Annals of the MBC - vol. 5 - n' 4 - December 1992

LES SYNDROMES DES LOGES DE LA MAIN BRULEE

Costagliola M., Rougé D.

Service de Chirurgie Plastique, Reconstructive et Esthetique, Unite des Grands Mies Felix Lagrot, Centre Hospitalier cle Rangueil, Toulouse, France


RESUME. Les auteurs présentent un travail qui s'appuie sur les dossiers des patients atteints de br-Glures d la main. Sur ce nombre de dossiers, ils ont retrouvé divers cas de syndrome de compression ischémique (syndrome de loges) ayant nécessité une décompression chirurgicale. Tous les résultats sont présentés et les auteurs concluent qu'il est très important de faire le diagnostic précoce du syndrome de loge, qui West pas une fatalité et qui peut etre traité efficacement. L'ouverture de la loge des inter-osseux et du canal digital est un geste simple et facile auquel il faut toujours penser devant toute main brélée.

Parmi les nombreuses séqu&lles des mains brélées, la main "intrinséque plus" réalise un aspect caractéristique qui signe la fibrose des muscles intrins&ques de la main (muscles inter-osseux).
Les amputations parcellaires des doigts constituent un autre stigmate fréquent de la brfilure: elles sont secondaires d des nécroses distales dont la cause West pas toujours thermique.
C'est Fischémie provoquée par I'augmentation de pression dans les loges de la main qui oxplique toutes Ces séquelles.
La compréherision de son mécanisme se situe A la phase pr&coce' de la brfilure. Tr~s vite aprés le traumatisme s'inStallent des réactions vaso-motrices génératrices d'Un bedéme important, majorées encore si la 1ésion a teridance d étre circulaire. Uescarre qui réalise alors une carapace dure entraine un effet de garrot; la destruction des veines superficielles entrave le retour veineux et cet oedéme s'accentue pendant les 3é premiéres heures dans ces espaces anatomiques particuliers superficiels mais aussi profonds, inextensibles, que sont les loges de la main et des doigts et ni~me* de I'avant-bras.
Au niveau de la main, c'est la loge des inter-osseux limitée entre chaque métacarpien par I'apon&vrose dorsale superficielle et I'aponévrose palmaire profonde. Ces muscles inter-osseux sont va§cularisés par Farcade palmaire superficielle (artére cubitale) et I'arcade palmaire profonde (art&e radiale). Les art&res métacarpiennes sont essentiellement terminales du cóté radial, d'oú une atteinte plus fréquente des inter-osseux radiaux.
Au niveau des doigts, le canal digital est limité du cété inteme par les fl&chisseurs, en avant par le ligament de Cleland et en arri&re par le ligament de Grayson; d la partie distale, cc canal est ouvert sur la phalangette au niveau de Finter-phalangienne distale, ainsi est constitu&, entre les ligaments de Cleland et de Grayson, un conduit fibreux oii se trouve le pédicule vasculaire qui s'étende jusqu'A I'articulation inter-phalangienne distale.
Enfin au niveau de Favant-bras, rappelons 1'existence de loges A la face antérieure de l'avant-bras avec une loge superficielle limitée en avant par I'apon&vrose anti-brachiale superficielle et en profondeur par I'apon&vrose anti-brachiale profonde et une loge profonde, limit&e en avant par I'aponévrose anti-brachiale profonde et en profondeur parl'aponévrose tendue entre radius et cubitus.
Dans ces espaces anatomiques, tissu cellulaire, muscles, gaines tendineuses, tissus péri-articulaires sont vite engorgés, la g~ne circulatoire lymphatique et sanguine est maxima; de la main elle peut progresser de faqon ascendante vers I'avant-bras. L'anoxie confine A l'ischémie, un cercle vicieux s'installe qui conduit A la sclérose et A la fibrose musculaire et notamment des petits muscles intrinséques de la main, surtout radiaux: c'est la fibrose et I'atrophie des inter-osseux. Pour la ni~me raison, les nerfs qui ont sous leur dépendance la trophicité tissulaire voient également leur fonction perturbée par l'ischémie.
Le dénominateur commun de tous ces troubles et de ces 1ésions fixées irréversibles, c'est done au départ l'ischémie qui suit I'apparition précoce de l'oed&me dans les loges anatomiques inextensibles, réalisant ainsi de véritables syndromes compressifs. Ainsi se constitue un syndrome de Volkman strictement localisé d la main. 11 a été parfaitement décrit par Finocchietto, puis Bunnel et Zancolli (7) l'ont également bien kudié.
Si Fischémie est parfois évidente avec disparition des pouls radial et cubital, elle évolue parfois d has bruit de faqon infra-clinique avec notamment persistance des pouls (Salisbury, 5); ce phénoméne est assez fréquent, mais sous-estimé, voire ignoré.
Whiteside (é) a montré que la perfusion tissulaire efficace cesse dés que les 40 mm de mercure de pression tissulaire sont dépassés et Kingsley (2) a bien démontré que de telles pressions peuvent atteindre des niveaux insupportables dans le compartiment des muscles intrinséques, alors que, les pouls péripliériques sont perqus.

Le diagnostic de syndrome ischémique
Il faut reconnaitre précocement un syndrome de compression dans une brfilure distale au niveau d'un membre supérieur pour réaliser un geste de libération d'urgence. Nous disposons pour cela d'arguments cliniques et para-cliniques.

Les arguments cliniques
L'exp&rience prouve que le diagnostic exact de profondeur est presque impossible d poser au premier examen et cette méconnaissance ne simplifie pas la tAche. Le diagnostic de compression ischémique sera orienté d'abord sur des petits signes fonctionnels:

  • sensation de tension de la main et des extrémit&s
  • phénom~nes douloureux intenses précoces et qui diminuent
  • troubles de la sensibilité et apparition de paresthésies.

A 1'examen, le tableau peut etre évocateur avec un aspect violacé et doigts immobiles, mais Cest souvent plutét une attitude intrins~que (-) avec flexion partielle des métacarpo-phalangiennes (NIP), flexion limitée des inter-phalangiennes (IP), et oedéme de la main qui attirera I'attention. Plus rarement, une attitude intrins&que (+) avec flexion A 90' des MP et extension des IP sera évocatrice.
La sensibilité des doigts est difficile d rechercher. Les pouls radiaux et cubitaux peuvent &re diminués, mais I&ur présence ne permet pas d'é11miner, nous Favons dit, un syndrome de loge. L'examen-clé est le stretch-test, douleur a 1'étirement passif musculaire, qui permettra de mettre en évidence un syndrome compressif au niveau des inter-osseux ou au niveau des muscles de I'avant-bras.

Sur le plan para-clinique
Le doppler est peu fiable et l'artériographie ne donne souvent que des renseignements partiels, voire inutilisables lorsqu'on s'intéresse á la vascularisation distale de la main.
Par contre, la prise des pressions par la méthode de Whiteside (é) est la meilleure fa~on d'explorer les espaces de l'avant-bras et de la main. Cet appareil, de réalisation simple, permet de prendre les pressions au niveau des loges.
Il suffit d'un robinet á trois voies, d'une colonne de liquide (solution saline), dun manométre á mercure et d'une aiguille (plantée au niveau de la loge musculaire que I'on veut explorer). Le robinet á trois voies permet d'emprisoner quelques cc d'air dans la colonno d'eau pour créer "un niveau de bulles" témoin de la pression dans la loge. Normalement la pression est nulle.
Dés que le chifl`re atteint 35 ou 40 mm de mercure, il faut décomprimer en réalisant une large aponévrotomie.

Les gestes de décompression
La prévention des séquelles de main brúlée est donc la décompression en urgence.
Au niveau des inter-osseux, il faut réaliser une ouverture large de l'aponévrose dorsale de maniére á ouvrir la loge des inter-osseux dorsaux. S'il est nécessaire d'envisager I'ouverture des inter-osseux palmaires, cette décompression se fait par le canal carpien, mais elle est exceptionnelle.
Au niveau des doigts, les canaux digitaux seront ouverts par la face latérale, des deux cótés. Uouverture est prolongée au delá de la matrice de l'ongle pour libérer la distalité du canal digital et permettre ainsi la vascularisation de la houppe digitale plialarigierme.
Au niveau de Vavant-bras, si nécessalre, l'incision commence assez haut, en peau saine, incision en S allongé se prolongeant jusqu'au canal carpier; á la partie supérieure, l'incision intéresse l'aponévrose anti-brachiale profonde et ouvre l'arcade des fléchisseurs communs superficiels.

Les indications
Il ne faut dvidemment ouvrir que ce qui est nécessaire.
Au niveau des canaux digitaux, &s qu'il existe une brillure du 3~me degré au niveau de la main, il faut systématiquement fficomprimer car il n'existe aucun signe flable pour attester cliniquement ou de mani~re para-clinique d'une compression du canal digital. La réapparition d'un pouls capillaire et une diminution de la stase veineuse sont de bons signes Xefficacité de la décompression.
Au niveau des inter-osseux, le stretch-test a une excellente valeur. On utilise pour ouvrir les loges des inter-osseux dorsaux des incisions de décharge dorsale de la main. Un stretch-test post-op&ratoire, non douloureux, attestera ici également de 1efficacité de la décompression.
Nous avons I'liabitude de réallser une surveillance systématique et réguli&re de la pression des loges dans les mains brfilées. Cette surveillance est réalisée pendant 5 jours et surtout pendant les 48 premi&res heures par la méthode de Whiteside (prise des pressions toutes les 4 heures). 11 est réalisé une fiche sur papier gradué qui permet de savoir si on a dépassé la zone critique de 40 min de mercure et notamment c'est vers la 24~me heure que cette surveillance est tr&s importante car sous 1'effet du remplissage vasculaire, la pression peut souvent dépasser la zone critique et I'apon&vrotomie est alors un geste indispensable.
Au niveau de Pavant-bras, Fartériographie peut dormer des renseignements intéressants, mais c'est la flexion dorsale du poignet, lorsqu'elle entraine des douleurs vives au niveau des masses musculaires de I'avant-bras, qui signe la compression d cc niveau. Un test d'Allen per-opératoire permettra de savoir si I'arcade palmaire est devenue perméable donc que la décompression a W efficace.

Notre expérience
Ce travail s'appuie sur 323 dossiers de brfilés exploitables.
Sur ces 323 patients, 218 seulement ont pu ftre revus et parmi eux nous n'avons pu contréler que 32 malades ayant présenté un syndrome de loge (sur 58 dossiers colligés); soit deux séries:

  • 18é patients avec br~lures des mains sans compression ischémique
  • 32 patients ayant subi une décompression pour syndrome de loge.

Quand on compare ces deux séries on peut dire qu'A 3 cas prés (qui sont des cas trés graves ayant nécessité des amputations), ces deux groupes ont des résultats trophiques et fonctionnels comparables:

  • aucun syndrome ischémique séquellaire residuel
  • des amputations distales des doigts dans les deux séries
  • des séquelles commissurales
  • des raideurs phalangiennes.

Et tout ceci rend décompression précoce.

Conclusion
On peut en déduire que les syndromes de loge ne sont pas une fatalité et qu'on peut les traiter efficacement si le diagnostic est posè.
Beaucoup de séquelles de mains bralées sont de nature ischémique. Elles sont méconnues car le diagnostic précoce est difficile et que cette compression peut évoluer de faqon infra-clinique. Pour nous, cc diagnostic doit &re évoqué systématiquement devant toute main brélée et la manoeuvre de Whiteside doit &re utilisée au moindre doute, car la séquelle ischémique peut kre évitée par une surveillance soigneuse.
L'ouverture de la loge des inter-osseux et du canal digital est un geste simple et facile auquel 11 faut penser.

 

SUMMARY This work presents a number of cases of patients with hand bums. Among these patients there were numerous cases of ischaemic compression syndrome, i.e. lodge syndrome, requiring surgical decompression. All the results are presented and it is concluded that it is very important to make an early diagnosis of the lodge syndrome, which is not fatal and can be effectively treated. The opening of the lodge in the interossei and the digital canal is simple and easy and should always be borne in mind in all cases of burned hands.


BIBLIOGRAPHIE

  1. Costagliola M., Rougé D.: Intérét de la décompression précoce dans le syndrome des loges de la main brillée. .116, 363-367, "Chirurgie", Masson, Paris, 1990.
  2. Kingsley N.W., Stein J.M., Levenson S.M.: Measuring ti5éue pressure to assess the severity ofburn-induced ischernia. P.R.S., 63: 404, 1979.
  3. Levine N.S., Buchanan R.T.: The care of burned upper extremities. Clinics in Plastic Surgery, 13: 107, 1986.
  4. Masquelet A.L.: Traitement du syndrome des loges et de la maladie de Volkmann. 44078, 4, E.M.C., "Technique Chirurgie Ortopédie", Paris, 1989.
  5. Salisbury R.E., Wright P.: Evaluation of early excision 'of dorsal burns of the hand. P.R.S., 69: 670, 1982.
  6. Whiteside T.E., Haney T.C., Morimoto K.: Tissue pressure measurements as a determination for the need of fasciotomy. Clin. Orthop., 113: 43, 1975.
  7. Zancolli E.: "Structural and dynamic bases of hand surgery", Lippincott, Philadelphia, 1972.



 

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