Ann. Medit. Burns Club - vol. VIII - n. 2 - June 1995
ALGODYSTROPHIE DE LA MAIN BRULEE A LA
PHASE AIGÙE: PROBLEME POSE EN REDUCATION
Tromel M.F., Leclerc J.
Centre Régional des Grands
Brûlés,
Hôpital de la Conception, Marseille, France
RESUME. La
rééducation précoce de la main brûlée est parfois rendue difficile par l'apparition
d'une douleur intense, rapidement invalidante, accentuée par toute mobilisation. Les
auteurs présentent les critères diagnostiques de cette forme d'algodystrophie, et ils
proposent une solution thérapeutique rapide pour enrayer le processus et permettre une
bonne conduite de la rééducation de la main atteinte. Mais en fait, le meilleur des
traitements , est toujours la prévention, suivant l'adage "mieux prévenir que
guérir".
Introduction
Toute main brûlée doit pouvoir
bénéficier d'une rééducation précoce, dès le centre aigu, quelqu'ait été le type
de traitement adopté. Cette rééducation est parfois rendue difficile par l'apparition,
dans les premières semaines, d'une douleur intense, sans rapport avec l'atteinte
cutanée, rapidement invalidante, accentuée par toute mobilisation. Voulant préserver
l'avenir fonctionnel de cette main, nous avons tenté de trouver une solution
thérapeutique rapide pour enrayer le processus et permettre une bonne conduite de la
rééducation.
Signes d'appel
La rééducation est quotidienne,
voire bi-quotidienne, d'une façon égale quelque soit le contexte de la brûlure et
quelque soit le patient, suivant un protocole constant adapté au mode de traitement
(excision-greffe ou cicatrisation dirigée) et au malade.
Elle est active et/ou passive en fonction de la conscience et de la coopération.du
malade, alternée avec des postures sur attelles, suivant le schéma classique.
Elle est toujours progressive, douce, prudente, mais ferme.
La douleur apparaît, exacerbée d'une façon anormale par rapport aux séances
précédentes sans qu'aucun élément nouveau n'ait pu.la laisser présager, obligeant le
kinésithérapeute à suspendre les séances.
Quand la mobilisation passive est encore possible, le thérapeute constate un
enraidissement anormal et rapide avec perte notable des gains obtenus aux seances
precedentes et régression des possibilités fonctionnelles.
Par ailleurs, apparition d'un oedème évident soit sur main hors pansement, soit sur main
déjà cicatrisée, cet oedeme étant, bien entendu, très différent de l'oedème des
premiers jours de la brûlure.
Nous pouvons également constater une réaction vasomotrice plus'ou moins intense, avec
rougeur, une hyperesthésie, une hyperthermie que nous ne retiendrons pas, celles-ci
étant quasi-constantes sur une brûlure récente.
Le tableau clinique peut apparaître sur une seule main, alors que les deux sont brûlées
voire greffées. Nous ne constatons aucune relation avec le pourcentage de la surface
brûlée.
Signalons enfin le profil psychologique particulier de ces patients souvent anxieux,
passifs ou au contraire impulsifs voire agressifs. Les conditions d'enfermement
inéluctables en cas de brûlures étendues peuvent perturber ces malades qui acceptent
mal les contraintes et la douleur.
Le traurnatisme, physique et psychique occasioilné par la brûlure est important pour
tous, mais vécu différemment par chacun.
Cet ensemble de signes nous a conduits à évoquer une algodystrophie telle qu'elle est
classiquement décrite.
Le syndrome algodystrophique
A - L'algodystrophie peut appareître
au décours de tout traumatisme même minime sans parallélisme entre la gravité de
celui-ci et l'intensité du syndrome. Elle survient sur un terrain favorisant avec
dystonie neuro- végétative, hyperémotivité, anxiété. Il est aussi décrit d'autres
facteurs favorisants tels le diabète, l'hypertriglycéridémie, l'hypothyroïdie, la
prise médicamenteuse (barbituriques ... ).
B - C'est une atteinte
pseudo-inflammatoire, douloureuse, avec empâtement diffus, infiltrant toute la main et
les doigts. Cette douleur est intense, exacerbée par la moindre mobilisation. Il existe
un enraidissement articulaire en semi-flexion des doigts. Toute tentative d'extension ou
de flexion complète est impossible et douloureuse. Il existe des troubles vasomoteurs
avec téguments chauds et rosés.
C - 5tude des examens
paracliniques de l'algodystrophie
Les examens biologiques:
ne montrent pas de syndrome
inflammatoire avec, en particulier, une vitesse de sédimentation normale
le bilan phosphocalcique sanguin et
urinaire est normal
seule, l'hydroxyprolinurie est
habituellement élevée.
Les examens radiologiques: les signes
classiques sont d'apparition tardive (de plusieurs semaines à plusieurs mois, par rapport
au début de l'atteinte clinique). Ils sont inconstants: décalcification, parfois
modérée avec aspect pommelé, moucheté et intégrité des interlignes articulaires,
puis disparition de la trame osseuse. Les examens scintigraphiques font apparaître une
hyperfixation isotopique précoce, intense, mais inconstante et d'étendue variable. Elle
apparaît avant les signes radiologiques, persiste au-delà des signes cliniques et
disparaît avant les signes radiologiques. Les examens thermographiques permettent de
mettre en évidence une hyperthermie par rapport au côté opposé.
CRITERES DIAGNOSTIQUES DE
L'ALGODYSTROPHIE
proposés par Doury
Groupe A
Douleur loco-régionale
Hyperesthésie cutanée
Troubles vaso-moteurs: hyperthermie ou
hypothermie loco-régionale ou locale
Rougeur, pâleur ou cyanose
loco-régionale ou locale
Hyperhidrose loco-régionale ou locale
Oedème segmentaire
Rétraction aponévrotique, tendineuse
ou capsulaire
Groupe B
Déminéralisation osseuse homogène ou
hétérogène loco-régionale ou locale sans condensation et sans altération des
interlignes articulaires
Hyper- ou hypo-fixation scintigraphique
loco-régionale ou locale
Groupe C
Absence de syndrome inflammatoire
(vitesse de sédimentation normale)
Groupe D
Liquide auriculaire paucicellulaire
Histologie synoviale avec congestion
vasculaire sans infiltration cellulaire notable
Histologie osseuse normale ou avec
raréfaction des travées osseuses ou avec hyperostéoclastose ou hyperostéoblastose
Groupe E
Efficacité spectaculaire de la
calcitonine ou des béta-bloquants
Le diagnostic est défini:
Si au moins un des critères. de chacun des groupes A, B, C ou A, C, E est satisfait.
Le diagnostic est probable:
Si au moins
un des criteres de chacun des groupes B,
C, D
ou deux critères du groupe A et un
critère des groupes C, D .
ou deux gitères du groupe A et le
critère E sont satisfaits.
Le diagnostic est possible:
Si au moins un des critères des groupes A, B ou A, C ou A, E ou B, C est satisfait.
L'algodystrophie chez le patient
brûlé
Les signes cliniques sont comparables:
syndrome algique avec empâtement global et enraidissement articulaire chez un patient
ayant su~i un traumatisme avec un contexte psychologique particulier.
La biologie ne peut ni confirmer ni
infirmer le diagnostic. En effet, en cas de brûlure, la VS est toujours élevée, le
bilan phosphocalcique est perturbé et ce, d'autant plus que le patient est immobilisé,
l'hydroxyprolinurie est également élevée par atteinte du collagène cutané, en
particulier.
La radiologie permet d'éliminer une
arthrite, mais n'est d'aucune utilité pour un diagnostic prècoce.
La scintigraphie au Technetium et la
thermographie ne sont pas réalisables en centre aigu.
En définitive, suivant la
classification de Doury, nous pouvons dire que le diagnostic d'algodystrophie est
possible. Cette classification définit cinq groupes de critères: cliniques,
radiologiques, biologiques, anatomo-pathologiques et thérapeutiques.
Dans notre cas, nous retiendrons:
groupe A - critère 1: "La douleur loco-régionale ou locale de type mécanique,
inflammatoire ou mixte".
groupe E: effet spectaculaire de la calcitonine ou des béta-bloquants.
Proposition d'un traitement chez un
patient brûle
A. Parmi l'arsenal thérapeutique classique, nous ne verrons que les principaux:
les antalgiques: il sont largement prescrits au centre aigu. Nous n'en parlerons pas.
les anti-inflammatoires: ils présentent des inconvénients non négligeables chez ces
patients sous Calciparine (risque hémorragique) et au risque accru d'ulcère de stress
les béta-bloquants retenus depuis 1977 par May: ils ne sont pas d'un maniement aisé à
la phase aiguë en réanimation et chez certains patients à l'équilibre
cardio-vasculaire précaire.
la griséofulvine: elle peut être proposée dès le début du syndrome algique, mais à
fortes doses et son efficacité n'est pas reconnue par tous les auteurs.
la calcitonine: son action a été prouvée dès 1973 par Eisinger et collaborateurs, avec
amélioration clinique nette et rapide. Elle doit être administrée précocément au
stade des douleurs, de l'oedème et des troubles vasomoteurs, dès que le diagnostic est
évoqué. Son efficacité est moindre, voire nulle, si elle est prescrite tardivement.
Il vaut mieux alors lui préférer: les blocs intra-veineux loco-régionaux à la
guanethidine, à la réserpine ou au buflomédil, sous garrot. Es sont réservés aux
atteintes rebelles, résistant aux traitements précédents.
Cette therapeutique doit être pratiquée en milieu d'anesthésie réanimation du fait du
risque d'hypotension artérielle. Le buflornédil semble comporter moins de dangers, selon
certains auteurs.
Mais le bloc IV est impossible à prescrire si la brûlure atteint tout le membre
supérieur.
B. La rééducation est un des
éléments principaux du traitement.
1. Son but est d'empêcher les rétractions et la perte des amplitudes articulaires par la
fibrose qui constitueront des séquelles sévères, irréversibles, majorées par
l'association de deux pathologies: la brûlure et le syndrome d'algodystrophie.
2. A la phase hyperalgique, la rééducation doit être prudente et persévérante.
* Elle est active, progressive en séances courtes, si possible au bain.
* Elle doit respecter la règle de la non douleur.
* Entre les séances, la main est mise au repos sur une attelle, décrite classiquement
dans le cas de brûlure, non contraignante et maintenue en position surélevée, tant que
persiste la douleur violente.
3. Puis, dès que le syndrome algique
diminue, l'immobilisation est progressivement abandonnée, privilégiant la mobilité
articulaire et la force musculaire.
* La mobilisation active aidée, voire passive peut alors être entreprise.
* Le massage anti-oedème et le drainage lymphatique sont impossibles à réaliser en cas
de non cicatrisation.
* L'hydromassage, les bains écossais, les variations thermiques (chaud-froid alternés),
la pressothérapie, ne sont, bien entendu, pas possible au stade précoce de la brulure.
* Enfin, la physiothérapie habituelle (ultrasons, ondes centimétriques pulsées,
ionisations) est également éliminée au centre aigu.
Chaque fois qu'un patient brûlé a
présenté un syndrome algique d'une main faisant suspecter une algodystrophie, nous avons
demandé aux réanimateurs de prescrire la calcitonine en sous-cutanée, suivant le
protocole habituel, en association avec les antalgiques et la rééducation.
Les résults ont été rapides: amélioration nette des douleurs entre le 3ème et le
8ème jour après le début du traitement.Les effets secondaires de cette thérapeutique
(nausées, vertiges, bouffées de chaleur) ont été minimes jusqu'à présent et n'ont
justifié, à aucun moment, l'arrêt du traitement.Cependent, les résultats à long teme
sont difficiles à interpréter car il ne faut pas perdre de vue que le traumatisme
initial est la brûlure.
Conclusions
En rééducation, la douleur est un agent
redoutable de fibrose, mais aussi une "sonnette d'alarme". C'est pour cela
qu'elle doit être respectée.
Le meilleur traitement de la douleur est de ne pas la provoquer; quand elle devient
spontanée et, de ce fait, gênante il faut en rechercher la cause.A défaut de
"sentir" s'installer ce syndrome douloureux pseudo-inflammatoire, la douleur
précédant l'oedème, il conviendra d'en reconnaître les premiers signes afin d'en
enrayer le plus rapidement possible le développement.Aux premiers signes de suspicion, il
faut demeurer vigilants et attentifs, que la dystonie neuro-vegetative soit évidente ou
non, afin de débuter un traitement sans attendre que le diagnostic médical soit
objectivé.
Cette pathologie longtemps méconnue est en fait fréquente dans les milieux de
rééducation et il faut savoir y penser.
Mais en fait, le meilleur des traitements, est,la prévention suivant l'adage "mieux
vaut prévenir que guérir. C'est une partie fondamentale où les rééducateurs ont un
rôle considérable à jouer en assurant:
une surveillance régulière
une prise en charge précoce et globale
des patients par une rééducation bien dosée, mais attentive à toute douleur, sans
confondre efficacité et agressivité
un soutien psychologique important.
En rééducation, l'enraidissement
douloureux est redoutable et la non utilisation d'une articulation compromet l'avenir
fonctionnel de cette articulation. Aussi, dès l'apparition de ces douleurs à la phase
aiguë, se pose le dilemme pour le kinésithérapeute de l'immobilisation (incompatible
avec le traitement classique de la brûlure) et de la mobilisation en capacité cutanée
maxima (incompatible avec la suspicion d'algodystrophie) et ce d'autant plus que c'est une
main brûlée.
Il faut donc éviter au maximum les séquelles irréversibles, alliant troubles trophiques
de la phase secondaire de l'algodystrophie (fibrose rétractile, atrophie muscolaire,
raréfaction osseuse) et troubles dus à la brûlure (rétraction cutanée, brides et
déformations invalidantes) par un diagnostic précoce et un traitement adapté.
SUMMARY. Early
rehabilitation of the burned hand is sometimes complicated by the onset of intense and
rapidly invalidating pain which is exacerbated by any immobilization. The diagnostic
criteria of this form of algodystrophy are described and a rapid therapeutic solution is
proposed for blocking the process and permitting good rehabilitation of the affected hand.
However, the best treatment is in all cases prevention, following the old adage
"prevention is better than cure".
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