Ann. Medit. Burns Club - vol. VIII - n. 2 - June 1995

PRISE EN CHARGE MULTIDISCIPLINAIRE D'UNE EPIDEMIE A PSEUDOMONAS AERUGINOSA MULTIRESISTANT DANS LE SERVICE DES BRULES DE NANTES

Le Floch R*, Richard P.**, Fourret R*, Pannier W, Potel G.***, Fleury W*, Richet K**

* Service des brûlés
** Laboratoire de bactériologie A
*** Laboratoire d'infectiologie expérimentale CHR Nantes, France


RESUME. La survenue en un an et demi de 16 infections systémiques à Pseudomonas aeruginosa serovar 012 nous a amenés à faire une enquête épidémiologique, une étude cas-témoin et une étude expérimentale, qui, par le biais d'une augmentation posologique des antipyocyaniques utilisés et d'un dosage systématique des taux sériques obtenus, ont permis l'éradication de cette épidémie. Ceci montre l'intérêt de la collaboration entre plusieurs équipes ainsi que celui de l'utilisation de fortes doses d'antibiotiques, de la connaissance des concentrations minimales inhibitrices des germes d'un service de brûlés, et de l'étude systématique des concentrations sanguines des antibiotiques utilisés.

Introduction

Entre le 30/l/1991 et le 22/8/1992 sont survenues 16 infections systémiques dues à Pseudomonas aeruginosa sérovar 012, dont la sensibilité à la ceftazidime et à l'aztréonam est diminuée. Ces infections, comprenaient douze septicémies, deux pneumopathies authentifiées par brosse de Wimberley, une pyélonéphrite et une uréthroprostatite. Trois observations vont montrer notre clinique, puis nous exposerons les recherches épidémiologiques expérimentale et statistique qui nous ont permis de venir à bout de cette épidémie.

Observation n' 1

Il s'agit d'un homme de 63 ans, brûlé par flamme le 21/l/92. La surface atteinte représente 20% de la surface corporelle totale, au niveau du membre inférieur droit, du périnée, de la fesse droite (3ème degré partout). Antécédents d'éthylisme chronique, de prothèse de hanche sur fracture du col de fémur, de fracture de cheville droite. Excision réalisée en trois temps les 30/1, 6/2 et 11/2. Septicémie à staphylocoque doré avec atteinte urinaire le 11/2, traitée par l'association Targocid-Fucidine. Septicémie mixte à Pseudomonas aeruginosa 011 et 012 le 20/2. Les concentrations minimales inhibitrices (CMI) du Pseudomonas aeruginosa 012 sont 8 mg/1 pour la ceftazidime et l'aztréonam, nous ne disposons pas de celle vis à vis de l'amikacine. Le traitement institué associe 3 g de ceftazidime et 1 g d'amikacine. Les amikacinémies du 20/2 sont de moins de 2 et 19,4 mg/1 et la posologie est passée à 1,5 g par jour, pour obtenir des concentrations sériques le 24/2 de 2,3 et 46,4 mg/1. Le 2/3/92, on observe un écoulement purulent du méat urinaire et le toucher rectal objective une hypertrophie prostatique très douloureuse. Les prélèvements de pus reviennent positifs à Pseudomonas aerugi . nosa serovar 012. Le diagnostic d'uréthroprostatite secondaire à la septicémie est donc posé. Le traitement associe ceftazidime 4 g/j pendant six semaines et amikacine L5 g/j pendant deux semaines. La guérison est obtenue.

On observe ici:

  • que des posologies satisfaisantes d'amikacine n'ont pas empêché la survenue d'une localisation secondaire;

  • que l'utilisation de 3 g/j de ceftazidime a laissé se développer une uréthroprostatite;

  • que cette dernière a guéri lorsque la posologie de ceftazidime a été passée à 4 g/j.

Observation n' 2

Il s'agit d'un homme de 40 ans, marin d'origine ukrainienne, brûlé dans un incendie de machine le 4/2/92. La surface brûlée est de 40% de la surface corporelle totale, au niveau du visage, du cou, des mains, du thorax, du dos, des jambes. Les lésions de la partie supérieure du corps sont profondes. Il existe une brûlure des voies aériennes superieures. La fibroscopie bronchique faite à l'entrée ne montre pas de suie, mais il existe une brûlure trachéale de 1 CM2 environ. Une trachéotomie a été effectuée avant le transfert, en zone brûlée et le malade est mis sous amoxicilline-acide clavulanique.
Nous ne connaissons pas les antécédents de ce malade.
Le 10/2, avant tout geste chirurgical local, survient une pneurnopathie hypoxémiante sévère. Dès le retour de l'examen bactériologique direct effectué sur la brosse de Wimberley, qui montre des bacilles Gram négatifs, le malade est mis sous association ceftazidime 3 g/j-amicacine L5 g/j.
Les cultures retrouvent un Pseudomonas aeruginosa sérovar 012, ayant une CMI de 8 mg/] vis à vis de la ceftazidime, à 2 pour l'amikacine, l'association des deux antibiotiques étant synergique.
Le 13/2, les dosages, plasmatiques d'antibiotiques sont de 0,5/35 mg/l pour la ceftazidime et 6,1/23,5 mg/l pour l'amikacine. La posologie de la ceftazidime est augmentée à 4 g/j, celle d'amikacine ramenée à 1 g/j, Les taux plasmatiques de ceftazidime du 14/2 sont de 14,4 et 46,2 mglj.
Le malade décède le 21/2/92 dans un tableau de fibrose pulmonaire, avec une impossibilité de réaliser une ventilation mécanique efficace.
Il semble ici que les quatre jours mis à atteindre des taux de ceftazidime efficaces, alors même que l'amikacine était plutôt surdosée, ont laissé se développer des lésions pulmonaires irréversibles.

Observation n' 3

Il s'agit d'un homme de 27 ans, brûlé le 8/4/92 par explosion de gaz. L'atteinte est de 25% de la surface corporelle totale, profonde, au niveau du visage, du cou, du thorax, des organes génitaux et des cuisses. Du fait de l'atteinte du visage et du cou, le malade est intubé et ventilé jusqu'au 20/5; il n'y a pas d'atteinte respiratoire.
Le malade n'a pas d'antécédent particulier.
Des séances d'excision sont réalisées les 13, 16, 18 et 28/4. Une septicémie à Acinetobacter baumanii, traitée par imipénème et ainikacine, survient le 16/4.Le 4/5 survient une septicémie mixte à staphylocoque doré résistant à la méthicilline et Pseudonionas aeruginosa sérovar 012. Un traitement de trois semaines par Vancocine aura raison du staphylocoque.
La CMI de la ceftazidime est de 8, cella de l'amikacine de 4 mgIl. Le traitement institué le 4/5 associe ceftazidime 4 g/j et amikacine 1 g/j. Les amikacinémies réalisées le 7/5 sont die moins de 5 et 33 mgIl. De nouvelles hémocultures du 9 et du 1115 reviennent positives à Pseudomonas aeruginosa sérovar 012. Des dosages plasmatiques de ceftazidime sont demandés le 1115, ils sont de 2,5 et 28,3 mg/]. La posologie de ceftazidime est augmentée à 6 g/j et les dosages sanguins du l3/~ sont de 15 et 60 mg/l. La stérilisation des hémocultures est obtenue à partir de cette augmentation posologique.
La guérison n'est obtenue qu'avec de fortes doses de ceftazidime alors que la posologie d'amikacine est correcte.
L'étude épidémiologique a été conduite par M. Fleury. Un réservoir de germe a été recherché dans les chambres, dans la salle de balnéation, au bloc opératoire, dans les parties communes du service (paillasse, salle de soin) ainsi qu'au niveau de tous les points d'eau. Il n'a été retrouvée aucune souche de Pseudomonas aeruginosa sérovar 012, par contre, une souche de Pseudomonas aerugi . nosa serovar 011 a été retrouvée dans l'adduction d'eau de la baignoire, qui se faisait par le bas. Depuis, le remplissage de la baignoire se fait par le haut. Le seul réservoir de germe est donc humain, et l'épidémie a donc eu lieu à cause du maimportage. Effectivement, à la relecture des dossiers, on trouve un chevauchement des dates d'hospitalisation de tous nos malades.
L'étude expérimentale a été réalisée par G. Potel, sur le modèle de l'endocardite expérimentale du lapin. "Notre" pyocyanique était très virulent et se cultivait très bien sur les valves. Les divers traitements utilisés étaient amikacine seule, ceftazidime seule à faible et forte dose, association amikacine et ceftazidime aux deux posologies sus-évoquées, association ceftazidime-sulbactam aux deux posologies de ceftazidime. Il a observé que l'amikacine seule est inefficace, que seules les fortes doses de ceftazidime Permettent de stériliser les valves, quelles que soient les concentrations d'amikazine, enfin que l'adjonction de sulbactam à la ceftazidime n'apporte rien. Il est apparu à la suite d'essais secondaires que la meilleure association est celle de fosfomycine et ciprofloxacine. Il ne faut ici pas faire l'erreur de la prescrire à tout va, du fait du caractère hautement inducteur de résistance de ces antibiotiques.
Une étude statistique de type cas-témoin a été conduite par P. Richard. Tous les malades (16) ayant développé une infection systémique à Pseudomonas aerugi . nosa serovar 012 ont été retenus comme "cas". Les 33 témoins sont des malades ayant une brûlure de plus de 10% de la surface corporelle et étant restés plus de 10 jours dans l'unité de soins intensifs du service (valeurs inférieures de surface et de délai avant survenue de l'accident infectieux chez les cas). L'analyse univariée a trouvé quatre facteurs de risques: age de plus de 60 ans, brûlure profonde du visage (mais la notion d'intubation n'est pas retrouvée), durée de séjour de plus de trois semaines et utilisation avant l'infection de ceftazidime. En analyse multivariée, seul ce dernier facteur de risque persiste.

Conclusion

La survenue d'une épidémie de Pseudomonas aeruginosa sérovar 012 dans le service des brûlés de Nantes a été déclenchée par une utilisation inappropriée de ceftazidime (posologie systématique de 3 g/j sans vérification des concentrations plasmatiques). Le manuportage a ensuite été responsable de la diffusion du germe. Au vu des résultats de l'étude épidémiologique, de l'étude expérimentale et de l'étude statistique, nous avons décidé de la conduite suivante:

  1. Prescription de 6 g/j d'aztréonam pour le traitement probabiliste des infections à bacille Gram négatif, et retrait de cet antibiotique dès que l'antibiogramme le permet.

  2. Dosage systématique des taux plasmatiques de tout antibiotique prescrit en exigeant, pour les bêtalactamines, un taux résiduel au moins quadruple de la CMI.

  3. Recherche systématique, à dix jours d'hospitalisation en USI et une fois par semaine tant que les résultats sont négatifs, d'une colonisation par Pseudomonas aeruglnosa sérovar 012 au niveau du tube digestif (coproculture et/ou écouvillonnage rectal; prélèvement pharyngé, prélèvement au niveau de la plaie). Si un des ces prélèvements est positif, des mesures d'isolement strict sont appliquées et une infection à BGN est traitée par ciproflaxacinefosfomycine en attente de l'antibiogramme.

Depuis que ces mesures ont été prises, nous n'avons observé que deux septicémies à Pseudomonas aeruginosa serovar 012 en deux ans.

SUMMARY. The occurrence in 18 months of 16 systemic infections due to Pseudomonas aeruginosa serovar 012 prompted us to carry out an epidemiological study, a case control study and an experimental study following which, by increasing the dosage of antipyocyanies and systematic monitoring of serum levels, it was possible to eradicate the epidemic. This shows the benefits of the collaboration of several teams and the importance of the use of high doses of antibiotics, of knowledge of the minimum inhibitory concentration of the germs in a burns centre, and of the systematic study of the concentration in the blood of the antibiotics used.

EUROPEAN BURNS ASSOCIATION 6TH INTERNATIONAL CONGRESS
will be held from 13 to 15 September 1995
in Verona, Italy

The scientific programme includes:

  • Burns in the elderly
  • Immunology and topical treatment of lesion
  • Face and hand burns (immediate and long-term results)

For further information contact:

Scientific Secretariat:
Prof. Dino Barisom, Divisione di Chirurgia Plastica Ospedale di Borgo Trento
37126 Verona - Italy
Tel. 0039/45/8072412 - Fax 0039/45/8072069

Meeting Venue:
Exhibition Centre
Viale del Lavoro, 8/a - 37135 Verona - Italy

Organizing Secretariat:
Errebi Congressi dept. of Renbel Travel s.r.l.
Via Monte Pasubio, 8 - 37126 Verona - Italy
Tel. 0039/45/916577 - Fax 0039/45/912903




 

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