Annals of the MBC - vol. 4 - n* 4 - December 1991

TRACHEOTOMIE CHEZ LE GRAND BRULE: 4 ANNEES D'EXPERIENCE

Favarel H., Laguerre J., Conil J.M., Rougé R., Bouchet A., Costagliola M.

Centre des Brûlés Félix Lagrot, C.H.U. de Rangueil, Toulouse, France


RÉSUMÉ. Chez le grand brûlé, nécessitant une assistance respiratoire prolongée, notre stratégie thérapeutique privilégie la trachéotomie même en zone brûlée. Cette étude reprend 45 cas et analyse les indications et les complications immédiates et secondaires selon que la trachéotomie est effectuée en zone brûlée ou non brûlée, en les comparant aux données de la littérature. Devant l'absence de différence significative entre les deux séries et le faible taux de complications, les auteurs considèrent que la brûlure cervicale n'est pas un obstacle à la trachéotomie.

Introduction

Le très grand brûlé qu'il soit défini par l'importance et la localisation de ses lésions cutanées ou par la présence de facteurs agravants: brûlure pulmonaire, âges extrêmes de la vie... bénéficie plus souvent d'une assistance respiratoire prolongée (21,28).
Depuis 4 années maintenant, notre equipe a choisi la trachéotomie comme mode de contrôle des voies aériennes. Par expérience, notre technique nous semble mieux adaptée à notre méthode de surveillance et de traitement. Nos patients sont trachéotomisés indifféremment en zone brûlée ou non brûlée. Les indications sont le plus souvent précoces pour brûlures de très grandes surfaces, oedème cervicofacial compromettant la liberté des voies aériennes, brûlure pulmonaire, soit secondairement pour épuisement respiràtoire, broncho-pneumopathie nosocomiale ou syndrome de détresse respiratoire aigu de l'adulte (13, 39).
Certaines équipes contre-indiquent la trachéotomie effectuée en zone brûlée ou ne l'autorisent que secondairement après excision-greffe de la région cervicale.
Le but de notre travail est d'analyser les 45 cas de trachéotomies effectuées dans notre service ces 4 dernières années, d'étudier les complications survenues en présence ou non de brûlures cervicales et de les comparer aux données de la littérature.

Malades et methode

Il s'agit d'une étude rétrospective d'une série consécutive de malades trachéotomisés, hospitalisés dans le centre des grands brûlés Félix Lagrot du mois de février 1987 au mois de février 1991.

A. Description de la population

On retrouve 45 brûlés graves dont l'âge moyen est de 39,7 ans avec des extrêmes de 16 à 89 (Figure 1). La composition est la suivante: 28 hommes d'une 'yenne d'âge de 37,9 ans avec des extrêmes de 21 à Mo 82 et 17 femmes d'un âge moyen de 42,6 avec des extrêmes de 16 à 86.

  1. Surface et gravité des brûlures
  • La surface totale de la brûlure est en moyenne à 57% avec des extrêmes de 9,5 à 90% (Figure 2).
  • La règle de Baux qui s'exprime par la somme de l'âge plus la surface totale de brûlures montre une moyenne à 99,4 avec des extrêmes entre 46,5 et 1,43 (Figure 3).
  • L'index UBS calculé à partir de la surface totale de brûlures plus trois fois le pourcentage de troisième degré montre une moyene a 170,6 avec des extrêmes de 18,5 à 360 (Figure 4).
  1. Indication de la ventilation artificielle On retrouve dans cette série trois grands groupes d'indications:
  • le très grand brûlé en raison d'une demande ventilatoire accrue à l'origine de l'épuisement
  • les brûlures graves de l'extrémité céphalique afin de permettre la liberté des voies aériennes et de faciliter le traitement local de la face
  • les brûlures pulmonaires vraies diagnostiquées par fibroscopie bronchique.

3. Critères de choix de la trachéotomie par rapport à l'intubation (3,7)

Sur un plan infectieux, la meilleure qualité du drainage permet d'éviter la rétention de sécrétions purulentes, broncho-alvéolaires dues à l'hyper-sécrétion bronchique.

Fig. 1. Pyramide des âges. Fig. 2. Surface totale de brûlure.
Fig. 1. Pyramide des âges. Fig. 2. Surface totale de brûlure.
Fig, 3. Règle de Baux. Fig. 4. Index U.B.S.
Fig, 3. Règle de Baux. Fig. 4. Index U.B.S.

Le shunt du carrefour aéro-digestif diminuait notablement les infections loco-régionales type sinusite ou parotidite par une meilleure hygiène de la cavité pharyngée. Enfin, on évite les traumatismes et la contamination microbienne favorisée par les intubations itératives.
Sur le plan sécurité, une éventuelle décanulation accidentelle ne pose aucun problème, en effet la recanulation est un geste infirmier de routine, à l'opposé de l'intubation naso-trachéale.
Le traitement chirurgical des brûlures de la face est facilité: pas de lésions de la columelle, absence de sécrétions purulentes s'écoulant à partir des narines sur les zones excisées ou autogreffées de la face ou du cou; absence de lie de fixation cisaillant les greffes.
On note également un meilleur confort pour le patient avec une déglutition possible, permettant une reprise alimentaire précoce. pansements sont de réalisation plus facile.

4. Techniques chirurgicales utilisées pour la trachéotomie

Cette ouverture temporaire des voies aériennes au niveau de la trachée cervicale est programmée chez des malades ayant déjà subi une intubation naso trachéale et dans les suites précoces de celle-ci. Aucune n'est pratiquée en urgence sur intubation impossible. Sur le plan technique, l'intervention s'effectue sous anesthésie générale, malade intubé et en ventilation assistée, installé en décubitus dorsal, la tête en hyper-extension avec billot sous les épaules. Après asepsie rigoureuse de la région laryngo-cervi cale, on pratique une cervicotomie trans-isthmique ou sous isthmique. En zone saine, on préfère, pour des raisons esthétiques, pratiquer une incision arciforme horizontale à mi-distance entre le manubrium sternal et le cartilage cricoïde. Par contre, en peau brûlée, une incision verticale facilite le repérage des différents anneaux, notamment en présence d'un oedème important.
La suite de l'intervention se pratique de manière suivante: mise en place d'écarteurs auto-statiques de Faraboeuf, incision de l'aponévrose cervicale moyenne-, mise en évidence de l'isthme thyroïdien; isolement éventuel de celui-ci avec section entre deux pinces de Kocher et suture des moignons. L'ouverture e la trachée s'effectue entre le 2 èI' et le 4 èl, anneau, avec création d'un volet à charnière inférieure et amarrage à la peau par un fil vicryl 3/0 (Figure 5). La présence de ce fil a pour but de faciliter le premier changement de canule lorsque le puits cutanéo muqueux n'est pas encore parfaitement constitué (Figure 6). Après mise en place de la canule, celle-ci est fixée, après vérification de l'airway, par deux gros points.

Fig. 5. Trachéotomie. Volet à charnière inférieure. Fig. 6. Trachéotomie. Amarrage du volet à la peau.
Fig. 5. Trachéotomie. Volet à charnière inférieure. Fig. 6. Trachéotomie. Amarrage du volet à la peau.

Après contrôle de l'hémostase, on effectue, si nécessaire, un rapprochement des berges en un plan, par points en U peu serrés.
Lors de trachéotomies pratiquées en peau brûlée, la zone périorificielle n'est pas systématiquement excisée d'emblée. Son ablation est effectuée le plus souvent lors de la première séance d'avulsion entre le 3 è-, et le 5 èl, jour.
Les canules de trachéotomie utilisées sont de type Rush armées avec ballonets basse pression et contrôle continu de la pression par manomètre.
La ventilation artificielle est assurée par respirateur de type CPU ou César en mode assisté contrôlé avec sédation type diazanalgésie (MidazolamPhénopéridine) pendant la période initiale d'excision-greffe.
Le sevrage s'effectue ensuite sous ventilation intermittente variable (VIV) avec aide inspiratoire (AI), lorsque le patient est connecté à un ventilateur type CPU et sous ventilation spontanée avec aide inspiratoire (VSAI) et fréquence minimum imposée, soit ventilation assistée intermittente variable (VAIV) avec objectif fréquence lorsque le patient est assisté par un ventilateur type CESAR.
Une canule parlante de Brocas sert de transition avant décanulation définitive.
Sur le plan clinique est surveillée la bonne pénétration de la canule, l'absence de tractions parasites et l'adaptation du malade à la machine.
Sur le plan para-clinique, le protocole de soins infirmiers vise:

  • à optimiser la ventilation par des aspirations fréquentes mais douces
  • à obtenir une bonne humidification des voles aériennes en maintenant température et niveau d'eau correct dans l'humidificateur
  • à prévenir la compression de la muqueuse trachéale par une surveillance continue de la pression au niveau du ballonet
  • a limiter l'auto-contamination par le renouvellement du trachéoflex tous les deux jours et le changement des circuits inspiratoire et expiratoire toutes les semaines
  • à maintenir enfin l'intégrité cutanée autour de l'orifice par un pansement biquotidien utilisant Tulle gras ou Bétatulle.

B. Le but de ce travail est d'évaluer les complications immédiates et secondaires des trachéotomies chez le sujet brûlé-, trachéotomies pratiquées indifféremment en zone saine ou en zone brûlée et de les comparer avec les données de la littérature. Il s'agit également d'apprécier la nécessite d'un changement d'attitude à venir ou la nécessité de la mise en place d'une étude prospective randomisée.

C. Les critères de jugement

  1. Analyse des indications de la trachéotomie.
  2. Etude de la mortalité: ont été étudies successivement la mortalité globale, les indices de gravité des malades décédés par rapport à la population et l'incidence d'une brûlure cervicale sur la mortalité.
  3. Les complications de la trachéotomie pendant la phase aiguë:
  • Les hémorragies: ont été différenciées les hémorragies précoces pendant l'acte opératoire et les hémorragies tardives durant la réanimation.
  • Les fistules oeso-trachéales.
  • Les fuites aériques: pneumo-thorax, emphysème sous-cutané ou pneumo-médiastin.
  • Les problémes mécaniques: obstruction de la sonde par bouchon.
  • Les complications infectieuses survenues après la trachéotomie et susceptibles d'être attr~buées à celle-ci (les patients trachéotomisés pour complications étaient volontairement exclus de cette analyse). Nous avons recherché ici trois situations pathologiques:
    • la colonisation bronchique définie par la présence de 101 germes par ml au niveau des aspirations bronchiques
    • la broncho-pneumopathie définie comme l'association d'une image radiologique, de signes cliniques et biologiques et l'existence d'un germe identifié (21)
    • le syndrome de détresse respiratoire aigu de l'adulte (SDRA) à type d'oedème lésionnel défini comme suit (4):
    • Pa02 < 75 mm de mercure avec Fi02 ou= à 50%,
    • PEP > ou = à 5 cm d'eau,
    • volume courant supérieur à 10 ml par kg pendant plus de 24 heures avec un rapport I/E = 1/2 et une courbe d'insufflation carrée.

Sur le plan radiologique, présence d'opacites interstitielles et/ou alvéolaires rapidement progressive, non systématisées, hétérogènes et bilatérales-, ceci étant corrélé aux critères cliniques.
La surveillance permettant d'apprécier ces complications est basée sur les critères cliniques, biologiques, gazométriques, radiologiques quotidiens ou pluri-quotidiens, ainsi que sur des critères bacté rio-myco logiques à partir des prélèvements bronchiques, cutanés et sanguins. Ces examens sont pratiqués de façon systématique à l'entrée du malade, puis de manière hebdomadaire, associée à des prélèvements ponctuels lors de signes d'appel. Les prélèvements bronchiques sont effectués par aspiration simple ou sous fibroscopie, exceptionnellement par brossage bronchique et lavage broncho-alvéolaire.

  1. Les séquelles de la trachéotomie: il s'agit ici d'apprécier le retentissement clinique d'une éventuelle sténose trachéale. Lors de la consultation des séquelles de brûlures: recherche d'une dyspnée inspiratoire ou d'un tirage. Le contrôle fibroscopique ou tomographique n'est demandé que sur signes cliniques patents. On analyse d'autre part les facteurs favorisants reconnus de sténose tels la durée de la trachéotomie et la durée de l'intubation préalable.

Résultats

  1. Indications de la trachéotomie Pendant les quatre années de l'étude, 45 malades ont été trachéotomisés sur les 306 hospitalisés dans l'unité des grands brûlés, soit 14,7%.
  2. La mortalité
  3. La mortalité globale: on note 15 décès sur 45 patients, soit 33,3%. La population des malades décédés est caractérisée par les indices de gravité suivants:
    • surface totale de brûlures: moyenne 66,1% avec des extrêmes de 20 à 90%
    • règle de Baux: moyenne 107,3 avec des extrêmes de 78 à 126
    • index UBS: moyenne 225,5 avec des extrêmes de 80 à 360.
  1. Incidences d'une brûlure cervicale: on observe dans la série des malades non brûlés du cou 2 décès sur 6 patients, soit 33,3%, et dans la série des patients brûlés du cou 13 décès sur 39, soit 33,3%.

Complications la phase aiguë

  1. Les complication hémorragiques On note une seule hémorragie post-opératoire ayant nécessité une reprise chirurgicale pour hémostase d'une petite veine jugulaire antérieure. On ne note aucune hémorragie tardive durant la phase de réanimation.
  2. Fistule oeso-trachéale: aucun cas
  3. Fuite aérique: un cas mortel de pneumomédiastin avec pneumo-thorax bilatéral suffocant et emphysème sous-cutané
  4. Complications mécaniques: on observe un cas d'obstruction de canule par caillot chez un patient présentant une brûlure pulmonaire
  5. Complications infectieuses survenues apres la trachéotomie:
  • Colonisation: à l'exception de 3 patients décédés très précocément, tous les malades présentaient une colonisation pulmonaire unie ou plurimicrobienne. Les germes les plus fréquemment rencontrés sont les suivants:
  • staphylocoque multi-résistant 19 fois
  • pseudomonas aéruginosa et maltophilia 19
  • acinétobacter 7 fois
  • hémophilus influenzé 4 fois
  • levures 7 fois
  • entérobacter 4 fois
  • protéus 2 fois.
  • Broncho-pneumopathie:

six patients présentent les signes cliniques, radiologiques et bactériologiques de pneumopathie. Cinq de ces patients présentent une brûlure cervicale dont un devait décéder. L'un d'entr'eux ne présentait donc pas de brûlure cervicale. Dans deux cas il existait un même antibiotype entre le germe retrouvé au niveau cutané périorificiel et le germe retrouvé au niveau bronchique.

Phot. 1. Trachéotomie en zone brûlèe. Phot. 2. Trachéotomie pour chirurgie restauratrice et esthétique d'une brûlure grave de la face.
Phot. 1. Trachéotomie en zone brûlèe. Phot. 2. Trachéotomie pour chirurgie restauratrice et esthétique d'une brûlure grave de la face.

Syndrome de détresse respiratoire aigu de l'adulte: on note six cas associés à une défaillance polyviscérale, tous brûlés du cou, dont cinq devaient décéder. Les SDRA représentent donc 6 malades sur 36, soit 16,6%. L'ensemble des complications broncho-pneumopathie plus SDRA représentent donc 33,3%.

4. Complications après décanulation

Cette étude porte sur les 30 patients survivants. Aucun sujet ne présente de signes cliniques d'appel en faveur d'une sténose trachéale. De ce fait, aucune fibroscopie ou tomographie de contrôle n'a été effectuée.
Facteur favorisant d'une sténose trachéale: la durée de trachéotomie chez les survivants est de 62,2 jours avec des extrêmes à 30 et 68 jours.
Durée de l'intubation préalable à la trachéotomie chez les patients trachéotomisés avant comp lications: 20 heures 45 minutes.
Durée d'intubation préalable chez les patients décédés 14 heures 20 minutes.
Durée moyenne globale d'intubation de tous les patients: 26,8 heures.

Discussion

Cette étude n'a pas la rigueur scientifique d'une étude prospective randomisée, cependant il s'agit d'une série consécutive de malades. C'est une série homogène quant à la gravité, avec un chiffre de Baux moyen à 99,4 et un index UBS à 176,6-, soit des chiffres compromettant le pronostic vital des sujets concernés (l 3). On constatait un manque d'homogénéité en ce qui concernait la surface brûlé, en effet 5 sujets présentent des surfaces de brûlu inférieures à 30%, cependant ces mêmes suj présentaient des facteurs de risque: soit un âge avan soit une brûlure grave de l'extrémité céphalique, p ou moins associée à une brûlure pulmonaire.
Cette étude étalée sur 4 ans est tributaire de l'évolution des protocoles thérapeutiques:

  • nouveau protocole d'antibiothérapie avec apparition de nouvelles molécules et modifications des protocoles d'administration
  • disparition progressive de l'utilisation de pansements fermés avec topiques antibactériens type Sulfadiazine argentique
  • enfin utilisation de greffes à grande expansion 6/1 en sandwich avec homogreffes décongelées, la dernière année.

Tous les malades trachéotomisés répondent aux indications de la ventilation artificielle définies dans le protocole (6, 8, 12, 20, 47). Ces malades représentent 14,7% du nombre de malades hospitalisés, ce qui peut paraître élevé par~ rapport à une étude de William G. Jones qui cite un.chiffre de 3% (28). Cependant, il s'agit dans cette étude de l'ensemble des malades brûlés, or notre étude ne porte que sur les malades hospitalisés dans une unité de réanimation de très grands brûlés. De plus, dans notre étude, ne sont pas comptabilisés les malades ventilé de manière prolongée par l'intermédiaire d'une intubation.
La mortalité globale est de 33,3% chez des patients présentant une surface totale de brûlures moyenne de 65%. Jones décrit uniquement chez les patients trachéotomisés 74 décès sur 99 cas, soit -f4,7% avec une surface moyenne de brûlures de 41,9%. La trachéotomie ne peut être retenue comme - élément décisif dans le décès de ces patients, ceux-ci sont en effet caractérisés par un chiffre de Baux moyen de 107,3 et un index UBS moyen de 225,5, soit des chiffres reconnus comme rendant la survie rare (15, 32).
Dans un seul cas, le décès peut être attribué aux suites immédiates de la trachéotomie, soit 2,4%. Cependant, il s'agissait de notre patient le plus gravement brûlé (90% de 3 è1l, degré): décanulation par oedème cervical monstrueux chez un patient obèse à cou court, avec petite trachée, trachéotomisé à la deuxième heure après la brûlure (canule n. 7). Le décès immmédiat est dû à un pneumo-médiastin associé à un pneumothorax bilatéral avec impossibilité de recanulation. L'indication précoce de la trachéotomie chez ce patient était cependant justifiée du fait d'une intubation préalable seulement possible avec une sonde de petit calibre (n. 7) chez un patient de 110 kilos. On pourra cependant à l'avenir discuter d'une trachéotomie ultra précoce pendant la phase de constitution de l'oedème (35).
Dans une étude de Viau faite dans un centre de réanimation respiratoire, on retrouve 1,7% de décès directement liés à la trachéotomie (46).
On ne retrouve enfin aucune différence de mortalité chez les patients présentant une brûlure cervicale ou non. Ce résultat semble contradictoire avec ceux observés par certains auteurs. Demling (2 1) contre-indique en effet les trachéotomies en zones brûlées, ou ne les autorisent qu'après excision-greffe.
L'analyse des complications hémorragiques aiguës per-opératoires dues à des problèmes chirurgicaux rencontrés au contact des vaisseaux sous-thyroïdiens montrent une fréquence de 1,5 à 3%, selon les auteurs. Il en est de même des hémorragies précoces post-opératoires favorisées par l'existence de problèmes généraux d'hémostase, de fréquence variant de 5% dans les études rétrospectives jusqu'à 36% dans certaines séries prospectives (27, 38, 46).
Dans notre série, on ne retrouve qu'une seule hémorragie post-opératoire précoce ayant nécessité une reprise chirurgicale d'hemostase. Ceci peut être expliqué en partie par le fait d'une technique uniciste et d'une équipe chirurgicale réduite à deux opérateurs.Les hémorragies tardives pendant la phase de réanimation, le plus souvent brutales et provoquant une inondation trachéo-bronchique mortelle par érosion des gros vaisseaux de la base du cou, sont retrouvées dans 3% des cas chez Jones. Aucun cas ne survenait dans notre série.
On ne retrouve également aucune fistule oesotrachéale alors que Jones en décrit 9%. C'est le conflit "canule -trachée" décrit par Toty qui est à l'origine des fistules, beaucoup plus que les traumatismes oesophagiens per-opératoires signalés par quelques auteurs (14).
Les complications mécaniques par obstacle sur la canule sont fréquemment décrites, mais rarement différenciées entre incident et accident mortel. On retrouve dans notre série un cas de brûlure pulmonaire avec hémorragie en nappe de la muqueuse bronchique, caillots obstructifs et atelectasie. La désobstruction par fibroscopie est facilitée par un accès plus proximal de la trachéotomie, En ce qui concerne les bouchons muqueux, l'utilisation de mucolytiques par voie générale, l'humidification soigneuse du circuit inspiratoire ainsi que le nursing infirmier rigoureux expliquent l'absence d'accident mortel.
Sur le plan infectieux, les germes retrouvés les plus fréquemment, soit staphylocoque multi-résistant et bacille pyocyanique, reflètent l'écologie du service et correspond aux données de la littérature (9, 21, 25, 34).
Si l'on exclut les 3 patients décédés précocément, tous présentent une colonisation pulmonaire unie ou pluri-microbienne. Jones retrouve 98% de colonisations dans son étude.
Chez des patients trachéotomisés avant complications, on retrouve 16,6% de bronchopneumopathies, soit 6 cas dont 4 présentaient des brûlures cervicales. Un chiffre de 20%, signalé dans une série intitulée 'Pneumonies consécutives à la trachéotomie" publiée en 1970, paraît pouvoir être retenu compte tenu de la rigueur méthodologique avec laquelle cette étude a été menée (37).
On note également 6 cas de SDRA, soit 16,6%. 5 de ces patients devaient décéder dans un tableau de défaillance polyviscérale (4, 29). Le facteur déclenchant du SDRA, chez le grand brûlé, est souvent, mais non obligatoirement, le sepsis. Il est souvent le fait de lésions d'inhalations associées (12).
Les prélèvements bactériologiques sont le plus souvent effectués par aspiration bronchique simple ou par fibroscopie. La fiabilité de ces prélèvements ne doit pas faire oublier leur manque de spécificité. Le brossage protégé par sa valeur sur le plan qualitatif et le lavage bronchique sur le plan quantitatif, avec numération des polynucléaires, sont indispensables dans le cadre de toute étude prospective randomisée.
Les origines de l'infection ont fait l'objet de nombreuses études. Elles sont probablement multiples; et coexistent de nombreux facteurs, notamment les facteurs d'ensemencements (infection de la plaie de la trachéotomie, fausses routes, régurgitations gastriques, septicité des manoeuvres d'aspiration) et les facteurs de pathogénicité qui sont importants chez le grand brûlé dont le terrain immun o-déficient, la surinfection quasi -obligatoire de la brûlure-, enfin l'absence des filtres naturels que constituent le nez et le pharynx, et la diminution des systèmes d'épuration tels que la toux et le mouvement muco-ciliaire (46).
L'étude des séquelles ne révèle aucune complication survenue avant le mois de février 1991. Cependant, il faut signaler qu'une sténose trachéale ne parle cliniquement qu'à partir d'une réduction de plus de 75% de la filière trachéale. D'autre part, si certains patients présentent plus de 4 années de recul, d'autres n'ont qu'un recul de quelques semaines (16, 31, 45).
Seule une endoscopie trachéo-bronchique de contrôle et des séries tomographiques en incidence de Frain de la trachée (42) peuvent diagnostiquer avec précision les séquelles. Cependant, il s'est avéré très difficile de proposer ces examens à des patients ne présentant aucune gêne clinique, et qui venaient de passer plusieurs mois dans un centre de réanimation puis de rééducation.
L'incidence des sténoses après trachéotomie est difficile à apprécier, et elle varie selon les statistiques de 0,2 à 20% (24).
Certains éléments peuvent être retenus dans la qualité de nos résultats. D'une part, la durée de l'intubation préalable est particulièrement courte, 20,4 heures, par rapport à celles décrites par de nombreaux auteurs: 4 jours en moyenne (1, 2, 18). En effet Grillo souligne la gravité de l'association intubation -trachéotomie: dans un premier temps l'intubation entraîne des lésions pressionnelles sur lesquelles se surajoutent les effets néfastes de la trachéotomie. La technique de la trachéotomie par utilisation d'un volet à articulation inférieure tractée à la peau évite la protrusion intraluminale secondaire d'une partie de l'anneau trachéal (5, 10, 11, 40). Enfin, il faut noter la rigueur du nursing infirmier au sein d'une petite équipe et plus particulièrement le contrôle draconien des ballonnets basse-pression par l'intermédiaire de manomètres (5, 26, 30).
En conclusion, malgré l'aspect retrospectif de cette étude, l'analyse de ces 45 dossiers nous permet de persister quant à notre attitude vis à vis de la trachéotomie-, et devant l'absence de différence significative entre les 2 séries: trachéotomie en zone brûlée ou non brûlée, et le faible taux de complication, nous considérons que la brûlure cervicale n'est plus un obstacle à la trachéotomie chez le grand brûlé qui nécessite une assistance respiratoire prolongée. Nous continuerons cependant a discuter l'indication d'une trachéotomie ultra-précoce avant même ou pendant la phase de constitution de l'oedème. Un protocole d'étude prospective et randomisée permettrait certainement d'affiner les indications et de mieux apprécier les séquelles, notamment par l'intermédiaire d'une endoscopie trachéale de contrôle.

 

SUMMARY. In the seriously burned patient requiring prolonged respiratory assistance, our therapeutic strategy favours tracheotomy even in burned areas. This study reviews 45 cases and analyses the indications and the immediate and secondary complications depending whether tracheotomy is performed in a burned or non-burned area, by comparing them with the data in the literature. In the absence of any significant difference between the two series and the low complication rate, the authors consider that cervical burns are not an obstacle to tracheotomy.


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