Annals of'the MBC - vol. 4 - n* 4 - December 1991

BRULURE PAR ACIDE SULFURIOUE ET VITRIOLAGE: DEUX LESIONS POUR UN MEME PRODUIT

Bodnar M., RougO R, Grolleau J.L., Conil J.M., Laguerre 1, Favarel H., Brouchet A., Nicoulet B., Micheau R, Gavroy J.P. *, Costagliola M.

Services des Grands Brülés et de Chirurgie Plastique, Toulouse-Rangueil, France * Centre de Rééducation Docteur Ster, Lamalou Les Bains, France


RÉSUMÉ. Les auteurs décrivent cinq cas de brûlure par acide sulfurique. Ils prennent en considération le mécanisme lésionnel de l'acide sulfurique et les complications qui peuvent se produire. Ils concluent en proposant des traitements.

Sur une période s'étalant de janvier 1984 à juillet 1991, 5 10 patients ont été hospitalisés dans Je service des Grands Brûlés de Rangueil. Parmi ces patients, 455 patients, soit 89,2%, étaient admis pour des brûlures thermiques alors que 17, soit 3,3%, étaient admis pour des brûlures chimiques (4,7% pour Sinha (12) sur une série de 1248 patients).
Parmi tous les agents chimiques connus susceptibles de provoquer des brûlures, l'acide sulfurique tient une place originale tant par son mécanisme lésionnel que par le rôle qu'il joue au sein de l'imaginaire social en cas d'agression.
Les agents chimiques responsables sont variés mais les plus fréquents sont l'acide sulfurique puis l'acide fluorhydrique (voir tableau 1).

Acide sulfurique

5

Acide fluorhydrique

4

Soude caustique

2

Phénol

3

Acide chlorhydrique

2

Autres

1

Total

17

Tableau 1 Les observations

Les cinq cas de brûlures par acide sulfurique observés dans notre service comprennent une double agression à domicile et trois accidents de travail avec projection d'acide sulfurique.
Dans les cas d'agressions, il s'agit d'acide sulfurique impur ou vitriol, alors que dans les autres cas l'agent responsable est l'acide sulfurique concentré et pur.
A. La double observation d'agression est exemplaire.
Il s'agit d'un couple agressé à domicile pendant leur sommeil par une projection de vitriol.

  1. Monsieur F. âgé de '44 ans a été hospitalisé pour brûlure du 3emme degré du membre supérieur gauche, soit 11% de la surface corporelle totale. A un syndrome de détresse respiratoire aigue qui nécessite une ventilation assistée avec trachéotomie. A un syndrome d'immun dépression acquis transitoire: infection à cytomégalovirus, herpès cutané généralisé, septicémie à staphylocoque dore multirésistant suivi quelques jours plus tard d'un syndrome abdominal aigu avec diarrhée profuse, iléus fonctionnel qui a nécessité une laparotomie exploratrice permettant la découverte d'une appendice gangréneuse.
    A hépatite cytolitique qui peut être d'origine infectieuse ou toxique. Dans ce contexte, une hyperalimentation parentérale exclusive a été nécessaire de JI à
  1. L'évolution est marquée sur le plan médical
  2. Sur le plan chirurgical:

Déficit transitoire médio-cubital du membre supérieur gauche, atteinte cornéenne bilatérale avec diminution de l'acuité visuelle. Brûlure du 3 êl, degré nécessitant une excision chirurgicale suivie:

  • d'autogreffe dermo-épidermique mince continue au niveau du visage et des paupières
  • d'autogreffe dermo-épidermique mince expansée au niveau du membre supérieur gauche.

Au total, brûlure du 3 ème degré limitée à 11% mais grave avec menace rapide du pronostic vital, fonctionnel et esthétique.

  1. Madame B. âgée de 36 ans, victime au domicile de Mr. F. de la projection d'acide sulfurique impur concentré. En raison du faible pourcentage de surface corporelle concernée, 3% de 3% , degré, au bras droit il a été possible de réaliser une greffe dermoépidermique mince après excision de la nécrose.
    B. Les trois autres observations
    Trois hommes jeunes âgés de 3 2 à 3 5 ans victimes d'accidents du travail avec projection au niveau du visage d'acide sulfurique pur. Il s'agit de brûlures du 2'-, degré superficiel médio-faciales avec pour l'un d'entre eux une petite ulcération cornéenne de l'oeil droit traitée médicalement.

Ces patients ont été hospitalisés de 24 heures à 48 heures dans le service de Chirurgie Plastique et traités médicalement en ambulatoire. La cicatrisation sans séquelle a été la règle en 3 semaines.

En quoi le vitriol différe-t-il de l'acide sulfurique pur?

L'acide sulfurique pur, de formule chimique H2SO4 se présente sous la forme d'un liquide incolore, inodore, de consistance sirupeuse. En revanche, le vitriol ou acide sulfurique impur ou Oléum résulte de la dissociation partielle de HIS04 en eau et en sulfate d'anhydride selon la formule

H2SO 4 = H,O+SO

Le sulfate d'anhydride (S03) est un corps chimique particulièrement visqueux et adhérent qui constitue un véritable support gélatineux de l'acide sulfurique.
Au XVI11 et XVIlè- siècle, il n'existait pas un vitriol, mais plusieurs. En fait, le terme vitriol qualifiait un composé chimique dont la constitution incluait le radical sulfate ou sel d'acide sulfurique. Les vitrioleries préparaient ainsi artisanalement avec des moyens de fortune:

  • le vitriol bleu ou de chypre (sulfate de cuivre)
  • le vitriol vert ou martial (sulfate de fer)
  • le vitriol blanc (sulfate de zinc)
  • l'huile dé vitriol ou vitriol (sulfate d'anhydride associé à l'acide sulfurique).

Au cours du temps, le mot vitriol devint inusité car les progrès technologiques permirent la synthèse d'acide sulfurique pur, l'acide sulfurique impur prenant le nom d'Oléum.
Les oléums sont des liquides denses et visqueux rappelant I'hàile colorés en brun qui émettent à temperature ambiante des fumées blanchâtres et lourdes, d'odeur piquante et pénétrante. En plus de ces propriétés acides, l'acide sulfurique est un agent essentiellement déshydratant.

Quelle place l'acide sulfurique occupe-t-il
par rapport aux différents agents chimiques
responsables de brûlure?

- Agents oxydants

1. Acide chromique
2. Hypochlorate de soude
3. Permanganate de potassium

- Corrosifs

1. Phénol
2. Phosphore blanc
3. Dichromate
4. Poudres

- KOH
- NaOH
- NH4OH
- LiOH
- Ca/OH/ 3
- Na2

- Agents réducteurs

1. Alkylants mercuriels
2. Hcl
3. HNO 3

 

Poisons cellulaires

1. Cristalliseur de sel

- acide picrique
- acide tannique
- acide formique
- acide acétique
- acide trichloracétique

 

- Agents déshydratants

 

- acide sulfurique

2. Compétiteur métabolique

- acide oxalique
- acide hydrofluorique

Tableau II

Quel est le mécanisme lésionnel de l'acide sulfurique?

Les acides agissent par coagulation des capillaires freinant ainsi leur progression au sein des tissus alors que les alkalins provoquent une dissociation protéique avec pénétration de proche en proche expliquant le caractère plus insidieux et grave de ce type de brûlure.
Les études expérimentales de Gruber (5) en 1975 ont mis en évidence qu'après une brûlure par acide fort, lavée abondamment et immédiatement, l'action agressive dure 10 minutes, alors que les alkalins peuvent être actifs pendant une heure environ.
Le mécanisme d'action de HS0, est double: il agit d'une manière analogue à tous les acides par coagulation et, par son action déshydratante intense, il aggrave l'effet délétère.
Le vitriol ajoute un 3 '-, facteur aggravant: la viscosité, le temps de contact avec la peau étant ainsi largement prolongé du fait de la consistance du produit.

Les complications

  1. Action caustique nécrosante
  • Sur la peau: brûlures du 3 '-, degré si un lavage à l'eau n'est pas débuté dans les 3 ou 4 premières minutes.
  • Sur l'oeil: conjonctivite, érosion, voire perforation cornéenne, cataracte, glaucome, cécité définitive.

B. Complications moins connues et mal expliquées

  1. Action irritante sur l'appareil respiratoire
  • A faible concentration, des syndromes obstructifs sont observés d'autant plus facilement que le patient présente une hyperactivité bronchique
  • A concentration plus importante, syndrome de détresse respiratoire aigu, oedème lésionnel fréquemment compliqué de surinfection pulmonaire.
  1. Toxicité générale
  • Acidose métabolique avec élévation des différentes enzymes tissulaires
  • L'hyperleucocytose est de règle malgré un déficit immunitaire humoral.

Les formes cliniques, reflets d'une société

A. Les formes accidentelles
L'utilisation large de HIS04 dans l'industrie répond à des critères stricts de stockage et d'utilisation défini par les articles R 232-5 à R 232-14 du code du travail ainsi qu'aux circulaires ministérielles du 11 avril 1952 et 10 mai 1984. Ces mesures semblent efficaces puisque les accidents sont rares et les lésions mineures malgré une utilisation importante du produit dans tous les les secteurs industriels.
B. Les formes criminelles se résument au -'vitriolage" fréquent en France sous Louis XIV. La psychologie de l'auteur réside dans le désir de défigurer sans tuer et dans une impunité relative car le plus souvent il s'agit d'un crime passionnel. Le liquide est le plus souvent l'acide sulfurique et s'il atteint ordinairement son but, il éclabousse toujours l'entourage et parfois la criminelle elle-même.
Si de nos jours en occident, pareilles agressions sont devenues exceptionnelles, tel n'est pas le cas dans des pays comme l'Inde, où Sinha (12) rapporte plusieurs observations de brûlures intentionnelles infligées à la suite de contestations pour des questions de propriétés ou encore suite à des frustrations sexuelles.

Fig. 1. Brûlure par vitriol: Monsieur F., 44 ans; brûlure du 3eme degré du visage, atteinte cornéenne bilatérale; brûlure du 3eme degré membre supérieur gauche; 11% de la surface corporelle-, 60 jours d'hospitalisation; lourdes séquelles esthétiques et fonctionnelles. Fig. 2. Brûlure par acide sulfurique pur: Monsieur G., 32 ans; brûlure 2eme degré superficiel médio-facial, ulcération cornéenne de l'oeil droit; 1 jour d'hospitalisation; cicatrisation sans séquelle en 3 semaines.
Fig. 1. Brûlure par vitriol: Monsieur F., 44 ans; brûlure du 3eme degré du visage, atteinte cornéenne bilatérale; brûlure du 3eme degré membre supérieur gauche; 11% de la surface corporelle-, 60 jours d'hospitalisation; lourdes séquelles esthétiques et fonctionnelles. Fig. 2. Brûlure par acide sulfurique pur: Monsieur G., 32 ans; brûlure 2eme degré superficiel médio-facial, ulcération cornéenne de l'oeil droit; 1 jour d'hospitalisation; cicatrisation sans séquelle en 3 semaines.

Les traitements proposés

A. En urgence: Jelinko (8) en 1974 propose d'instituer une neutralisation par oxyde de magnésium et d'éviter le lavage à l'eau en raison de la forte réaction exothermique qui aggraverait les lésions tissulaires. En fait, s'il est vrai qu'une réaction thermique est provoquée par le contact avec l'eau, il reste que le facteur fondamental conditionnant l'extension de la lésion est le temps de contact.
Le lavage à l'eau, comme l'a montré Larry (9) (à condition qu'il soit précoce, abondant de telle manière que l'eau absorbe les calories dégagées, et d'une durée de 30 minutes), est le traitement d'urgence de la brûlure par acide sulfurique.
B. Après admission, dans un centre de brûlés
Lavage à l'eau savonneuse associé à un lavage avec une solution de sérum salé isoton 1 que et d'eau bicarbonatée à 2,5%. Ultérieurement le traitement est celui d'une brûlure du 3", degré limitée et des complications nécrotiques spécifiques (Ophtalmologique et O.R.L.) mais aussi le traitement palliatif par des procédés de réanimation générale et métaboliques.

Conclusion

L'acide sulfurique, très dangereux à l'état pur, devient redoutable dans sa forme impure. Le vitriol provoque des brûlures dont le mécanisme lésionnel est mal connu, possède une charge émotiennelle importante, disproportionnée si l'on considère la rareté de cette forme d'agression.
Le traitement des lésions par vitriol est celui d'un troisième degré limité ayant parfois de graves complications.
Le traitement des brûlures accidentelles par acide sulfurique pur est celui d'une brûlure superficielle en mosaïque mais il repose avant tout sur l'application des mesures de prévention.

 

SUMMARY. Five cases of sulphuric acid bums are described. The mechanism of the sulphuric acid bum lesion is considered, together with possible complications. In conclusion some treatments are proposed.


BIBLIOGRAPHIE

  1. Bromberg B.E., Song I.C., Walden R.H.: Hydrotherapy of chemical burns. Plast. Reconstr. Surg., 35: 85, 1965.
  2. Cecaldi P.F., Durigon M.: In "Médecine Légale à usage judiciaire", Ed. Cujas, Paris, 1979.
  3. Chi Sing Chu: Burns updated in China: 11. Special Bum Injury and Bums of special areas. J. Trauma, 22: 574-580, 1982.
  4. Curreri P.W., Morris M.C., Asch J., Pruitt M.C., Pruitt B.: The treatment of chemical burns: specialized diagnostic, therapeutic and prognostic considerations. J. Trauma, 10: 634-642, 1970.
  5. Gruber R.P., Donald, Laub R., Vistnes M.: The effect of hydrotherapy on the clinical course and ph of experimental cutaneous chemical bums. Plast. Reconstr. Surg., 55: 200, 1975.
  6. Herbert K., Lawrence J.G.: Chemical bums. Bums, 15: 381, 1989.
  7. Institut national de la recherche et de la sécurité, Fiche Toxicologique, ri, 30, Cahiers de notes documentaires, ri. 130, 1 ` trimestre 1988.
  8. Jelinko C.: Chemicals that bum. J. Trauma, 14: 65-74, 1974.
  9. Larry G., Leonard L.G., James J., Scheulen J.J., Munster: Chemical bums, effect of prompt first aid. J. Trauma, 22: 420, 1982.
  10. Lewis G.K.: Chemical burns. Am. J. Surg., 98: 928-937, 1959.
  11. Sawhnay C.P., Kaushish R.: Acid and alkali bums: considerations in management. Burns, 15: 132, 1989..
  12. Sinha S., Sinka J.K., Tripathi F.M., Bhattacharya V.: Chemical burns. Our experience over eleven years. Annals of the MBC, 3: 203-205, 1990.



 

Contact Us
mbcpa@medbc.com