<% vol = 21 number = 3 prevlink = 124 nextlink = 133 titolo = "LES BRULURES ELECTRIQUES PAR HAUT VOLTAGE - A PROPOS DE 10 CAS" volromano = "XXI" data_pubblicazione = "September 2008" header titolo %>

Belmir R., Fejjal N., El Omari M., El Mazouz S., Gharib N., Abassi A., Belmahi A.

Service de Chirurgie Plastique et Réparatrice, des Brûlés et de Chirurgie de la Main, Hôpital Ibn Sina, Rabat, Maroc


RESUME. Les accidents électriques par haute tension (AEHT) provoquent des brûlures profondes par effet Joule le long des axes vasculo-nerveux entre les points d’entrée et de sortie, qui sont le siège de lésions délabrantes. Les Auteurs rapportent une série de dix cas d’AEHT admis au service de chirurgie réparatrice et de brûlés de l’Hôpital Ibn Sina de Rabat à travers laquelle ils étudient les caractéristiques épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques. Tous les patients étaient des adultes de sexe masculin dont l’âge moyen était de 31 ans. Dans 70% des cas, ces brûlures étaient secondaires à un contact avec les distributeurs d’électricité avec une surface brûlée inférieure à 20%. Le traitement des lésions électrothermiques a nécessité des interventions itératives avec amputation des segments de membres nécrosés dans 70% des cas, dont les suites étaient marquées par des séquelles fonctionnelles invalidantes. La prévention des AEHT, en particulier pour les accidents du travail au sein des professions exposées, reste fondamentale.

Introduction

  L’électrisation désigne l’ensemble des manifestations physiopathologiques liées à l’action du courant électrique sur le corps humain, alors que le terme plus couramment employé d’électrocution correspond à un décès par électrisation.1 Les accidents électriques à haute tension (>1000 V) sont responsables de brûlures tissulaires profondes et sévères et se caractérisent par une évolution insidieuse et torpide.

  A travers une étude rétrospective réalisée au service de chirurgie réparatrice et de brûlés de l’Hôpital Ibn Sina de Rabat, et intéressant une série de dix patients, les Auteurs étudient les caractéristiques épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques de ces accidents électriques à haute tension.

Matériels et méthodes

De février 2006 à septembre 2007, dix patients victimes de brûlures électriques par haut voltage ont été admis au service de chirurgie plastique de l’Hôpital Ibn Sina de Rabat. Il a été analysé dans cette étude l’âge, le sexe et la profession des patients, de même que le mécanisme, le siège, la profondeur et l’étendue de la brûlure, ainsi que les différentes techniques du traitement.

Résultats

  Tous les patients étaient des adultes de sexe masculin avec une tranche d’âge variant de 22 à 50 ans et un âge moyen de 31 ans.

  Dans sept cas (70%) les brûlures étaient secondaires à un contact avec des distributeurs d’électricité (chez des électriciens de profession dans cinq cas, les deux autres cas étaient enregistrés chez des voleurs de cuivre); chez deux patients, elles étaient secondaires à un contact avec un conducteur non isolé. Le contact avec un poteau électrique a été noté dans un cas.

  Les lésions observées étaient secondaires à la coexistence de brûlures électrothermiques par contact direct et de brûlures par arc électrique chez deux patients et de brûlures électrothermiques associées à un traumatisme crânien suite à la projection provoquée par l’électrisation chez un patient. Dans les autres cas, il s’agissait de brûlures électrothermiques.

  Chez tous nos patients, le point d’entrée du courant s’est fait par la main (deux mains dans trois cas), le point de sortie se faisant au niveau des membres inférieurs; il s’agissait de brûlures intermédiaires avec des brûlures de troisième degré au niveau des points d’entrée et de sortie du courant. L’étendue de la surface brûlée variait de 5 à 55% de surface corporelle, mais dans 70% des cas elle était inférieure à 20%.

  Tous les patients ont bénéficié:

  Un bilan radiologique a été réalisé chez trois patients à la recherche de lésions associées provoquées par la chute due à l’accident électrique et a montré un hématome intracérébrale avec des foyers de contusion multiples chez un patient.

  Après stabilisation de l’état respiratoire et de l’état hémodynamique comportant un remplissage vasculaire suffisant pour prévenir l’insuffisance rénale myoglobinurique, une antibiothérapie préventive visant les germes communautaires et anaérobiques a été instaurée avec sérothérapie antitétanique systématique, de même qu’une anticoagulation à base d’héparine de bas poids moléculaire à dose curative pour limiter les thromboses vasculaires chez tous nos patients. Pour ce qui est des atteintes associées à la brûlure, on a noté chez un seul patient un traumatisme crânien grave secondaire à la chute entraînant un accident vasculaire cérébral hémorragique.

  Le syndrome des loges au niveau des avant-bras a été recensé chez neuf patients imposant des incisions de décharge musculo-aponévrotiques précoces en urgence.

  Des nécrosectomies ont été réalisées chez tous les patients, surtout au niveau des points d’entrée, emportant les tendons et nerfs nécrosés au niveau du poignet exposant les structures nobles chez deux patients imposant la couverture par lambeau inguinal (McGregor), mais aussi au niveau des points de sortie à l’origine de pertes de substance cutanée, surtout au membre inférieur, couvertes par simple greffe de peau semi-épaisse après bourgeonnement.

  Les amputations du membre supérieur ont été réalisées chez sept patients. La microthrombose vasculaire évolutive a conduit à la désarticulation de l’épaule chez deux d’entre eux.

  On a noté un seul décès chez un patient secondaire à un traumatisme crânien grave suite à la chute due à l’accident électrique.

<% immagine "Fig. 1","gr0000005.jpg","Lésions profondes de la main et du poignet correspondant au point d’entrée du courant.",230 %> <% immagine "Fig. 2","gr0000006.jpg","Aspect calciné de tout le membre supérieur chez le même patient à jour 5. L’ischémie due à la microthrombose vasculaire évolutive a conduit à la désarticulation.",230 %> <% immagine "Fig. 3","gr0000007.jpg","Nécrose de la face antérieure de la cuisse reflétant la profondeur des lésions au niveau des points de sortie lors des accidents électriques par haute tension.",230 %>

Discussion

  Les lésions occasionnées par le passage du courant électrique de haut voltage sont graves et dépendent des différents paramètres qui caractérisent le contact avec le conducteur: intensité, tension, résistance au passage du courant lorsqu’il est continu ou impédance en courant alternatif, fréquence du courant, temps et surface de contact. Lors du passage du courant électrique dans un conducteur, il se produit un dégagement de chaleur qui obéit aux lois physiques de Joule: Q = I 2RT et d’Ohm: I = V/R.

  Dans ces équations, Q représente le dégagement de chaleur produit en joules, I est l’intensité du courant en ampères, R la somme des résistances en ohms, V le voltage en volts et T le temps de contact en secondes.

  Les lésions observées au cours des AEHV sont donc de deux sortes: les unes proviennent de la dépolarisation induite par le passage du courant électrique, les autres de la chaleur qu’il dégage proportionnellement à la résistance des tissus traversés.3

  La tension du courant est généralement connue lors d’un accident électrique (AE). Elle détermine la quantité de chaleur libérée par le courant selon les lois d’Ohm et de Joule. 4 Les AE par haute tension, avec passage du courant à travers l’organisme, provoquent des brûlures profondes par effet Joule le long des axes vasculo-nerveux entre les points d’entrée et de sortie qui sont le siège de lésions délabrantes.5

  Ces lésions sont évolutives pendant trois à quatre jours après l’électrisation, et suivent préférentiellement les tissus de moindre résistance (dans l’ordre croissant de résistance: nerf < vaisseaux < muscle < peau < tendons < graisse < os). Les éléments les plus vulnérables sont donc les pédicules vasculo-nerveux, le courant électrique créant notamment des lésions intimales responsables de thromboses vasculaires extensives. Elles peuvent au maximum créer une véritable ischémie du membre atteint et aboutir à une amputation; ces lésions intimales peuvent parfois passer inaperçues (même à l’artériographie). 6 Le seul examen vraiment fiable est l’examen microscopique des vaisseaux concernés: en cas d’indication de lambeau libre, l’élément déterminant sera l’aspect microscopique du bout proximal du vaisseau receveur au niveau de la zone à traiter.

  Dans notre série, la population des accidentés est une population active, jeune et de sexe masculin. L’erreur humaine, la méconnaissance du courant électrique, l’imprudence sont retrouvées dans l’accident électrique. Il s’agissait surtout d’accidents professionnels chez des électriciens par défaut de sécurité. Par opposition aux brûlures thermiques, l’importance des lésions cutanées profondes (deuxième profond et troisième degré) contraste avec les dimensions de l’atteinte cutanée qui était inférieure à 20% de la surface corporelle chez 70% des patients.

  Le traitement général inclut la prise en charge préhospitalière sur les lieux de l’accident, et en milieu hospitalier permettant la stabilisation de l’état respiratoire et de l’état hémodynamique, mais également un traitement chirurgical reposant d’abord en urgence sur les incisions de décharge musculo-aponévrotiques réalisées dans 90% des cas dans notre série; mais aussi sur des nécrosectomies larges permettant de diminuer le risque de surinfection et de limiter les conséquences générales et fonctionnelles de la rhabdomyolyse. En raison de l’évolutivité des lésions cellulaires les premiers jours, l’excision des tissus nécrosés est réalisée après un délai d’au moins 72 h après l’électrisation. 8 Dans notre série, le choix du moment et de l’étendue des résections a été basé sur l’inspection minutieuse des lésions lors des pansements, ainsi des nécrosectomies itératives ont été effectuées jusqu’à l’éradication complète des tissus nécrosés. Les amputations ont été nombreuses dans notre série, intéressant 70% des cas, tout en ayant comme objectif être conservateur afin de permettre un appareillage moins invalidant.

  Lorsqu’un lambeau est nécessaire, il est pédiculé le plus loin possible de la zone «électrisée» afin d’être assez à distance des lésions vasculaires; lors de brûlures électriques très étendues, on préférera un lambeau pédiculé à distance (lambeau inguinal, lambeau-greffe de Colson, 10 cross leg…) à un lambeau prélevé sur le même membre. 9 De même, on préférera une couverture par lambeau semi-libre, avec microanastomose sur un site donneur très à distance du traumatisme à un lambeau libre classique dont la zone receveuse est potentiellement lésée. 6

  Dans notre série, le lambeau inguinal de McGregor a été utilisé pour recouvrir et protéger les structures nobles tendineuses et nerveuses exposées au niveau des poignets chez deux patients. Le recouvrement des pertes de substance cutanées s’est effectué par des greffes dermo-épidermiques. Une fois les lésions stabilisées au bout de quelques mois, des greffes nerveuses et des transferts tendineux seront réalisés dans le but d’une réhabilitation fonctionnelle. Le traitement est complété par des séances de rééducation fonctionnelle. L’appareillage termine la restauration fonctionnelle.

  Dans notre série, un seul décès a été déploré. Les séquelles étaient dominées par l’handicap de la perte d’un membre ou d’un segment de membre lié aux amputations ou aux raideurs articulaires; les autres séquelles fonctionnelles mineures et esthétiques sont représentées par des cicatrices invalidantes et inesthétiques siégeant surtout aux mains et des troubles trophiques au niveau des membres inférieurs.

  Au total, la chirurgie des brûlures par haute tension est souvent très délabrante et les séquelles fonctionnelles très lourdes. La kinésithérapie et la rééducation débutées précocement sont particulièrement importantes dans ce contexte,11 de même que la prise en charge des séquelles psychologiques.12

  Les efforts portant sur la prévention des AE sont donc essentiels, 13 en particulier pour les accidents du travail au sein des professions exposées.

  Elle comporte des mesures simples mais aussi des mesures techniques parfois complexes:

Conclusion

  Les brûlures électriques représentent une urgence médicochirurgicale dont il faut connaître tous les aspects afin d’envisager une orientation et une thérapeutique adéquate et rapide. La mortalité liée aux accidents électriques a diminué de façon sensible grâce au développement de la prise en charge préhospitalière médicalisée et grâce aux progrès de la réanimation. Malheureusement, la morbidité des accidents de travail liée au courant à haute tension et responsable d’une invalidé fonctionnelle reste majeure, et le coût de la prise en charge de ces patients particulièrement élevé, d’où l’importance des efforts portant sur la prévention.


SUMMARY. High-voltage electrical accidents (HVEA) cause deep scalds by the Joule effect along the vasculonervous axis between the entry and exit points, which are the seat of lacerating lesions. A series is reported of ten cases of HVEA admitted to the service of plastic surgery and burns unit, Ibn Sina Hospital, Rabat, Morocco, in which the epidemiological, clinical, and therapeutic characteristics are studied. All the patients were male (mean age, 31 yr). In 70% of the cases, the scalds were secondary to contact with the distributors of electricity. The burn surface area was less than 20% in 70% of the cases. The treatment of electrothermic lesions required iterative interventions with amputation of necrotic member segments in 70% of cases, with sequelae marked by disabling functional after-effects. The prevention of HVEA, and particularly of industrial accidents within certain occupations, remains fundamental.



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<% riquadro "This paper was received on 3 January 2008.
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