Ann. Medit. Burns Club - voL W - n. I - March 1993

CHONDRECTOMIE EN PHASE AIGUE DANS LES BRULURES PROFONDES DU PAVILLON DE L'OREILLE

Rougé D., Grolleau J.L., Micheau Ph., Laguerre J., Conil J.M., Chavoin J.P., Costagliola M.

Service des Grands Brûlés et Chirurgie Plastique, C.H.U. Ranqueil, Toulouse, France


RESUME. La chondrite fermée est une complication redoutable des brûlures du pavillon de l'oreille. Le traitement de ses séquelles est difficile et aléatoire. La chondrectomie en phase aiguë est proposée comme traitement préventif de la chondrite dans les brûlures profondes du pavillon de l'oreille. Cette exérèse du cartilage peut être partielle au niveau de l'anthélix quand la peau postérieure du pavillon est intacte. Les résultats de 32 chondrectomies pour 53 brûlures profondes sont intéressants avec peu de déformation du pavillon même si l'oreille est souvent un peu plus petite.

Le pavillon de l'oreille est un organe complexe de structure mixte cutanéo-cartilagineuse. Il est souvent intéressé dans les brûlures de la face, la peau antérieure du pavillon est fine et le cartilage est facilement exposé (8). La complication majeure est la chondrite. C'est une séquelle redoutable car son traitement est aléatoire donnant souvent des résultats imparfaits (1, 9). Le traitement idéal de la chondrite est sa prévention à la phase précoce de la brûlure (7). D'avril 1984 à février 1985 nous avons dénombré 2 chondrites sur 15 brûlures du pavillon. Ces complications nous ont fait proposer le traitement par "chondrectomie en phase aiguë" que nous utilisons depuis 7 ans au Centre des Grands Brûlés et dans le Service de Chirurgie Plastique de Toulouse Rangueil.

Bases du traitement

A. Certaines bases sont communes au traitement général des brûlures

  • L'infection n'estjamais première dans la brûlure, elle suit la nécrose.
  • Uexcision précoce de la nécrose est une bonne méthode de prévention de l'infection locale.

B. Certaines bases sont specifiques au pavillon

  • Une résection d'une partie du cartilage ne compromet pas sa rigidité
  • Une petite partie de cartilage exposé peut être secondairement recouverte par une cicatrisation spontanée si la peau postérieure du pavillon est intacte;
  • Le recouvrement en phase aiguë du cartilage

exposé par un apport cutané vascularisé fait courir un grand risque de chondrite, amène souvent un tissu trop épais et coupe parfois les possibilités de réparation secondaire.

But du traitement

Les déformations, séquelles de la chondrite fermée, doivent être évitées et une oreille petite mais de forme normale est préférable à une oreille de taille normale mais déformée.

La méthode

Après excision de la nécrose cutanée antérieure, le cartilage sain exposé dont la peau postérieure est intacte est fenêtré, permettant le bourgeonnement de la face profonde du tissu sous-cutané postérieur autorisant ainsi le recouvrement de la structure cartilagineuse résiduelle par cicatrisation de deuxième intention. Le cartilage sain exposé ou lésé dont la peau postérieure est brûlée est réséqué.

  1. Au niveau (le l'hélix L'excision est en général partielle marginale, emportant en bloc peau et cartilage car la peau postérieure de l'hélix est presque toujours brûlée.
  2. Au niveau de l'anthélix
    L'excision cutanée antérieure est complète au niveau de la nécrose. L'excision cartilagineuse est linéaire ou décalée laissant un mince "squelette aéré" de cartilage si une grande surface de cartilage est exposée (> 1/3 de l'anthélix). Les fenêtres dans le cartilage sont disposées de manière à conserver la meilleure rigidité possible au pavillon. L'excision cartilagineuse est totale si une petite partie de cartilage est exposée " 1/3 de l'anthélix).
  3. Au niveau de la conque
    Après excision cutanée, l'excision cartilagineuse peut être totale car cette zone peut être excisée sans dommage (comme en atteste les prélèvements cartilagineux que l'on effectue à ce niveau pour les rhinoplasties et les rhinopoièses).
  4. Des pansements pro-inflammatoires sont réalisés tous les jours permettant une cicatrisation de deuxième intention ou une greffe dermoépidermique mince lorsque le bourgeon conjonctif a recouvert le cartilage.

Les indications

Elles sont fonction des lésions.

  1. Au niveau cutané
    Les brûlures du 3ème degré sont excisées au 5ème jour. Les brûlures du degré profond sont excisées quand elles sont infectées et exposent le cartilage ou susceptibles de l'exposer à court terme. Le diagnostic de cette lésion et son traitement sont souvent faits entre le lOème et le 15ème jour.
  2. Les lésions du cartilage
  1. Seul le cartilage exposé au niveau de l'anthélix dont la peau postérieure est intacte, même s'il est sain, est "fenêtré".
  2. La totalité du cartilage exposé de l'hélix ou de la conque, même s'il est sain, est réséquée.
  3. La portion de cartilage nécrosé, infecté et/ou exposé, quelque soit sa situation, est réséquée à la demande. Elle sert de drainage à la chondrite supprimant la chondrite fermée avérée ou potentielle.

Résultats

  1. De février 1985 à mai 1991 nous avons traité au Centre des Grands Brûlés et dans le Service de Chirurgie Plastique de Toulouse Rangueil 93 brûlures du pavillon dont 53 étaient des brûlures profondes (3ème degré et 2ème degré profond) et nous avons réalisé 32 chondrectoniies.
  2. On dénombre deux chondrites du pavillon mais
  3. dans les deux cas les chondrectomies n'avaient pas été faites. L'infection du cartilage était passée inaperçue sous une brûlure diagnostiquée "superficielle".

Sur les 32 chondrectomies réalisées on note:

  • l'absence de chondrite fermée et donc de séquel les de chondrites;
  • un anthélix qui a une rigidité toujours suffisante sauf dans un cas. Son aspect esthétique est satisfaisant malgré les cicatrices inflammatoires souvent présentes. Il n'y a pas des déformation importante de l'anthélix (Figs. 1, 2, 3);
  • des séquelles d'amputation de l'hélix: perte de l'ourlet voire déformation dont la réparation est souvent aléatoire et disproportionnée (2, 3, 14).
Fig. 1   Brûlure profonde du pavillon de l'oreille gauche. Fig. 2  Chondrectornie partielle au niveau de Fanthélix et de la conque.
Fig. 1   Brûlure profonde du pavillon de l'oreille gauche. Fig. 2  Chondrectornie partielle au niveau de Fanthélix et de la conque.
Fig. 3 Résultat définitif du pavillon sans déformation; stabilité de l'ensemble. Fig. 3 Résultat définitif du pavillon sans déformation; stabilité de l'ensemble.

Discussion

  1. Les autres méthodes de traitement précoce des brûlures du pavillon
  • Uexcision cutanée greffe précoce (5, 6): Grant l'utilise dans le 3ème degré évident mais il faut que le périchondre soit intact. Il est difficile d'en être certain très tôt entre le 3ème et le 5ème jour.
  • L'excision du cartilage exposé et suturé immédiatement est proposée par Spira (11). Cette méthode est aléatoire chez le brûlé car elle expose à la chondrite fermée (12, 13).
  • La surveillance des brûlures intermédiaires avec l'excision à la demande si le cartilage exposé ne se recouvre pas spontanément en quelques jours est le traitement habituel. Il est proposé par J.P. Reynaud (4,7, 10).

Nous pensons que l'excision peut être plus précoce et laisser en place une trame cartilagineuse fine exposée au niveau de Fanthélix.

  1. La chondrectomie partielle en phase aiguë
  • Uexcision systématique cartilagineuse:

Si tout le monde est d'accord pour réaliser l'exérèse du cartilage nécrosé (1, 5, 6, 7, 10, 12), il n'en ~est pas de même du cartilage sain mais exposé. Il y a des exemples de recouvrement secondaire du cartilage exposé mais cette évolution est hypothétique par la possibilité d'une chondrite ou d'une périchondrite asymptomatique qui devient patente quand le cartilage est recouvert. Cette chondrite est d'autant plus dangereuse qu'elle devient fermée donnant des complications secondaires souvent à la phase de rééducation. Vexcision systématique nous paraît donc préférable encore faut-il qu'elle ne détruise pas la statique du pavillon.

  • La conservation d'une partie du cartilage exposé au niveau de Fanthélix:

L'idée de laisser une partie du cartilage découverte en place au niveau de l'anthélix apparaît contradictoire avec le fait d'exciser systématiquement le cartilage exposé. Il y a en fait deux cas de figures.

  1. Le cartilage exposé est suffisamment petit pour que son excision ne compromette pas la rigidité sur la forme du pavillon. Uexcision du cartilage exposé est totale.
  2. Le cartilage exposé de Fanthélix est trop vaste pour que l'excision totale ne compromette pas la stabilité du pavillon. Il faut faire une excision partielle. Dans ce cas nous n'avons jamais constaté de chondrite fermée patente. Ou peut avancer deux hypothèses d'explication:
  1. Le cartilage en petite quantité est recouvert ou revascularisé par le bourgeon conjonctif avoisinant venant de la peau postérieure saine dans un mécanisme comparable à celui des perforations de la table externe du crâne réalisées lors de brûlures profondes du scalp (15). Dans ce cas on peut penser que le cartilage a été revascularisé par le bourgeon avant d'être lésé par une infection de surface.
  2. S'il existe une chondrite elle reste latente et les parties discontinues de cartilage exposé laissées en place sont remplacées par une fibrose qui ne devient pas rétractile comme dans les séquelles de chondrite car le cartilage est dans cette zone discontinu. De plus la chondrite ne peut s'étendre car il y a des espaces sans cartilage bien vascularisés (bourgeon conjonctif).

Ainsi il n'existe pas de déformation séquellaire du pavillon, ce qui est le but recherché.

Conclusion

La chondrectomie du cartilage exposé est un excelllent geste de prévention des chondrites du pavillon, laissant peu de séquelles. C'est un geste facile et simple qui n'hypothèque jamais le traitement du grand brûle. Ce geste doit être fait dès que le cartilage est exposé ou risque de l'être ou lorsqu'il est lésé ou risque de l'être.

  • Au niveau de l'hélix la chondrectomie ne peut être que complète car la peau postérieure est souvent brûlée.
  • Au niveau de la conque on peut sans dommage réaliser une chondrectomie de toute la zone exposée.
  • Au niveau de l'anthélix il est nécessaire de faire une chondrectomie partielle lorsque le cartilage exposé est trop vaste pour éviter les déformations du pavillon.

SUMMARY. Closed chondritis is a redoubtable complication of bums of the auricle of the car. Treatment of its after-effects is difficult and uncertain. Chondrectomy during the acute stage is proposed as preventive treatment of chondritis in deep burns of the auricle. The chondrectomy may be partial at the level of the antihelix when the posterior skin of the auricle is intact. The results of 32 chondrectomies in 53 deep bums are interesting, with few deformations of the auricle even if the car is often smaller. Remerciements: à Jean François Brugne pour son aide amicale et compétente.


BIBLIOGRAPHIE

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  3. Crikelair G.F.: A method of partial ear reconstruction for avulsion of the upper portion of the ear. Plast. Reconstr. Surg., 17: 438, 1956.
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  5. Grant D.A.: Saving the burned ear. Texas Med., 63: 58-61,1967.
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  10. Reynaud J.P.: Les brûlures du pavillon de l'oreille. Thèse deMédicine 248, Montpellier, 1977.
  11. Spira M., Hardy S.B.: Management of the burned ear. Am. J.Surg., 106: 678-684, 1963.
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  15. Tubiana R., Baux S.: Brûlures de la face. "Monographie de Chirurgie Réparatrice", Masson, Paris, 1976.



 

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