Annals of
Burns and Fire Disasters - vol. XIII - n. 3 - September 2000
L'EXCISION
TANGENTIELLE PRECOCE AU SECOURS DES BRULURES PROFONDES DE LA MAIN
Chafiki N., Bahechar N., Boukind E.H.
Service de Chirurgie Plastique
et des Brûlés, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc
RESUME. L'excision greffe précoce (EGP) à visée
fonctionnelle des brûlures profondes des mains doit être préférée à la méthode
conventionnelle chaque fois que possible. Les Auteurs rapportent une série récente de 19
mains excisées chez dix patients. L'excision est associée à celle d'autres
localisations chez un patient sur deux. Les résultats fonctionnels sont globalement
jugés bons. Les résultats esthétiques sont variablement appréciés. Les difficultés
logistiques qui s'opposent à ce que l'EGP des mains devienne une technique de routine
dans notre contexte sont discutées.
Introduction
Voilà
bientôt trente ans que Zora Janzekovic,' femme chirurgien de l'ex-Yougoslavie, à
développé la technique de l'excision tangentielle précoce avec greffe cutanée
immédiate pour le traitement local des brûlures profondes. Le concept général de
l'excision précoce, qu'elle soit tangentielle ou par dissection ou encore par avulsion et
qu'elle soit à visée fonctionnelle ou de sauvetage, repose sur le souci de limiter le
relargage de substances toxiques et pyrogènes provenant des tissus brûlés, de
précéder la phase inflammatoire et de réduire l'hypercatabolisme ainsi que le risque de
contamination microbienne et de rétraction à distance.
Le corollaire immédiat et logique de la
technique est la couverture cutanée par greffe de peau autologue ou par un substitut
cutané et parfois à distance de Peau de culture.
L'excision tangentielle, du moins, quand elle est indiquée dans une visée fonctionnelle
suivie d'une couverture immédiate par greffe cutanée autologue au niveau des mains,
permet indubitablement de réduire le délai de cicatrisation et l'instauration d'une
kinésithérapie précoce, seuls garants d'une récupération fonctionnelle optimale
court-circuitant les longues phases de détersion et de bourgeonnement du traitement
conventionnel ainsi que leurs désagréments associant douleur, infection et rétraction.
Par ailleurs, les résultats fonctionnels et esthétiques sont meilleurs à long terme.
Seulement l'excision tangentielle grande consommatrice de sang connaît des limites en
rapport essentiellement avec l'état général du patient, notamment la fonction
respiratoire et l'état hémodynamique ainsi qu'avec l'étendue des brûlures.
Nous rapportons une série d'excision-greffe précoce portant sur 19 mains chez des
patients de recrutement récent. Les résultats fonctionnels et esthétiques seront
discutés à la lumière de cas cliniques iconographiques.
Patients et méthodes
De janvier 1998 à
novembre 1999, 19 mains ont bénéficié d'une excision greffe précoce (EGP) chez dix
patients représentés par huit hommes et deux femmes. L'âge moyen est de 26 ans.
L'agent causal principal est représenté par
les flammes de butane suite à la déflagration de bouteille de butane de 3 kg donnant le
tableau classique du syndrome main face (7 cas sur 10).
Les flammes d'essence (Fig. la), de bougie et de poudre à canon lors d'une manifestation
folklorique (fantasia) sont incriminées dans un cas chacun.
La surface corporelle brûlée moyenne est de 28%. En urgence 6 patients sur 10 ont
bénéficié d'incision de décharge des deux mains et chez un patient seul une main a
été déchargée. Chez les trois autres patients une surélévation des membres
supérieurs avec surveillance a été instaurée.
L'excision a été réalisée en moyenne à J2 de la brûlure (extrêmes J1-J5) sous
anesthésie générale. Le garrot pneumatique a été utilisé chez 6 patients.
L'excision a débordé sur le reste du membre supérieur de 12 mains sur 19. Elle a
intéressé le visage dans un cas sur 10, et le tronc et les membres inférieurs dans 4
cas sur 10. Elle a été exclusivement tangentielle au niveau des mains (Fig. 1 b). La
greffe a été immédiate dans 9 cas sur 10 et différée de 24 h chez un patient. La peau
mince autologue a été utilisée selon sa version pleine scarifiée sur 7 mains (Fig.
2a), en filet à mailles serrées sur les 12 autres mains (Fig. 2b). La position de
capacité cutanée maximale a été maintenue par l'immobilisation temporaire des doigts
en position intrinsèque positive en s'aidant d' embrochages préosseux (13 mains sur 19).
Dans tous les cas, des attelles plâtrées antébrachiopalmaires renforçant cette
position sont utilisées avec ouverture de la première commissure et flexion dorsale à
25° du poignet. La quantité moyenne de culot globulaire transfusée est de 350 cc.
Le pansement est à base de tulle gras et de compresses imbibées de sérum physiologique
additionné de polyvidone iodée ou de PéniG et doublées de grandes compresses.
La surélévation des membres supérieurs en postopératoire associé à des antalgiques
périphériques et parfois à des agonistes antagonistes de la morphine ainsi qu'une
couverture antibiotique sont de mise. L'ablation des broches s'est faite à J4 de
l'excision en moyenne.
La rééducation est entreprise en cours de cicatrisation après régression de la douleur
d'abord passive puffs progressivement passive et active associée à des massages dès
cicatrisation complète. Le port de gams compressifs n'a été possible qu'à partir du
15ème jour après cicatrisation. Seals 7 patients ont en bénéficié.

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Fig.
la - Brûlure profonde de la main par famme d'essence. |
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Fig.
1b - Excision tangentielle au dermatome manuel. |

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Fig.
2a - Premier cas: greffe de peau pleine scarifiée. |
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Fig.
2b - Deuxièmc cas: greffe en fact |
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Résultats
Le délai moyen à la
cicatrisation se situe à J6 postexcision. Une récupération fonctionnelle quasi totale
en flexion et en extension des doigts a été possible (Fig. 3) tout au long du premier
mois d'instauration de la kinésithérapie associant mobilisation passive et active
effectuée par le patient lui-même assisté d'un parent. Seals 2 patients ont été pris
en charge par un kinésithérapeute.
Actuellement 6 patients sont régulièrement suivis, et la présence de kystes
épidermiques minimes a été notée sur la quasi totalité des mains greffées sans
qu'aucun ne nécessite une mise à plat.
Le résultat fonctionnel s'est globalement maintenu avec une amélioration progressive de
la prise de force. Néanmoins une bride latéro-digitale a nécessité une libération par
une double plastie en Z (Fig. 4). Une légère rétraction de la première commissure
(< 15°) a été notée sur 3 mains qui n' ont nécessité aucun geste libérateur vu
le faible impact fonctionnel.
L'hypertrophie cicatricielle a concerné 15 mains sur 19, ayant nécessité des massages
par dermocorticoïdes et port de gant compressif quand cela a été possible en raison de
leur coût élevé.
De ce fait, le gel de silicone n'a été utilisé chez aucun patient.
Cette hypertrophie a été notée tout autour des greffons et entre les mailles des filets
dormant un aspect esthétique moyen auquel participe l'hyperchromie quasi constante
malgré le port de gant et l'utilisation secondaire d'écran solaire total. L'aspect
esthétique est plus satisfaisant daps les cas de greffes de peau pleine utilisée en
unités esthétiques et fonctionnelles. Dans tous les cas, la texture cutanée est borne
(Fig. 5).
Commentaires
Le premier cas d'excision
documenté remonte à Wilms en 1901.' Elle concernait une brûlure profonde très limitée
en surface. Depuis Jackson,' puis MeMillan (1959).' L'excision qui portait sur la peau de
pleine épaisseur jusqu'au fascia prémusculaire était immédiatement associée à une
greffe cutanée et intéressait des surfaces de plus en plus étendues. Elle avait lieu
précocement vers la huitième heure postbrûlure. Ensuite l'avènement des topiques
anti-microbiens tels que la sulfadiazine argentée' a permis de prolonger les délais
d'excision sans faire courir le risque d'infection ou de contamination importante aux
brûlures ainsi que d'équilibrer le milieu intérieur du patient afin d'intervenir dans
de meilleures conditions (en règle à J3, sauf quand les brûlures sont peu étendues et
que l'excision greffé précoce est sans risque).
Janzecovic, s'inspirant des travaux de Lorthior" portant sur l'abrasion des brûlures
profondes et mettant les mauvais résultats obtenus par celui-ci sur le compte d'une
abrasion non suivie de greffe cutanée, a largement développé et codifié la technique
de l'excision tangentielle suivie d'une greffe immédiate, ou tout au plus après 24 h,
comme cela fut le cas pour l'un de nos patients afin de s'assurer d'une hémostase
correcte. Elle a en outre démontré les avantages des excisions greffes précoces à
visée fonctionnelle, permettant l'obtention d'une cicatrisation rapide et l'instauration
d'une kinésithérapie précoce précieuse pour les mains. En effet celle-ci permettra
très tôt de faire retrouver au patient son schéma corporel, ses amplitudes articulaires
et la force des prises. L'hospitalisme et le coût des soins s'en trouvent par conséquent
réduits, avec un impact psychologique favorable sur les patients qui se voient rapidement
et Il chirurgicalement" pris en charge et qui retrouvent rapidement l'usage de leurs
mains avec la possibilité d'une réinsertion socio-professionnelle précoce. La texture
cutanée est en règle de bonne qualité vu que les greffes prennent souvent sur une fine
couche de derme résiduelle et l'aspect esthétique est meilleur quand les greffons sont
de la peau mince ou demi-épaisse pleine non expansée mais scarifiée pour drainer
d'éventuels hématomes et utilisée en unités esthétiques et fonctionnelles de la main.
Les quelques désagréments tels qu'une légère dyschromie, des kystes épidermiques ou
de légères rétractions commissurales n'entravent pas la qualité globale du résultat
esthétique et fonctionnel. Il s'agit là du cas optimal ou l'excision ne concernera que
les mains et que l'étendue des brûlures initiales n'excède pas 15% de la surface
corporelle sans perturbations hémodynamiques ni respiratoires. Ceci est loin d'être
toujours possible car n'oublions pas que l'excision tangentielle est une grande
consommatrice de sang et que les mains excisées nécessitent de longues et larges bandes
de greffes, ce qui rajoute la surface des sites donneurs à celle de la brûlure initiale
et à celle des zones excisées. Jouglardb estime les pertes sanguines suite à l'excision
tangentielle à 134 cc/% de surface excisée. Elle est de 20% supérieure à l'excision
par dissection. Pour Warden' les pertes sont de 172 ml/%. Foy' transfuse le correspondant
de 110 ml à 170 ml/% en culot globulaire.
Ces pertes peuvent être réduites par la pose de garrot pneumatique gonflé à 100 mm Hg
au-delà de la pression systolique du patient durant une heure' ou l'injection sous
lésionnelle d'épinéphrine.'° Ceci implique une rapidité d'exécution que permet une
cartographie préétablie de la profondeur des brûlures, qui repose surtout sur le test
de scarification avant toute anesthésie et en dehors de toute hypothermie. L'expérience
du chirurgien est d'un grand secours dans ce cas. Par ailleurs, quand les excisions des
mains rentrent dans un protocole d'excisions plus large associant d'autres zones.
L'étendue globale doit être minutieusement évaluée en tenant en compte les sites
donneurs de greffes.
Dans notre contexte nous estimons que seine une main sur 7 brûlées profondément chez un
patient hospitalisé bénéficie de l'EGP car dans la majorité des cas de brûlures
étendues nous optons pour la méthode conventionnelle avec greffe différée des zones
n'ayant pas cicatrisé à la 3ème semaine. D'autre part, les brûlures des mains qui sont
suivies en ambulatoire échappent au protocole de FEGP pour des raisons logistiques.
Pourtant la prise en charge des mains brûlées se prêtant à l'EGP à visée
fonctionnelle devrait être une priorité dans notre structure pour les raisons suivantes.
Les résultats d'EGP enregistrés sont encourageants. Et restent supérieurs à ceux
observés sur des mains traitées par des pansements puis des greffes secondaires.
L'hospitalisation est réduite, permettant un meilleur roulement du service. Par ailleurs,
un patient rapidement cicatrisé s'auto-rééeduque facilement.
Les séquelles de mains brûlées pour la plupart complexes continuent à alimenter notre
programme opératoire, augmentant le coût global de prise en charge des mains brûlées.
A une échelle plus large, la prévention primaire et secondaire des brûlures reste
primordiale en modifiant la législation portant sur les bouteilles de butane de 3 kg,
véritables bombes à retardement et première cause de brûlure au Maroc, et en
améliorant le transport médicalisé des patients, ainsi que la qualité de prise en
charge initiale sur le plan local général des brûlures.
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Fig.
3a - Résultat fonctionnel et esthétique à 3 mois post-brûlure (premier cas). |
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Fig.
3b - Résultat fonctionnel et esthétique à 3 mois post-brûlure (premier cas). |
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Fig. 4 - Bride latérodigital du Sème doigt |
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Fig. 5 - Résultat fonctionnel du 2ème cas avec
borne texture cutanée 4ème mois post-brûlure; résultat
esthétique moms bon que le premier cas. |
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Conclusion
L'excision greffe précoce
à visée fonctionnelle reste la meilleure approche thérapeutique dans les brûlures
profondes des mains. Chaque fois que l'indication est possible contenu de l'étendue
globale des brûlures et de l'état respiratoire et hémodynamique du patient, elle
permet:
- de raccourcir le délai de cicatrisation
avec un coût global de prise en charge inférieur à la méthode conventionnelle;
- de démarrer une rééducation précoce
avec des résultats fonctionnels et esthétiques satisfaisants;
- une réinsertion socio-professionnelle
rapide et qualitative.
SUMMARY. Early
tangential excision (ETE) remains the most interesting procedure for the management of
deeply burned hands. A report is presented regarding 19 deeply burned hands recently
excised in 10 patients. The early excision of other locations was associated in 50% of the
patients. The functional results were globally good and the aesthetic results were
variably appreciated. The logistic problems that prevent ETE of the hands from becoming a
routine procedure in our context are discussed.
BIBLIOGRAPHY
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This paper was received on
13 March 2000..Address correspondence to: Dr N. Chafiki,
Association des Enseignants, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc |
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