potential risks are fire and toxic gas terrorist attacks. The parameters involved in a particular strategy to manage these risk situations are considered, and the importance is emphasized of preparedness and specific prearranged rescue plans.


This paper was received on 11 September 1996.

Address correspondence to:

Dr Bernard Viala, Médecin chef
Conseiller médical du Directeur de la Sécurité Civile, Ministère de l'Intérieur
Paris, France
Tel.: 0331.40.877590/40.877302; Fax: 0331.47.578267



 

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