Annals of Burns and Fire Disasters - vol. X - n. 3 - September 1997
LES
SEQUELLES DE BRULURES CERVICOFACIALES: CLASSIFICA. TION ANATOMOCLINIQUE ET CONSEQUENCES
THERAPEUTIQUES
Adouani k Zitouni K, Yacoub K, Zairi L,
Mokhtar M.
Service de Chirurgie Maxillofaciale Pr. M.
Seghir, Entreprise Publique de la Santé Charles Nicolle, Tunis, Tunisie
RESUME.
Les séquelles de brûlures cervicofaciales et du scalp constituent des lésions qui
revêtent des caractères particuliers de part leur fréquence, leur siège, leur gravité
et le retentissement fonctionnel quelles engendrent. Elles posent un double problème,
l'un d*ordre thérapeutique, le second relatif aux répercussions psychosociales en raison
des difficultés d'adaptation et d'acceptation dans le milieu socioprofessionnel.
L'établissement d'une classification anatomoclinique permet de distinguer les formes
mineures, moyennes et majeures. Les procédés thérapeutiques sont orientés en fonction
de chacune de ces formes. Nous présentons 65 cas de séquelles de brûlures
cervicofaciales colligés dans une période de six ans et analysons les formes
anatomocliniques et les conséquences thérapeutiques.
Particularités anatomiques de la face
Nous rappelons que la peau de la face
est subdivisée en unités esthétiques dont la texture et la mobilité diffèrent selon
qu'elle soit:
à la paupière, où elle est fine et plissée
à la joue et au front, où elle est épaisse et mobile
au nez et au menton, où elle est épaisse et sous tension
Par ailleurs la peau est caractérisée
par des lignes de tension cutanée dont l'orientation est déterminante dans la qualité
d'une cicatrice. Les muscles peauciers qui ont tous une insertion cutanée constituent des
sphincters par leur disposition périorificielle et sont responsables de la mimique; leur
atteinte donnera un aspect figé de la face.
L'autre particularité c'est la présence de cartilage strictement sous-cutané dont la
fonte aboutit à une mutilation d'organe (nez, oreille).
Déformations cicatricielles
et conséquences fonctionnelles et esthétiques
Les déformations cicatricielles
résultent de l'incapacité de la face à lutter contre la rétraction.
Si nous prenons une région bien équilibrée comme le cuir chevelu, où la tonicité
cutanée est répartie également dans toutes les directions, la rétraction sera minime.
Par contre, au niveau de la face, qui est une région non équilibrée, les orifices
naturels n'offrent aucune résistance et la rétraction sera importante.
Les conséquences fonctionnelles engendrées sont variables en fonction de leur gravité.
Ainsi l'ectropion provoque une atteinte du rideau de protection du globe oculaire; au
niveau des lèvres il peut s'agir d'une macrostomie, d'une microstorme ou d'une distorsion
de l'orifice buccal -en somme c'est la mutilation de l'organe. Il s'ensuit des
conséquences esthétiques avec leur retentissement, selon qu'il s'agisse de plages
dyschromiques dépigmentées avec épaississement du derme ou de bride rétractile et de
cicatrice chéloïde dont les brûlures sont de grandes pourvoyeuses.
Les formes anatomocliniques et les
conséquences therapeutiques
Nous adoptons une classification des
séquelles selon le principe des unités esthétiques de la face. Ainsi nous distinguons:
les séquelles mineures, correspondant
à une atteinte d'une ou de plusieurs unités esthétiques sans rétraction
les séquelles moyennes, avec atteinte
d'une unité ou d'une zone frontière entre deux unités avec rétraction
les séquelles majeures, qui réalisent
des mutilations avec atteinte de plus d'unités avec rétraction périphérique
Dans tous les cas de figure, les
indications thérapeutiques restent tributaires du sous-sol musculaire sous-jacent, de
l'existence ou non de bride rétractile, du degré de mutilation et de la qualité de la
peau saine adjacente.
Dans les séquelles mineures la demande est uniquement esthétique et l'abstention
thérapeutique peut être proposée; dans les formes moyennes et majeures, les
conséquences sont à la fois d'ordre esthétique et fonctionnel et là, nous disposons de
différents procédés:
en premier lieu, la greffe
dermoépiderrnique semiépaisse de 4/10 de mm, chaque fois que le sous-sol musculaire est
indemne, a l'avantage de ne pas se rétracter, de ne pas se colorer, et de préserver la
mimique
les Plasties en Z rend d'énormes
services en libérant les brides
les lambeaux locoregionaux ou a distance
n'ont d'indication que dans l'atteinte du sous-sol musculaire ou dans les mutilations
d'organes
l'expansion tissulaire a révolutionné
l'arsenal thérapeutique, mais elle dépend du siège et de la formeanatomoclinique et
nécessite la présence de peau saine adjacente en quantité suffisante
Matériel et méthode
Nous présentons notre casuistique du
traitement chirurgical de 65 cas des séquelles de brûlures cervicofaciales colligés
dans le Service de Chirurgie Maxillofaciale de l'Entreprise Publique de la Santé Charles
Nicolle, dans une période de six ans (1990-1996) (Figs. 1-6).
Nous analysons les procédés de réparation préconisés en fonction des formes
anatomocliniques.
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Fig.
1 - Séquelle de brulure cervico-jugo-temporale avec rétraction importante. |
Fig.
2 - Libération cervicale et réparation par un lambeau cutané latérocervical. |
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 |
Fig.
3 - Rétraction cervicale antérieure. |
Fig.
4 - Traitement par greffe de peau mince. |
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Fig. 5 - Séquelle de
brûlure pan-faciale. |
Fig. 6 - Résultat du
traitement par l'expansion
cutanée itérative. |
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Résultats
- Nombre de patients: 65
- Age: maximum entre la tranche d'âge 11 et 20 ans (35,38%)
- Sexe : nette prédominance féminine (81,54%),
c'est-à-dire plus de quatre femmes pour un homme
- Nature de la brûlure: nettement dominée par l'étiologie
thermique (92,73%), puis électrique (5,45%) et chimique (1,82%)
- Gêne motivant la consultation: d'ordre fonctionnel et
esthétique (43,08%); fonctionnel (4,62%); esthétique (52,3 1 %)
- Localisation: au niveau de l'extrémité céphalique, le
siège le plus fréquent étant l'étage moyen de la face
Dix-huit malades présentent des
séquelles de brûlures cervicofaciales associées à une autre localisation: membre
supérieur, inférieur, thorax ou abdomen.
Traitement:
- Plastie en Z 23 cas
- Exérèse itérative 17 cas
- Greffe de peau 12 cas
- Lambeaux locaux 10 cas
- Lambeaux à distance 3 cas
- Expansion cutanée 22 cas
Le nombre de procédés est de 87, pouvant
s'expliquer par l'utilisation de plusieurs procédés chez un même patient.
Les résultats fonctionnels et esthétiques sont classés en quatre groupes en fonction
des procédés de réparation (Tableau I).
|
Plastie
en
z |
Résection
cutanée |
Greffe
de
peau |
Lambeaux
locaux |
Lambeaux
à distance |
Expansion
cutanée |
Bons |
8 |
1 |
6 |
2 |
3 |
8 |
(35%) |
(5,88%) |
(50%) |
(20%) |
(100%) |
(36,36%) |
Moyens |
10 |
10 |
5 |
5 |
- |
11 |
(43%) |
(58,82%) |
(41,66%) |
(50%) |
- |
(50,04%) |
Echec |
5 |
6 |
1 |
3 |
- |
3 |
(22%) |
(35,29%) |
(8,33%) |
(30%) |
- |
(13,63%) |
Total |
23 |
17 |
12 |
10 |
3 |
22 |
|
Tableau 1
- Résultats en fonction des procédés de réparation |
|
Discussion
Les séquelles de brûlures
cervicofaciales demeurent l'apanage du sujet jeune, l'accident étant survenu dans la
majorité des cas en bas âge. La prédominance féminine n'a que'peu de valeur: elle
pourrait expliquer la fréquence de la demande chez la femme par rapport à l'homme pour
des raisons uniquement psychos6ciales (Tableaux II-V).
L'étiologie de l'accident est dominée principalement par la brûlure thermique,
pathologie fréquente dans nos contrées.
Si les localisations des séquelles de brûlure sont dominées par l'association
face-membres supérieurs, au niveau de l'extrémité céphalique, l'étage moyen de la
face représente le siège le plus fréquent.
En dépit de la diversité des procédés thérapeutiques, il n'existe pas de
corrélations étroites entre chaque forme anatomoclinique et le choix du traitement
chirurgical.
Hormis le cuir chevelu,où le meilleur procédé demeure l'expansion tissulaire, les
résultats des autres moyens thérapeutiques dépendent de chaque forme anatomoclinique.
Toutefois les procédés classiques les plus simples gardent toujours leur indication
(plastie en Z, greffe de peau) et assurent les meilleurs résultats fonctionnels.
En effet, plusieurs paramètres variables sont considérés pour toute forme
anatomoclinique. Le degré de la rétraction, la presence ou non de brides et ses
qualités, le siège, l'étendue en fonction des unités esthétiques, la qualité de la
peau saine adjacente etc. constituent des facteurs d'importance égale dans le résultat
final sur le plan tant fonctionnel qu'esthétique.
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Tableau II - Répartition en
fonction de l'âge |
Tableau III - Répartition
en fonction du sexe |
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Tableau IV - Nature de la
gene |
Tableau V - Nature de la
brulure |
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Ainsi, et pour toutes ces raisons, l'idée princeps que nous pouvons
dégager dans l'établissement d'un protocole thérapeutique dans les séquelles de
brûlures cervicofaciales est fondée sur la primauté du résultat tant fonctionnel
qu'esthétique.
Il s'agit d'un protocole de grande haleine, multipliant les temps opératoires et
nécessitant une collaboration êtroite entre médecin et malade tant sur le plan
chirurgical que sur le plan psychosocial.
Conclusion
En matière de séquelles de brûlures cervicofaciales, plus que de
traitement il faudrait mieux parler d'une véritable prise en charge du brûlé. Il n'est
pas bien justifié puisque la demande fonnulée est l'élimination des stigmates de la
brûlure plutôt que le traitement d'une cicatrice ou d'une bride.
Ainsi, la prise en charge est d'abord sur le plan psychologique car le grand problème des
brûlés de la face est l'acceptation des séquelles esthétiques dans son milieu
socioprofessionnel.
Dans le protocole thérapeutique, il faut d'abord privilégier la fonction et en
particulier les paupières afin de préserver le globe oculaire et évaluer la perte de
substance car elle est beaucoup plus importante de ce qu'elle appareil et souvent sous
estimée.
Enfin, il faudrait mieux reconstituer toute l'unité esthétique afin de lui redonner sa
mobilité et une texture homogène.
RESUME. Cervicofacial and scalp burn sequelae
are lesions that present particular problems because of their frequency, site, gravity and
functional disturbances. They present a dual problem, the one therapeutic, the other
relative to the psychosocial repercussions due to diffiriiltie of nclantntion 2 -C
Mic to MistinguisM oetween minor, mectium ana major terms. 1 nis paper
ciescrioes 05 cases of cervicotacial burn sequelae studied over a six-year period,
analysing the anatomical and clinical forms and the therapeutic consequences.
BIBLIOGRAPHIE
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This paper was received on 2 May 1997.
Address correspondence to: Prof. A. Adouani
Service de Chirurgie Maxillofaciale Pr. M. Saghir
Enterprise Publique de la Santé Charles Nicolle
Tunis, Tunisie. |
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