Ann. Medit. Burns Club - vol. VI - n. I - March 1993

LA REPARATION ESTNETIQUE DES SEQUELLES DE BRULURES SEVERES DU COU

Joucdar S., Kismoune K, * laouamri T. **

Hôpital Universitaire de Douera, Douera, Algérie
* Service de chirurgie plastique et des brûlés
** Service de rééducation fonctionnelle et d'appareillage


RESUME. A travers l'étude d'une quarantaine de cas de séquelles de brûlures sévères du cou les auteurs tentent une approche de traitement esthétique de ces lésions. Ces séquelles, classées comme "cou majeur global" selon la classification lilloise, sont en majeure partie des synéchies stemomentonnières sévères ayant un retentissement fonctionnel grave et un impact esthétique important sur la face et le thorax. La cure chirurgicale, largement inspirée de l'intervention de Texier, a pour but la restauration de l'angle cervico-mentonnier par un large débridement du magma cicatriciel, excision des peauciers, bourgeonnement par un pansement proinflammatoire puissant et greffe dermo-épidermique demi-épaisse une semaine après. La pérennité des résultats fonctionnels et esthétiques est réalisée par la confection d'un collier cervical en mousse de polyéthylène (Plastazote), d'une épaisseur de 1 cm, thérmomalléable, moulé fortement sur le cou, dès la prise de greffe. Ce collier très léger maintient le cou en extension et comprime le greffon et les régions cicatricielles adjacentes; poreux, il évite la macération. Il sera porté pendant une durée de neuf mois en moyenne, jour et nuit. Il est nettoyé à l'eau savonneuse une fois par semaine et changé dès que son pouvoir d'extension et de compression auront diminué. Cette association chirurgie/appareillage donne des résultats esthétiques et fonctionnels stables et acceptables en utilisant des techniques simples et peu onéreuses. Il est sûr cependant qu'un traitemente initial correct des brûlures cervicales permettra de diminuer les préjudices techniques, esthétiques et fonctionnels.

Introduction

Les brûlures du cou sont fréquentes et exposent à des complications fonctionnelles et esthétiques parfois très graves. Dans le service de Chirurgie Plastique de l'Hôpital de Douera 123 séquelles de brûlures du cou ont été traitées entre 1982 et 1987. Durant cette période 40 patients porteurs de séquelles cervicales majeures ont fait l'objet d'une ou de plusieurs corrections chirurgicales.
Plus de la moitié d'entre eux ont plus de trois ans de recul. Comme tous les auteurs confrontés à ce type de chirurgie, nous nous sommes heurtés aux problèmes fonctionnels et cosmétiques que pose la région cervicale qui est l'une des unités esthétiques importantes de l'organisme (1, 4, 6). La fiabilité du recul nous permet de poser les jalons d'une approche de traitement esthétique des séquelles cervicales sévères.
Après une classification descriptive et topographique de ce type de séquelles, nous rapporterons sommairement les techniques que nous avons employées en nous attardant sur quelques points particuliers.

Matériel d'etude

Les 40 patients traités intéressent 23 sujets de sexe féminin et 17 sujets de sexe masculin. Les âges varient de 8 à 65 ans. Le service des brûlés de Douera recrutant exclusivement des adultes, 3 enfants de moins de 15 ans y ont été opérés. On relève 25 adultes jeunes de 16 à 31 ans et 12 adultes de 31 à 65 ans. La brûlure génératrice de la séquelle est d'origine thermique: l'explosion de gaz est retrouvée dans près de 70% des cas; viennent ensuite les brûlures par essence et l'ébouillantement par l'eau et l'huile. Le délai de prise en charge de la séquelle par rapport à la brûlure initiale est relativement long:

  • 3 mois pour 6 cas;
  • 12 mois pour 26 cas;
  • 18 mois pour 8 cas.

Morphologie des séquelles cervicales et leur retentissement fonctionnel et esthetique

La classification lilloise proposée par Françoise Vandenbussche, surtout topographique, partage le cou en 9 zones délimitées par 3 méridiens et 3 parallèles (7, 14, 15) (Fig. 1).
Les lésions cervicales traitées se répartissent en:

  • 32 cous majeurs globaux avec fusion sternomentonnière ou cou englué global;
  • 8 cous moyens segmentaires avec cicatrices plissée en harpe, ou placards chéWidiens.

En plus de l'aspect local, cette classification prend en considération l'étendue de la brûlure. Pour 35 patients les lésions étaient etendues dépassant le 30% de duelles: surface cutanée atteinte et siégeant surtout au niveau de l'extrémité céphalique, le thorax et les membres su périeurs (8, 9, 10). L'état intellectuel et psychologique du patient doit être apprécié. La coopération du malade est la condition primordiale du bon résultat; il faut avoir patience de lui expliquer qu'il aura a faire des efforts importants, longs et soutenus afin d'obtenir des résultats fonctionnels et cosmétiques valables et durables. Le retentissement fonctionnel particulièrement pour les cous globaux majeurs, par la disparition de l'angle cervico-mentonnier, se manifeste par des troubles sévères de la mobilité du rachis cervical, de la phonation, de la déglutition. Un ectropion labial, soutendu par la rétraction cervicale, une attitude cyphotique compensatrice et un regard plafonnant" majorent l'aspect disgracieux dece type de séquelles (2, 3, 4, 11).

Fig. 1 Classification Lilloise (F. Vandenbussche) Fig. 1 Classification Lilloise (F. Vandenbussche)

'Fraitement chirurgical

Le moment

Dans 26 cas la séquelle a été opérée à un an de l'accident brûlure.
Dans 8 cas l'intervention se situe à partir du dixhuitième mois post-traumatique.
Pour 6 cas l'intervent paraît relativement précoce, au troisième mois. Il s'agissait de cous englués totaux négligés, c'est-à-dire non greffés, intéressant les 3 méridiens sur les 3 parallèles.

Les gestes chirurgicaux

De façon très schématique deux types de gestes chirurgicaux ont été réalisés.

1. Lintervention de NEchel Texier (13)
Elle aboutit à la restauration de l'angle cervicomentonnier. Cette intervention comporte un geste libératoire avec excision cicatricielle dans la majorité des cas, une exclusion du muscle peaucier, l'obtention d'un boufgeonnement par pansement proinflammatoire et l'apposition secondairement d'une ou deux grandes greffes den-ii-épaisses, plus ou moins ajourées et maintenues par un bourdonnet de Lagrot.

2. Les gestes complementaires (3, 4, 7, 9, 10, 11, 15) Excision de chéloïdes. Des plasties en Z corrigeant des imperfections résibrides distales résiduelles bridules apparues dans la greffe brides fonctionnelles visibles dans les mouve ments extrêmes du cou.
L'étendue des brûlures n'a pas permis de faire des lambeaux locaux ou loco-regionaux. Les transferts libres et les procédés d'expansion cutanée n'ont pas été utilisés dans cette série.

Points particuliers de la technique

1. L!excision du peaucier
Comme le conseille Texier, le peaucier a été excisé dans tous les cas opérés.
Il est certain que l'excision de ce muscle dans les lésions anciennes et son incision horizontale large dans les lésions plus récentes permettent d'obtenir une meilleure hyperextension de la tête et un angle cervicomentionnier mieux dessiné (13).

2. La préparation du sous-sol à la greffe
Au cours des "libérations/excisions" des séquelles sévères du cou, interventions particulièrement hémorragiques, l'hémostase n'est jamais parfaite.
Il persiste quelques micro-foyers hémorragiques d'origine veineuse, se manifestant en post-opératoire immédiat; ceux-ci sont sans danger pour le malade, mais créent des hématomes aboutissant à des échecs partiels de greffe et à un résultat esthétique désastreux.
Aussi, il semble prudent de différer le moment de la greffe d'une semaine en moyenne, ce qui a été fait dans cette série.
Ce délai permet, sous le couvert de pansements proinflammatoires puissants à base de vaseline ou de paraffine, d'obtenir un bourgeonnement rapide, une hémostase correcte et surtout d'éviter d'ajourer les greffons, ce qui donne un meilleur résultat esthétique.

3. La greffe
En raison de l'étendue des surfaces cruentées, la greffe de peau demi-épaisse nous paraît être le meilleur moyen de recouvrement. Si possible, le greffon est prélevé en une seule pièce pour éviter les cicatrices supplémentaires. Si la zone à greffer est trop étendue, deux ou trois greffons sont nécessaires. Habituellement un greffon recouvre la région sushyoïdienne, un ou deux greffons la région soushyoïdienne. Les greffes doivent recouvrir toute la surface cruentée, sans être étirées. Les greffons doivent être réunis par des sutures horizontales. La bonne fixation du greffon et l'immobilisation stricte du cou sont des impératifs absolus. Le cou étant une région concave, des points centraux de capitonnage sont nécessaires ainsi qu'un bourdonnet de Lagrot. Le cou doit être immobilisé en hyperextension. Celle-ci peut être assurée par des couches de compresses, de coton, parfois d'éponges suffisamment voluniineuses pour s'opposer à la tlexion (1, 6, 12, 13, 15). Le pansement est maintenu par des bandes placées circulairement autour du cou et passant sous l'aisselle.

La contention post-opdratoire

Depuis longtemps déjà, certains auteurs ont recommandé l'immobilisation du cou pour quelques semaines en post-opératoire (1, 3, 4, 5, 8, 14). L'évolution des matériaux utilisés a permis de meilleurs résultats fonctionnels et esthétiques tout en assurant un meilleur confort du malade. Tous les auteurs sont d'accord pour le port d'un collier cervical pendant au moins six mois jour et, nuit afin d'éviter les rétractions. A Douera toutes les séquelles opérées ont été appareillées dans la semaine qui a suivi la prise de greffe (8). Laouamri propose un collier cervical simple en polythylène permettant l'extension, l'immobilisation et la compression des téguments du cou. Cette dernière caractéristique est importante sous nos climats car les cicatrices hypertrophiques et les chéloïdes sont légion (8). Ce collier cervical est une mousse en polyéthylène (Plastazote*). L'épaisseur utilisée est de 1 cm. Une plaque est prédécoupée selon la taille du cou et est chauffée à 140 'C pendant quelques minutes. Dès que la température le permet elle est moulée fortement sur le cou greffé et maintenue pendant quelques secondes. Une fois que le collier a pris la forme du cou, il est fixé en arrière Par des bandes de Velcro. Le but est de maintenir ouvert l'angle cervicomentonnier existant, d'immobiliser le cou et d'amener une compression adéquate sur le greffon, sur les berges de la greffe et sur la peau adjacente plus ou moins cicatricielle. La confection se fait en cinq minutes. Ce collier est très léger, il est poreux et il évite la macération, ce qui est appréciable pour un pays chaud. Il protège bien les points d'appui claviculaires et mandibulaires. Non toxique, il est facilement lavable par les savons ordinaires. Cet appareillage est porté par nos patients pendant au moins neuf mois jour et nuit jusqu'à parfois dix-huit mois pour les terrains hypertrophiques et cheloïdiens. Dans ces cas c'est le facteur compressif du matériau qui est utilisé au maximum. Le collier doit être enlevé uniquement pour la toilette et nettoyé une fois par jour par une compresse d'alcool. Une fois par semaine il est lavé à l'eau savonneuse. Il est changé dès que son pouvoir d'extension et de compression auront dirifinué. Ce matériel est peu onéreux.

Appréciation des resultats

Elle se fait tous les 3 mois jusqu'au vingtquatrième mois, moment où l'évolution cicatricielle peut être considérée comme terminée. Ce bilan comporte:

  • une appréciation clinique (couleur des greffons et des téguments adjacents; épaisseur, souplesse de l'atmosphère cutanée cervicale);
  • une appréciation fonctionnnelle (motilité du cou surtout dans ses amplitudes extrêmes).

Les impressions du malade sont notées.
Le patient est vu conjointement avec le kinésithérapeute, l'appareilleur, le médecin de rééducation et le chirurgien plasticien.
La présence d'une équipe est importante car elle le securise et l'aide à accepter une thérapeutique longue, contraignante, mais satisfaisante en définitive (8-14).

Fig. 2 A. Aspect préopératoire. Fig. 2 B. Aspect préopératoire.
Fig. 2 A. Aspect préopératoire. Fig. 2 B. Aspect préopératoire.
Fig. 2 C. Collier cervical. Fig. 2 D. Aspect préopératoire: 9 mois après.
Fig. 2 C. Collier cervical. Fig. 2 D. Aspect préopératoire: 9 mois après.

 

Fig. 3 A. Aspect préopératoire. Fig. 3 B. Résultat a 18 mois après excision des chéldides.
Fig. 3 A. Aspect préopératoire. Fig. 3 B. Résultat a 18 mois après excision des chéldides.
Fig. 3 C.  Aspect préopératoire. Fig. 3 C.  Aspect préopératoire.

 

Fig. 4 A. Aspect préopératoire. Fig. 4 A. Aspect préopératoire.
Fig. 4 A. Aspect préopératoire. Fig. 4 A. Aspect préopératoire.
Fig. 4 C.  Résultat à 6 mois. Fig. 4 C.  Résultat à 6 mois.

 

Fig. 5 A. Résultat à 6 mois. Fig. 5 B. Résultat a 9  mois.
Fig. 5 A. Résultat à 6 mois. Fig. 5 B. Résultat a 9  mois.
Fig. 5 B. Résultat a 18 mois après excision des chéldides. Fig. 5 B. Résultat a 18 mois après excision des chéldides.

Conclusion - Prévention

Malgré toute la minutie apportée au traitement des séquelles graves du cou et les efforts d'une équipe multidisciplinaire pour obtenir des résultats fonctionnels et esthétiques, certes, appréciables, les stigmates de ce traumatisme resteront toujours visible. L'idéal serait d'éviter la constitution des rétractions cervicales. Il faut tout d'abord positionner le brûlé cervical en enlevant l'oreiller et mettre le malade en décubitus strict. Il faut traiter la brûlure récente par un pansement moulé postural maintenant le cou en extension. E faut greffer précocement, sur bourgeon jeune, et si les lésions sont profondes faire comme pour les brûlures des mains une exérèse greffe précoce. En cas de séquelle constituée, dès que l'état général le permet, il faut opérer rapidement, surtout chez l'enfant. Il faut insister particulièrement sur le rôle capital du collier cervical amenant compression et extension pendant neuf mois au moins; il évitera les rétractions cervicales et pérennisera les résultats obtenus après correction chirurgicale.

SUMMARY. The authors consider the aesthetic treatment of the sequelae of severe neck burns in 40 patients. These effects, known as "major global necV, according to the Lilloise classification, are mainly severe fusions of the sternum and chin which have a severe functional and aesthetic impact on the face and thorax. The surgical cure is largely inspired by Texier's technique, which aims to restore the angle between the chin and neck by opening the scar tissue, excision of the platysmas, granulation by a powerful pro-inflarnmatory dressing followed a week later by a dermo-epidermic graft of moderate thickness. To achieve permanency of these functional and aesthetic results, a thermomalleable polyethylene (Plastazote) collar I cm thick is moulded onto the neck, as soon as the graft has taken. 'Ibis lightweight collar keeps the neck extended and compresses the graft and surrounding scarred areas, thus avoiding injury. It is worn day and night for nine months. It should be washed with soap and water once a week and changed when its properties of compression and extension have diminished. This use of surgery in conjunction with a collar gives stable and acceptable results from the functional and aesthetic points of view, and the techniques are simple and inexpensive. However, it is certain that correct initial treatment of cervical burns would lessen the aesthetic and functional damage.


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