Annals qf the MBC - vol. 3 - n' 1 - March 1990
LA PLACE DE L'EXPANSION CUTANÉE DANS LES SEOUELLES DE
BRÛLURES
S. Baux
Hòpital Rothschild, Paris, France
RÉSUMÉ. Il
existe une grande variété d'expandeurs cutanés, dont deux grands types s'opposent: les
modèles à valve incorporée et les modèles avec valves à distance. L'auteur décrit
son expérience avec les expandeurs mis en place chez 137 patients. Il analyse en outre
les types divers d'expandeurs et leurs avantages et leurs désavantages. La connaissance
de cette technique de l'expansion cutanée n*est pas encore complète, mais elle permet
déjà à l'heure actuelle de résoudre chez le brûlé un certain nombre de problèmes
encore insolubles il y a peu et notamment l'exérèse des vastes placards cicatriciels.
Depuis le premier essai d'expansion
cutanée tentée par Neuman en 1957, 20 ans s'écoulèrent avant que Radovan la remette en
honneur dans les reconstructions mammaires. Dès lors ses indications se sont multipliées
et la littérature abonde d'articles à ce sujet. Ce développement tardif peut paraÎtre
étonnant alors que la nature et la pathologie nous offre des exemples quotidiens
d'expansion cutanée (grossesses, tumeurs, femmes à plateau ou femmes girafes d'Afrique,
etc ... ). Il est en fait probablement en rapport direct avec la qualité du matériel
d'expansion.
A l'heure actuelle nous possédons une grande variété d'expandeurs, de formes et de
tailles variables, tous en silicone de qualité médicale parfaitement tolérés. Deux
grands types s'opposent: les modèles à valves incorporées et des modèles avec valves
à distance. Les premières ont l'inconvénient de provoquer une hyperpression dans la
chambre d'expansion et d'exposer à la piqûre de l'expandeur à la moindre erreur lors du
gonflage. Les secondes ont l'avantage d'être séparées de la zone d'expansion et
théoriquement d'offrir moins de risques infectieux à son niveau lors des gonflages. Mais
elles nécessitent une mise en place plus difficile et avec un deuxième décollement.
La mise en place de l'expandeur se fait sous anesthésie générale. L'incision reste
sujette de discussion, parallèle ou perpendiculaire à la lésion. A notre sens,
cependant deux points sont importants:
- L'incision primitive
doit pouvoir être reprise lors de
la deuxième intervention et doit donc être adaptée au type de lambeau projeté.
- L'incision
doit être suffisamment étendue pour
permettre une dissection aisée de la poche et un bon contrôle de l'hémostase.
La dissection de la poche doit être la
plus atraumatique possible. Les dimensions de celle-ci doivent être un peu supérieures
aux dimensions de l'expandeur de façon à ce que celui-ci puisse être étalé sans aucun
pli. Il est d'ailleurs bon, une fois celui-ci mis en place, de gonfler un peu pour
déplier. Puis ce liquide est retiré avant la fermeture. Celle-ci est exécutée en deux
plans. Un drainage aspiratif a été mis en place qui sera retiré lorsqu'il donnera moins
de 10 cc par 24 heures. Le gonflage ne sera commencé que vers le lOème jour, une fois la
cicatrisation cutanée correctement terminée et les fils enlevés.
En principe on injecte 1/lOème du contenu théorique de la poche à chaque fois. Le
rythme est de une à deux fois par semaine. En fait le guide à chaque gonflage est la
couleur de la peau (tout blanchiment oblige à retirer quelques cc) et la douleur, ce qui
fait que la quantité injectée diffère souvent des quantités théoriques. D'une
manière générale, il est possible d'injecter plus en début d'expansion qu'à la fin de
celle-ci. Quant au rythme, il est aussi variable en tenant compte de l'évolution de
chaque cas mais aussi des problèmes psycho-sociaux et économiques du sujet. Il peut
être ainsi autant ralenti que l'on veut et à l'inverse, on essaie à l'heure actuelle
des expansions en continu par machine ou par seringue électrique.
Le point capital est en fait le plan d'utilisation de la peau expansée. Celui-ci doit
être soigneusement imaginé à l'avance. Le type du lambeau (avancement, transposition,
etc ... ) et ses dimensions doivent être déterminés à l'avance avec un grand soin et
c'est de ces données que découlent la forme et la taille de l'expandeur et son lieu
d'insertion.
Les utilisations de l'expansion cutanés sont nombreuses: exérèse de tumeur (naevus
géant en particulier), reconstruction de seins, traitement de la calvitie, exérèse de
cicatrice, etc.... Chez le brulé, son intérêt est évident, permettant de recouvrir par
une peau adaptée l'exérèse de placards cicatriciels.
De 1984 à 1989 nous avons mis en place 400 expandeurs dont 26 sont encore en place. 374
cas sont donc exploitables, dont 318 mis en place pour des séquelles de brûlure (80%).
Cette expérience porte sur 137 patients avec 66% de femmes et un âge moyen de 29 ans. Le
nombre de malades est donc très inférieur au nombre d'expandeurs mis en place et ceci
pour deux raisons:
- Le nombre d'expandeurs mis en place à chaque intervention
est variable, allant de 1 à 6 avec une moyenne de 2.
- Des expansions itératives chez le . même patient, soit
pour compléter le résultat en une même région, soit pour en traiter une autre. Ces
réexpansions en général, séparées par 6 mois, sont au nombre de 2, 3 voire 4 chez un
même malade. La forme de l'expandeur la plus utilisée a été la rectangulaire (32%),
presque à égalité avec les ovalaires (29%). Les expandeurs tonds nous ont semblé
aboutir à une plus grande difficulté d'utilisation. Enfin dans un certain nombre de cas,
l'expandeur a été dessiné selon le plan donné par le chirurgien et fabriqué sur
mesure. Dans 2 cas sur 3 nous avons préféré une valve à distance et on verra que cette
tendance a été en s'accentuant. Le volume a été variable avec une moyenne de 300 cc
injectés.
Deux remarques sont intéressantes:
- Plus l'expérience augmente et plus on a tendance à
augmenter le volume de l'implant. Actuellement, nous utilisons des expandeurs plus
volumineux.
- Le volume mesuré en fin d'expansion est souvent inférieur
à celui calculé témoignant probablement d'une fuite légère dans le dispositif (316 cc
de volume moyen calculé pour 297 cc de volume retrouvé à l'intervention).
La localisation a été variée et toutes
les régions anatomiques en pratique ont fait l'objet de l'expansion. On reviendra plus
loin sur leurs difficultés particulières.
Le type de lambeau préparé par l'expansion a été le plus souvent un lambeau
d'avancement (72%) mais aussi des lambeaux de rotation (12%), transposition (12%), plus
rarement de translation ou à distance (2% chacun).
Les résultats ont été classés en "excellents" et "bons"
(regroupés en "satisfaisants") et en "échecs". Les résultats
"excellents" sont la réalisation à 100% du plan prévu. Le résultat n'est
jugé que "bon" s'il n'est resté qu'entre 100 et 50% de ce que l'on espérait
comme possibilité d'exérèse. Au-dessous, il s'agit d'échec. Un groupe à part à
réuni les cas compliqués quelle que soit l'importance de la complication, ce qui fait
que certains cas de ce groupe ont pu aboutir à des résultats satisfaisants malgré des
ennuis alors que d'autres aboutissaient à des échecs. Les résultats globaux font
apparaître 76% de résultats satisfaisants et 24% d'échecs. Lorsque l'évolution est
dépourvue de complications, le taux de bons résultats est très élevé (240 sur 259,
soit 90%). Les échecs proviennent d'erreur d'indications dans la mesure où l'expansion
produite s'avère à l'usage trop faible par rapport au but envisagé. Mais en fait le
pourcentage trop élevé d'échecs provient surtout des complications (34%). Celles-ci
sont variées. La majorité d'entre elles est en rapport avec des infections et des
expositions de la prothèse, moins fréquemment avec des fuites au niveau du système
d'expansion (parfois provoquées par une erreur lors du gonflage). Exceptionnellement on
déplore des accidents lors du 2ème temps d'expansion: nécrose partielle d'un lambeau,
désunion. Ce taux, quoique trop élevé, se situe cependant dans la fourchette des
statistiques de la littérature où les complications vont de 4 à 40%. Citons notamment
l'importante statistique de Manders avec 25% de complications aboutissant à un mauvais
résultat, chiffre très voisin du nôtre où, compte tenu des cas compliqués ayant
évolués convenablement, les mauvais résultats sont également de 24%.
Nous avons cherché à établir des corrélations avec un certain nombre de paramètres.
L'âge est apparu sans incident. Par contre, nous avons noté environ le double d'ennuis
avec les valves incorporées par rapport aux valves à distance, ce qui explique, comme on
l'a dit, notre tendance à ne plus utiliser que celles-ci. La corrélation avec la
localisation de l'expansion est discutable statistiquement. Cependant notre impression est
que le membre inférieur est moins favorable que le supérieur, la face externe de la
cuisse moins propice que la face interne, l'expansion distale plus aléatoire que la
proximale, le cou plus dangereux que le tronc. Mais il ne nous est pas possible d'affirmer
ceci de façon statistiquement valable. Par contre, contrairement à ce que nous avons cru
au début, l'expansion chez le brulé n'est pas plus risquée que dans d'autres
indications (exception faite sans doute de la reconstruction mammaire).
Le pourcentage de succès et d'échecs est identique dans la série "brulés" et
la série relevant d'autres indications. Beaucoup plus importante nous a semblé
l'évolution du taux de complications en fonction de l'expérience acquise. Au cours des
années des modifications techniques ont été introduites: voie d'abord plus large et
plus large dissection de la poche, drain d'aspiration laissé plus longtemps, gonflage
commencé plus tardivement, couverture antibiotique per-opératoire. Si on compare les
résultats des 2 premières années avec celles des 3 dernières on constate que le taux
des complications est passé de 46% à 31% et le taux des échecs de 45% à 18%. Il est
possible d'espérer que cette tendance va continuer et l'expansion cutanée gagner en
sécurité. Cependant, un nombre de problèmes demeure: les uns techniques et les autres
biologiques.
Du point de vue technique, que doit-on penser du type de valve, peut-on utiliser des
valves extériorisées? Quel mode de gonflage adapter: discontinu ou continu? Peut-on
utiliser des gonflages rapides? Contrôle par prise de pression? etc... Un autre problème
majeur est le volume de la prothèse et la nécessité de prendre en compte la rétraction
secondaire probable du lambeau. Malgré de nombreuses recherches, les critères demeurent
flous.
Du point de vue biologique, la plupart des auteurs décrivent au niveau de la peau
expansée un épaississement de l'épiderme et un amincissement du derme, gardant en tout
une épaisseur constante. Cela ne nous est pas paru être constamment le cas et même nous
avons observé l'inverse sans pouvoir apporter d'explication satisfaisante. Enfin le rôle
de la membrane d'exclusion est un problème capital: est-elle facteur ou non d'un apport
vasculaire supplémentaire rendant plus fiables les lambeaux? De la réponse à cette
question dépend la possibilité de la sectionner ou non, voire de l'exciser pour
faciliter l'étalement.
Au total done l'expansion cutanée recèle encore un certain nombre d'inconnus. D'une
meilleure connaissance de cette technique encore neuve, on peut espérer la raréfaction
des complications et l'amélioration des résultats. Mais quoi qu'il en soit, elle permet
déjà à l'heure actuelle de résoudre chez le brulé un certain nombre de problèmes
encore insolubles il y a peu et notamment l'exérèse des vastes placards cicatriciels.
SUMMARY. There
are many varieties of skin expanders, which fall broadly into two main types: built-in
valve models and distant valve models. The results are described of the use of expanders
applied to 137 patients. The diflerent types of expanders are analysed and a comparison is
made of their advantages and disadvantages. Understanding of the technique of skin
expansion is not yet complete, but already it makes it possible to resolve in the bum
patient a number of problems that until recently were still insoluble, notably the
excision of vast cicatricial areas.
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