Ann. Medit. Burns Club - vol. V1 - n. 2 - June 1993

INTERET DES PONCTIONS BIOPSIES DES FIBRES MUSCULAIRES STRIEES SQUELETTIQUES CHEZ LE GRAND BRULE: ETUDE PRELIMINAIRE

Wassermann D.,* Duvallet K,** Lebreton F,* Schlotterer R,* Thieuiart L.,** Rieu W*

* Contre des Brûlés
** Laboratoire de Physiologie des Adaptations Hôpital Cochin, Paris, France


RESUME. Cette étude préliminaire rapporte les résultats de dosages effectués chez des brûlés hospitalisés, réalisés sur des prélèvements de muscle strié squelettique obtenus par ponction biopsie au niveau du muscle vaste externe. La mise au point de micro-méthodes de dosage a rendu possible l'utilisation d'aiguille à biopsie hépatique, peu traumatisante en comparaison des classiques aiguilles de Bergstrôm. Les premiers résultats obtenus chez cinq patients montrent un effondrement de la concentration musculaire du glycogène et une diminution importante de la proportion des fibres de type 1 (fibres lentes). Ces résultats, qui devront être confinnés par une étude plus large, permettent de penser que l'analyse de la typologie musculaire et de la concentration des substrats énergétiques dans le muscle pourrait représenter une méthode fine et peu traumatisante pour surveiller l'état nutritionnel des brûlés, état nutritionnel dont on conneit les difficultés d'appréciation.

Les brûlures étendues entraînent un hypermétabolisme intense, proportionnel à l'importance des lésions et qui est responsable d'une dénutrition avec bilan azoté négatif (Aulick et coll., 1979). Ce dernier persiste souvent pendant plusieurs semaines chez les patients les plus gravement atteints, malgré l'instauration d'une hyperalimentation entérale et/ou parentérale. Une surveillance précise et continuelle de l'état nutritionnel devrait permettre de mieux adapter les apports caloriques aux besoins. Ceux-ci sont en effet bien souvent variables dans le temps, en fonction de l'évolution des brûlures, des complications, septiques en particulier, et des thérapeutiques instituées. Malheureusement, les critères habituellement utilisés pour suivre l'état nutritionnel des patients (poids, créatinine, albumine, etc.), perdent chez les grands brûlés, beaucoup de leur précision, en raison de facteurs surajoutés spécifiques de la brûlure. Le poids corporel est probablement, parmi ces critères, le plus facile à utiliser et le plus fiable. Malheureusement, seules ses variations à long terme reflètent une modification de l'état nutritionnel du patient. Il peut en effet être influencé, notamment au cours des premiers jours de l'évolution, par les variations de masse hydrique. De tous les tissus de l'organisme, le tissu musculaire strié squelettique est certainement celui sur lequel les dérèglements hormonaux secondaires à la brûlure ont le plus de répercussion, notamment en ce qui concerne le catabolisme protidique (Aulick et coll., 1979; Clark et coll., 1984). Une analyse biochimique régulière de la composition du muscle pourrait donc présenter un intérêt majeur dans le cadre du suivi métabolique du grand brûlé. Il apparaîÎt cependant nécessaire de disposer de méthodes d'analyse et de dosage suffisamment miniaturisees pour permettre futifisation d'aiguilles de petites dimensions, non traumatisantes pour le patient. Ce travail présente une étude préliminaire du contenu en glycogène et de la typologie du muscle strié squelettique réalisée par microméthodes sur des prélèvement obtenus par ponction biopsie chez le brûlé (Fig. 1).

DOSAGE DU GLYCOGENE

Fig. 1 Résultats des dosages individuels du glycogène musculaire. Comparaison avec les résultats de la littérature. Fig. 1 Résultats des dosages individuels du glycogène musculaire. Comparaison avec les résultats de la littérature.

Matériels et méthodes

Après incubation à pH 4, ce sont les fibres 1 et IIC qui apparaissent en noir, alors que les fibres IIA sont claires et les fibres IIB de couleur intermédiaire. Le tableau 1 présente les caractéristiques des cinq patients ayant participé à cette étude et les dates auxquelles ont été réalisées les ponctions biopsies. Il s'agissait de brûlés de gravité moyenne. A noter que le patient numéro 5 a été ponctionné trois fois à des dates différentes.

Résultats

Biopsie

La ponction biopsie a toujours été réalisée au cours d'une anesthésie générale. Cette anesthésie était dans tous les cas nécessitée par les soins des brûlures. La biopsie était pratiquée dans le muscle vaste externe à la jonction du 1/3 supérieur et du 1/3 moyen au moyen d'une aiguille à ponction hépatique.

Dosage du glycogène musculaire et typologie

Rappelons ici que l'utilisation d'aiguilles à biopsie hépatique, souhaitable pour éviter le traumatisme engendré lors de l'utilisation d'aiguilles classiques pour biopsies musculaires (aiguille de Bergstrôm), ne permet de recueillir que moins de <10 mg de tissu musculaire et impose donc le recours à des microméthodes pour l'étude chimique et histochimique. Ces microméthodes avaient été au préalable validées sur l'animal (rats et poneys). En ce qui concerne le glycogène musculaire, celui-ci a été déterminé par double dosage enzymatique du glucose par la méthode de la glycose oxydase. Le premier était effectué après simple broyage du tissu musculaire, le second était effectué après hydrolyse. La différence entre les valeurs obtenues pour ces deux dosages correspond à la concentration initiale du glycogène du tissu musculaire.
L'étude typologique a été réalisée par coloration de l'ATPase après incubation à pH 10,6 et à pH 4 respectivement. Après incubation à pH 10,6, les fibres de type IIA et IIB sont colorées en noir, les fibres de type 1 sont claires alors que les fibres de type IIC présentent une  Le tableau 1 présente les valeurs de concentration de glycogène par 100 g de muscle, observées po ur chacune des ponctions biopsies réalisées. Ces valeurs se situent environ à la moitié de celles habituellement rapportées dans les muscles de sujets normaux.

Etude histochimique

La typologie des fibres musculaires a été analysée sur quatre prélèvements. Les proportions de chaque type de fibres pour ces différents échantillons sont présentées à la figure 2. Il existe une bonne homogénéité de typologie entre ces 4 prélèvements.

Fig. 2 Typologie musculaire: résultats individuels. Fig. 2 Typologie musculaire: résultats individuels.

On constate, si l'on compare nos résultats avec ceux rapportés dans la littérature (Howald, 1982) concernant des sujets sédentaires, une nette diminution de la proportion des fibres de type 1 chez les patients de notre étude et une augmentation de la proportion des fibres de type 1113 (fig. 3).

Fig. 3 Proportion relative des fibres 1 et des fibres Il. Comparaison avec les données de la littérature. Fig. 3 Proportion relative des fibres 1 et des fibres Il. Comparaison avec les données de la littérature.

Discussion

Cette étude, tout à fait préliminaire, avait comme objectif principal d'évaluer la faisabilité de la technique de ponction biopsie musculaire chez le brûlé. Les résultats des analyses chimiques et histochimiques réalisées sont trop parcellaires pour pouvoir être interprétés avec fiabilité. En ce qui concerne la faisabilité, les ponctions biopsies ont été réalisées sans problème particulier. Aucune complication n'a été notée, ni hématome, ni infection, ni douleur au point de ponction. Il appareit facile d'effectuer la biopsie au moment des soins qui sont le plus souvent réalisés sous anesthésie générale chez les grands brûlés.
Les seules limitations sont représentées par l'existence, au niveau des cuisses, de brûlures ou de surfaces de peau prélevées pour réaliser des autogreffes (ces deux éventualités sont fréquentes chez les brûlés les plus graves et limitent donc les possibilité de biopsie chez ce type de patients).
Les valeurs effondrées du glycogène musculaire observé chez nos patients peuvent s'expliquer en partie par un phénomène de dilution par l'oedème (les dosages ont été réalisés sur le muscle entier sans dessiccation préalable).
Ceci pourrait être le cas pour les patients 1 et 4 chez lequels les biopsies ont été pratiquées précocement après la brûlure (B et JO respectivement).
En revanche, les autres prélèvements, effectués à distance du jour de la brûlure, ne peuvent avoir été fortement influencés par les oedèmes, d'autant qu'il ne s'agissait pas de brûlures très étendues.
Les perturbations endocriniennes engendrées par la brûlure, notamment l'abaissement du rapport insuline/glucagon (Wilmore, 1974) expliquent, par la glycogénolyse qu'elles entraînent, cette diminution du glycogène musculaire.
Us valeurs relevées chez nos patients, particulièrement basses compte tenu de la gravité relativement modeste de leur brûlures, sont surprenantes et mériteraient, à notre sens, d'être vérifiées sur une population plus large lors d'une étude systématique transversale et longitudinale.
La proportion relative des différents types de fibres n'étant pas influencée par les phénomènes de dilution, les résultats obtenus lors des études histochimiques, bien que très fragmentaires sont probablement plus significatifs que les dosages de glycogène.
Les quatre prélèvements étudiés se caractérisent par une proportion particulièrement faible de fibres de type I (respectivement 42~o, 36%, 36% et 37%) et élevée de fibres de type IIB (18%, 23%, 25%, 19%). Ces chiffres sont à comparer a ceux rapportés par Howald (1982) lors de l'étude de vastes externes de sujets sédentaires (fibres 1: 51,3% ± 2,7-, fibres IIB: 7,1% ± 2,8).
Une telle modification de la typologie pourrait être en rapport avec plusieurs facteurs, au premier rang desquels se trouvent probablement l'immobilisation et les perturbations métaboliques.
Nos biopsies ont toutes été pratiquées chez des patients alités sur un lit fluidisé, qui, par son mode de fonctionnement, met le patient dans des conditions qui se rapprochent de l'apesanteur et diminuent donc le tonus musculaire.
Hâggmark et coll. (1981) ont observé une diminution du pourcentage de fibres 1 dans 7 cas sur 9 chez des patients de chirurgie immobilisés pendant cinq semaines. Il semble toutefois peu probable que chez nos patients, pour lesquels le délai d'alitement était faible, l'immobilisation, à celle seule, puisse expliquer les modifications observées.
Les conditions métaboliques spécifiques du brûlé et notamment le catabolisme protidique sont également susceptibles de modifier la typologie musculaire.
Les fibres humaines de type 1 et de type Il se différencient en effet par la composition de leur chaînes lourdes et légères de myosine ainsi que par la structure de leur protéines régulatrices (Billeter et coll., 1981). Le type de protéines intracellulaires et donc le type de fibres peuvent dépendre de différents stimuli susceptibles de modifier l'expression des gènes de ces diverses protéines (Jolesz et Sreter, 1981). On peut émettre l'hypothèse que des conditions métaboliques anormales puissent également jouer un rôle modulateur.
Le développement des mierométhodes pour les études chimiques et histochimiques permet aujourd'hui d'envisager la surveillance de l'état nutritionnel du grand brûlé par ponction biopsie musculaire. On peut en effet réaliser les prélèvements nécessaires avec des aiguilles de faibles dimensions qui se sont révélées non traumatisantes et faciles à utiliser.  Les premiers résultats observés laissent deviner de profondes perturbations chimiques et histochimiques au niveau des muscles striés de ces patients. Ces perturbations devront être confirmées par des études plus larges, prenant en compte, non seulement le contenu en glycogène et la typologie, mais aussi le contenu en protéines, et surtout par des études longitudinales permettant de les corréler au stade évolutif de la brûlure et à l'état nutritionnel du patient.
Ce travail a été finance par un contrat DRET

SUMMARY. This preliminary study presents the results of assays in hospitalized burn patients performed on samples of skeletal striated muscle at the level of the musculus vastus lateralis. The perfectioning of assay micromethods made it possible to use the hepatic biopsy needle, which is much less traumatic than the classic BefgstrOm needles. The first results, obtained in five patients, show a considerable drop in muscle glycogen concentration and a significant reduction in the number of type 1 fibres (slow fibres). These results, which need the confirmation of a more extensive study, suggest that the analysis of muscular typology and of the concentration of the energy substrata in the muscle could represent a precise and non-traumatic method for controlling the nutritional condition of burned patients, a condition that is known to be difficult to appreciate.


BIBLIOGRAPHIE

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