Annals of the MBC - vol. 2 - n' 1 - March 1989

REGARD RAPIDE SUR LES DEBUTS DE LA REHYDRATATION DES GRANDS BRULES

Masse C.

Bordeaux, France


RÉSUMÉ. Les résultats du traitement des brûlures étendues ont commencé à s'améliorer à partir du moment où la thérapeutique liquidienne de remplacement est devenue une pratique courante. Un regard sur les lenteurs, les hésitations, les réticences qu'il fallut vaincre est une bonne illustration des obstacles rencontrés par la médecine pour progresser. Ainsi, le domaine de la brûlure, qui est déjà un champ privilégié pour l'étude quasi -expérimentale de tant de phénomènes physio-pathologiques, l'est-il aussi pour une meilleure compréhension de l'Histoire de la Médecine.

La plaque qui commémore la première réunion de notre Club a suggéré le thème de ce propos. Sur fond de bassin méditerranéen, berceau prestigieux de notre civilisation, une flamme monte et s'étale. Une flamme qui brûle, mais qui éclaire aussi. Elle se veut le symbole de ce que deviendra notre Association. Mais n'est-ce pas aussi le symbole de ce qu'est devenue la discipline qui nous rassemble?
Deux ou trois décennies ont suffi, pas même un tiers de siècle, pour que ce qui n'etait qu'un petit chapitre, pas très aimé, de la traumatologie se transforme en un terrain de recherches privilégié qu'explorent avec passion ceux qui se consacrent à l'étude des réactions du corps à l'agression, et aussi les spécialistes de la plupart des grandes fonctions de l'organisme.
Il en est de même pour l'historien, car l'histoire de la brûlure, et plus particulièrement celle de la compréhension et du traitement des brûlures étendues, condense en un espace de temps très court, celle de la médecine toute entière. C'est ainsi qu'un simple survol, très rapide, des années qui ont précédé l'adoption générale et systématique du traitement liquidien précoce et massif, qui marque l'entrée de la brûlure dans la médecine contemporaine, est une bonne illustration de la différence qui existe entre ce qui fut siècle après siècle la médecine de nos pères et celle d'aujourd'hui.
On crédite habituellement Underhill de la paternité des travaux qui ont servi de base à ce traitement. Il a poursuivi ses recherches entre 1920 et 1930. Mais avant lui on réhydratait les brûlés, par vole sous-cutanée, dès qu'ils présentaient des signes généraux, d'une façon que l'on considérait comme massive car il arrivait parfois que, malgré les difficultés locales, avec l'aide d'enzymes de diffusion, on puisse faire passer deux litres par jour ou même un peu plus.
On pourrait penser qu'il s'agissait là de deux modalités d'une même méthode, ne différant que par la voie d'abord et la posologie.
Cela est vrai, mais seulement si l'on n'envisage que le geste en lui-même. Si, par contre, on se penche sur les motifs qui ont poussé les promoteurs de ces techniques à les préconiser, alors apparaît le fossé.
L'hydratation dite massive des grands brûlés par voie sous-cutanée remonte aux dernières années du siècle précédent. Elle fut proposée, à quelques mois de distance, par deux chefs d'école qui ignoraient leur communauté de pensée, Duret à Lille, Tommasoli à Palerme.
L'originalité de ces deux auteurs ne vient pas tant de ce qu'ils ont proposé des injections d'eau salée aux brûlés. Tout le monde à cette époque admettait que leur mort était le fait d'une intoxication. Terme vague, encore, mais qui appelait en corollaire thérapeutique des injections d'eau salée, mais presque à titre accessoire, en dernier paragraphe du chapitre "traitement". Tommasoli et surtout Duret en ont fait l'essentiel de la thérapeutique. Le Jariel, qui donne dans sa thèse (Lille 1906) une bonne synthèse de ces travaux princeps, l'énonce clairement. "La vraie méthode thérapeutique, la méthode de traitement principal... paraît être les injections sous-cutanées d'eau salée à dose massive."
Tommasoli publia le premier ses résultats. A lui, donc, la paternité de la méthode. Il était dermatologue et s'était fait connaître en traitant les dermatoses s'accompagnant de troubles généraux par des injections sous-cutanées de sérum salé et bicarbonaté. C'est par analogie qu'il appliqua le même traitement aux brûlés. Après ses premières tentatives, il confia à Azarello une expérimentation sur le lapin et le chien. Elle fut concluante et incita à poursuivre, ce que Tommasoli fit de façon qui semble systématique. On pourrait aujourd'hui critiquer aisément la voie d'abord, le retard à la réanimation et surtout l'insuffisance des quantités injectées. Il n'empêche qu'un premier pas avait été franchi dans le traitement général de la brûlure.
L'expérience lilloise, poursuivie en parfaite méconnaissance des travaux siciliens, est de même nature, avec toutefois une différence importante; les doses injectées étaient au moins trois fois supérieures. Le qualificatif de dose massive commençait à être justifié.
Ce qui est riche d'enseignements pour celui qui s'intéresse à l'histoire de la médecine et à la façon dont elle a progressé, c'est de lire les arguments qui furent donnés en faveur de ce traitement. On prend conscience de la difficulté qu'il peut y avoir à se défaire d'idées reçues, surtout lorsqu'elles ont été émises par ces monstres sacres qui savent si bien exposer et imposer leur façon de voir, ou encore lorsqu'elles flattent l'esprit par leur caractère rationnel et logique, surtout lorsque l'opinion toute entière les a adoptées. A l'aube du vingtième siècle, on admettait encore comme une évidence la mort des brûlés par excès de douleur, par "perte trop grande de sensibilité", agissant à la manière d'une hémorragie abondante, comme Dupuytren l'avait imaginé. Tout au plus admettait-on que cette explication ne valait que pour les premiers jours. La réhydratation n'y avait pas de place.
L'intoxication du brûlé était, avons-nous dit, considéré comme une vérité première, une intoxication dont la source était la peau brûlée, et les agents les produits de dégradation tissulaire. Mais on avait noté aussi l'important état de déshydratation dans lequel tombaient très vite les grands brûlés. Où passait donc l'eau que leur soif incitait à leur faire boire? Déjà Dupuytren avait conclu de ses autopsies que le sang fuyait hors des vaisseaux. "Le sang, repoussé vers l'intérieur par une irritation aussi générale, a fait effort, sous l'influence de la stimulation excessive du coeur, pour s'échapper à travers toutes les porosités de la surface interne." Ce qui ne l'empêchait d'ailleurs pas de conseiller quelquefois la saignée. Or, ceux qui la pratiquaient avaient bien remarqué la difficulté qu'ils avaient à faire couler un sang rare et épais.
Vers les années 1860, l'attention se portait sur les altérations du sang du brûlé, perte de fluidité, fréquence des thromboses, altérations des éléments corpusculaires. La description de Baraduc (1862) reste encore dans les mémoires. "A la suite de brûlures vésicantes, une grande quantité de sérosité est soustraite au sang, qui devient épais et circule avec difficulté. Le coeur se contracte avec énergie et les grands vaisseux se resserrent, pour concourir à vaincre la résistance que présentent les petits vaisseaux au passage du sang épaissi. Mais le sang devenu sirupeux adhère aux petits vaisseaux et les obstrue. L'engagement circulatoire a commencé dans les extrémités du système artériel-, les veines et le coeur droit sont vides tandis que le coeur gauche s'épuise pour vaincre la résistance. Un traitement efficace devrait donc augmenter la masse liquide du sang et fluidifier le sang épaissi."
Et c'est là que le bât blessait et qu'apparaissent les limites de la méthode anatomo-elln,que. Baraduc conseillait, pour réhydrater, la boisson, les bains et les lavements...
L'originalité de Le Jariel, porte-parole sans doute de l'école lilloise, a été de donner la première place à ces altérations du sang et d'en faire le point de départ d'une série de réactions en chaîne aboutissant à une faillite organique totale, dans une vision synthétique permettant d'expliquer tous les phénomènes rencontrés et dont nous ne renierions pas certaines conceptions, notamment celle de faillites organiques multiples, fonctionnelles d'abord, organiques ensuite.
La thérapeutique par voie intraveineuse aurait dû être la conséquence logique de cette façon de voir. Mais elle était alors considérée comme un traumatisme pouvant avoir les conséquences les plus graves, notamment lorsque coexistaient des thromboses. En outre la stagnation du sang paraissait un facteur d'inefficacité. Certaines écoles cependant, Parascandalo à Naples par exemple, commençaient à y avoir recours. Tous n'accordaient pas à la déshydratation la même place.
A partir des mêmes constatations, d'autres auteurs avaient tiré la conclusion théorique de la nécessité de l'exsanguino-transfusion, "transfusio depletoria". Mais les difficultés techniques de l'époque la rendaient irréalisable. Il fallut attendre 1923, 1925 pour la voir devenir dans certains centres la "thérapeutique optima". Or déjà Underhill commençait à publier ses résultats.
Il n'était pas médecin. Son objectif était d'élucider les mécanismes des déshydratations. Il les étudia chez les brûlés, en physiologiste pur. Dégagé de toute préoccupation clinique et thérapeutique, il put analyser chaque élement l'un après l'autre, de façon très cartésienne.
Après la publication de ses résultats, ce qui n'avait été alors que soupçonné ne pouvait plus être contesté. L'hyperconcentration du sang était bien liée à un passage du liquide à travers les capillaires, comme si leur perméabilité était augmentée. Il en apportait la preuve chimique et même de belles images anatomiques. Il arrivait même à montrer que le passage, dans un sens et dans l'autre, n'était pas uniquement lié à des phénomènes mécaniques. Il soulignait l'importance de l'oedème, son rythme d'expansion et de régression, la très grande précocité de son apparition. En envisageant la diffusion de l'hyperthermie dans l'organisme et ses consequences circulatoires, il pouvait lui attribuer la responsabilité de troubles qui jusqu'alors avaient été considérés comme d'origine toxinique, portant ainsi le premier coup contre la théorie de l'intoxication précoce. L'étude chimique était très poussée, en particulier celle des chlorures, non seulement au niveau des tissus brûlés mais aussi dans le reste du corps. Tout avait été systématiquement, minutieusement, scientifiquement envisagé. La réhydratation massive et précoce ne pouvait plus ne pas être universellement adoptée.
En montrant qu'il fallait avancer d'un jour ou deux la réhydratation et en tripler ou quadrupler la dose, Underhill transformait le tableau des premières journées du brûlé. Mais ses recherches ont une importance qui dépasse de loin ce résultat pourtant appréciable. Elles marquent l'entrée de l'histoire des brûlures dans sa période actuelle, celle que l'on peut caractériser par l'abandon des méthodes thérapeutiques empiriques au profit des traitements rationnels, basés sur des données scientifiques, dont l'efficacité est régulièrement reproductible. Avant lui, les recherches de laboratoire ou les expériences avaient pour objectif de vérifier les hypothèses des cliniciens. Avec lui commençait l'analyse physiologique.
Restée pendant des siècles du domaine exclusif des chirurgiens-barbiers, la brûlure avait échappé aux spéculations de la période moderne. Lorsque la cause de la mort des grands brûlés devint problème d'actualité les chirurgiens étaient devenus médecins, presque tous des disciples de la méthode anatomo-clinique. Il est remarquable que la finesse de leurs observations cliniques, la minutie de leurs explorations anatomiques et la justesse de leurs raisonnements leur aient permis d'arriver en vue des portes de la vérité, dans un domaine si strictement physio-pathologique. Au point que lorsque les physiologistes commencèrent à s'intéresser au problème, ils donnèrent l'impression de prendre le relais. Devant eux s'étendait un vaste terrain presque vierge dans lequel beaucoup s'engouffrèrent. Quant à celui qui s'intéresse au mal qu'ont eu nos prédécesseurs pour aller jusqu'au fond des choses, il trouve dans l'histoire de ce seul paragraphe nombre de thèmes de réflexions susceptibles d'éclairer l'histoire de bien d'autres chapitres.
La brûlure mérite bien la flamme éclairante comme symbole.

SUMMARY. The results of the treatment of extensive bums began to improve as soon as fluid replacement therapy became routine. An account of the delays, the hesitations and the doubts that had to be overcome illustrates very well the kind of obstacles that medicine faces in its path towards progress. Thus the discipline of bum therapy, which is a privileged field for the quasi-experimental study of so many physio-pathological phenomena, is also helpful for a better understanding of the History of Medicine.




 

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