Ann. Medit. Burns Club - vol. VIII - n. 2 - June 1995

EXAMEN PSYCHIATRIQUE SYSTEMATIQUE D'UNE POPULATION DE 233 MALADES BRULES: DONNEES SIGNIFICATIVES

Vidon G., Lannoy-Mazas J.F.

Hôpital de la Musse, BP 119, Saint-Sébastien-de-Morsens, France


RESUME. Les auteurs, dans une étude a posteriori de 233 malades brûlés effectuée pour établir la possible existence de facteurs prédisposants à la brûlure, ont trouvé une prépondérance de l'alcoolisine (22% des cas) et des antécédents psychiatriques (20%). Pour ce qui concerne les facteurs sociaux, il s'agit d'une population globalement marquée par la solitude, par l'absence de statut social et par le chômage. Quant aux circonstances de la brûlure, les accidents domestiques (46,8%) l'emportaient de loin sur les autres catégories. Les facteurs prédisposants à la brûlure semblent être l'alcoolisme, des conditions de vie solitaire, l'absence de statut professionnel et le chômage.

Introduction

Dans la littérature internationale, surtout en langue anglaise, de nombreuses études se sont intéressées au contexte psychosocial si particulier du brûlé à la recherche de facteurs "prédisposants".
Bien entendu, les différents résultats publiés varient selon de nombreux critères: citons les caractéristiques de la population étudiée, les différentes cultures des divers pays où elles ont été recensées, le stade d'évolution de la brûlure et la façon dont a été effectué le recueil des données, etc.
Toutefois, retenons que parmi les différents facteurs étudiés on retrouve une incidence particulièrement significative pour certains d'entre-eux:

  1. L'alcoolisme est le plus fréquemment cité, mais dans des proportions variables, atteignant 10 à 48% des cas; l'alcool exposerait en outre à-des brûlures plus étendues, aurait une incidence léthale plus importante et bien entendu exposerait-à davantage de complications.

  2. Le deuxième contingent est réalisé par la présence d'un trouble psychique depuis les troubles de la personnalité jusqu'à une maladie mentale: 10 à 30% des cas selon les études.

  3. Les tentatives de suicide paient un lourd tribut à la brûlure: 10 à 20 % des cas selon les appréciations.

  4. Des aspects sociaux particuliers sont régulièrement retrouvés, qu'il s'agisse:

    • de l'environnement social qui est souvent pauvre ou déficient

    • ou de l'inscription du sujet dans le social qui est habituellement en marge, en rupture, ou chaotique avec des attitudes antisociales ou des conduites dangereuses.

Méthode

Dans le cadre d'un centre de réadaptation, nous avons procédé à l'examen psychiatrique systématique de tous les brûlés entrants (considérés comme cicatrisés, au pronostic vital assuré, n'ayant plus de séance de greffe).
L'étude à posteriori de 233 dossiers colligés pendant trois ans a été effectuée selon une grille recensant:

Des facteurs objectifs: circonstances et caractéristiques de la brûlure, caractéristiques du diagnostic, des antécédents, du traitement et de la prise en charge psychiatrique durant le séjour, ainsi que des caractéristiques sociales. Des facteurs subjectifs: qualité de la prise en charge et surtout recherche de l'individualisation d'un sous-groupe de sujets à risque, "prédisposés" à la brûlure.

Résultats

1. Nous avons examiné 233 malades, ce qui constitue une série importante, statistiquement significative. Nous avons trouvé 156 hommes pour 77 femmes: il s'agit là d'une donnée habituelle de la littérature, il y a toujours plus d'hommes que de femmes dans la population des brûlés, et ceci quel que soit l'âge de la vie.

2. Notre échantillon de brûlés apparaît globalement conforme à ce qui est retrouvé dans la littérature: s'il y a eu une sélection préalable à l'admission de ces malades dans notre centre de rééducation, nous ne pouvons, en être tenus pour responsables. La majorité des malades de notre cohorte se situe entre 20 et 50 ans (21 à 30 ans: 48; 31 à 40 ans: 57; 41 à 50 ans: 47), il s'agit bien donc d'adultes jeunes.

3. Dans les antécédents, nous nous sommes attachés à rechercher systématiquement les antécédents psychiatriques, les tentatives de suicidje, l'alcoholisme chronique, la toxicomanie et enfin les antécédents traumatiques sur lesquels nous reviendrons.

Tableau 1 - Antécédents (nu: 233) Tableau 1 - Antécédents (nu: 233)

156 brûlés présentent un examen psychiatrique dans les limites de la normale, ce qui constitue un chiffre important. Par contre, nous retrouvons - comme dans la littérature - la prépondérance de l'alcoholisme (22%) (Tableau 1). Les antécédents psychiatriques représentent quant à eux 20% de la population.
f Les tentatives de suicide avoisinent les chiffres habituels (12%).
Nous avons voulu isoler des antécédents "traumatiques": il s'agissait de chercher les malades pour lesquels était retrouvé de façon récente un antécédent ' marqué par la violence: 12% (il faut signaler que dans quatre cas il s'agissait d'une plaie par arme blanche et que dans les autres cas on objectivait des fractures importantes occasionnées par un accident de voiture ou des chutes diverses),

Tableau Il - Facteurs sociaux (n': 233) Tableau Il - Facteurs sociaux (n': 233)

Enfin, le contingent des toxicomanes, s'il apparaît minoritaire ici, est toutefois bien supérieur au chiffre retrouvé dans la population générale.
4. Sur le Tableau II on a recensé les facteurs sociaux retrouvés. Il s'agit d'une population globalement marquée par la solitude, par l'absence de statut social et par le chômage. Cependant nous avons été surpris par le faible taux de sans domicile fixe (5%).

Tableau III - Diagnostic psychiatrique à l'entrée (un: 233)

Tableau III - Diagnostic psychiatrique à l'entrée (un: 233)

5. Tous les brûlés admis à l'hôspital de la Musse bénéficient d'un examen psychiatrique systématique: le Tableau III objective le diagnostic porté à l'entrée. Parmis les 156 brûlés dont l'examen psychiatrique a été jugé "dans les limites de la normale", une deuxième consultation s'est avérée nécessaire dans quinze cas pour l'apparition secondaire d'une anxiété ou d'une insonnie.Les manifestations anxio-dépressives dans 21,5% des cas touchent plus la femme que l'homme et apparaissent souvent secondaires où réactionnelles au tableau de brûlure. Par contre, les états psychotiques pré-existaient à la brûlure qui a constitué le plus souvent une complication: le chiffre de 7,7% montre bien qu'il s'agit là d'une population très marginale.

Tableau IV - Circonstances de la brûlure (nu: 233) Tableau IV - Circonstances de la brûlure (nu: 233)

6. Le Tableau IV met en évidence les circonstances de la brûlure: les accidents domestiques l'emportent de loin sur les autres catégories comme cela est habituel dans la littérature.
7. Nous avons cherché à isoler des patients pour lesquels, de façon subjective, lors de l'interrogatoi re, un facteur de conduite dangereuse nous paraissait pouvoir être isolé, c'est-à-dire lorsque l'exposé des circonstances de la brûlure laissait clairement apparaître une prise de risque lucide et remplissait en quelque sorte une fonction "d'acte manqué", c'est-à-dire d'acte à signification symbolique forte venant manifestement remplir une fonction de rupture ou d'arrêt des conditions de vie habituelle. A titre d'example, nous rapporterons l'observation de cette patiente qui, aux dires de son entourage, était dans un état permanent de stress et de fatigue et qui refusait "névrotiquemenC de prendre des vacances ou de s'arrêter de travailler: c'est une brûlure occasionnée par une assiette de caramel qu'elle avait mis à chauffer dans le four à microondes qui l'aura obligée à prendre du repos...
Sur le Tableau V on s'aperçoit que 61 brûlés ont été retrouvés comme ayant présenté une conduite dangereuse: ils se distinguent de manière significative des autres brûlés par trois facteurs très marqués: la solitude, l'absence de travail et la consommation d'alcool, alors qu'ils ne présentent pas une incidence plus forte en maladie mentale.

Tableau V - Conduite dangereuse (n': 61) Tableau V - Conduite dangereuse (n': 61)

8. En tenant compte des données de la littérature nous avons isolé quatre facteurs que nous avons désignes arbitrairement comme "facteurs de risque": antécédent traumatique, tentative de suicide, alcoolisme chronique, conduite dangereuse. Sur le Tableau VI on a indiqué la répartition de ces facteurs de risques.

Discussion et conclusion

1. L'examen psychiatrique systématique des brûlés de notre centre de rééducation nous a permis de retrouver les données de la littérature sur le subjet: il existe bien un certain nombre de facteurs psychosociaux semblant favoriser l'apparition de la brûlure. Au sein de ceux-ci on insistera sur la présence significative de l'alcoolisme, des conditions de vie solitaire, de l'absence de statut professionnel et de chômage.
2. Nous avons cherché à individualiser des sujets chez qui, de toute évidence, la brûlure s'inscrivait dans un contexte de conduite dangereuse et avons isolé des facteurs de risque significatifs.
3. Peut-on pour autant évoquer la notion de "facteurs prédisposant à la brûlure"? Chez ces patients, le moment de la survenue de la brûlure, la façon "harmonieuse" dont elle vient s'inscrire dans l'histoire du sujet, les situations de marginalité ou de précarité plus ou moins grandes, semblent favoriser la survenue de l'accident. C'est dans un tel contexte que certains auteurs ont pu dire que la brûlure et le cortège de ses soins venaient "constituer une nouvelle chance" pour le sujet, constituaient "une possibilité d'élaboration d'une dynamique nouvelle et positive".
Ceci venant justifier J'examen psychologique systématique des brûlés, ne serait-ce qu'au titre du dépistage de décompensations psychologiques ou psychiatriques évoluant à bas bruit chez des sujets non habituellement repérés comme vulnérables psychiquement.

Tableau VI - Répartition de la population et facteurs de risque (n': 233)

Tableau VI - Répartition de la population et facteurs de risque (n': 233)

4. Notre étude présente certains biais, parmis lesquels le plus important apparaît être l'examen des dossiers à posteriori. Cependant, le grand nombre de malades, l'unité du lieu de recensement de ceux-ci, l'examen par seulement deux médecins habitués à ce type de patients (un médecin rééducateur et un psychiatre) permettent d'apporter un certain sérieux à nos résultats. Toutefois,il nous paraîtrait intéressant de mener une nouvelle enquête, plus large, multicentrique, portant sur un nombre plus important de malades, en une periode de temps plus courte afin de tenter de cerner le problème sur un mode statistiquement et quantitativement plus satisfaisant.

SUMMARY. A retrospective study was conducted on 233 burn patients to establish whether there might be any particular factors predisposing certain people to burns. It was found that alcoholism was the commonest factor (22% of cases), followed by previous psychiatric disturbances (20%). With regard to social circumstances, the population of burn patients was found to be characterized by solitude, absence of social status and unemployment. Regarding the circumstances of the burn trauma, home accidents were by far the most frequent (46.8%). The factors most predisposing towards bums proved to be alcoholism, living alone, absence of professional status and unemployment.


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