Ann. Medit. Burns Club - vol. VIII - n. 3 - September 1995

LES BRULURES CRIMINELLES (DOUZE CAS)

Boukind EA, Boumzebra D., Bahechar W Chafiki W Zerouali N.

Service des Brûlés, Centre Hospitalier Ibn Rochd, Casablanca, Maroc


RESUME. Les brûlures criminelles sont particulières par les circonstances de survenue et par la gravité des lésions. Cependant leur épidémiologie reste mal connue. Cette étude rétrospective porte sur douze cas de brûlures criminelles colligés dans notre formation entre janvier 1992 à mai 1994. Pendant la même période 9000 cas d'agression ont été soignés dans le service des urgences. Les douze malades, huit hommes et quatre femmes, étaient de bas niveau socio-économique et culturel. Leur âge moyen était de 28 ans. Ils représentaient 3,5% des brûlés suivis au service et 1,2% de l'ensemble des agressions. Les circonstances de survenue ont été diverses. Il s'agissait d'une brûlure dont l'étendue variait de 8% à 60% avec une moyenne de 28%. L'agent le plus fréquemment en cause était l'essence (36%). Des lésions par armes blanches ont été associées chez trois malades. Trois malades sont décédés et neuf sont guéris, dont quatre ont nécessité une greffe cutanée. La durée moyenne d'hospitalisation était de trois semaines.

Introduction

Les brûlures criminelles en pratique civile sont particulières par les circonstances de survenue, leur gravité et l'existence de lésions souvent associées. Cependant leur épidémiologie est mal connue. Ce travail se propose donc de préciser les aspects épidémiologiques, cliniques, thérapeutiques et évolutifs des brûlures criminelles adressées au Service des Brûlés du Centre Hospitalier Ibn Rochd de Casablanca, Maroc.

Matériel et méthodes

De janvier 1992 à mai 1994, douze malades ont été suivis pour brûlure criminelle dans le Service des Brûlés du Centre Hospitalier Ibn Rochd. Leurs dossiers ont été étudiés rétrospectivement selon une fiche d'exploitation comprenant l'âge, le sexe, les circonstances de survenue, la surface brûlée, son siège, sa profondeur, les lésions associées, l'évolution des lésions et en fin la durée d'hospitalisation.
Pendant la même période 335 brûlés ont été pris en charge dans notre formation et 9000 malades ont été adressés au Service des Urgences du Centre Hospitalier Ibn Rochd pour agression.

Résultats

Les douze malades, huit hommes et quatre femmes, avaient un âge moyen de 28 ans. Les circonstances de survenue, selon les dires des patients, ont été un conflit conjugal dans quatre cas, un conflit entre voisins dans deux cas et à la suite d'une dispute entre amis dans six cas. Tous les patients de cette série étaient de bas niveau socio-économique et culturel. Ils répresentaient 3,5% de l'ensemble des brûlés et 1,2% des victimes d'actes criminels adressés au Service des Urgences pour soins. L'agent causal a été l'essence dans quatre cas (33%), l'alcool à brûler dans trois cas (25%), l'eau bouillante dans deux cas (17%), l'huile bouillante dans un cas (8%) et l'acide dans un autre. La moyenne de la surface brûlée était de 28,5%. Il s'agissait d'une brûlure de premier degré dans un cas ffl), en mosaïque dans cinq cas (42%) et de troisième degré profond dans 6 cas (50%). Les zones intéressées ont été essentiellement le visage, le tronc et les membres supérieurs. Des lésions associées par arme blanche ont été observées chez trois malades, dont un avait en plus un traumatisme crânien. Tous les malades ont bénéficié des soins locaux, du traitement antalgique et d'antibiothérapie adaptée plus tard selon les résultats de l'antibiogramme. Sept parmi eux ont nécessité une réanimation hydro-éléctrolytique.
L'évolution a été marquée par une hémorragie digestive de stress chez un malade et une détresse respiratoire rattachée à une atteinte bronchique décelée à la bronchoscopie. Sur le plan local, quatre patients sont guéris, quatre malades ont été greffés et Un a gardé un énorme placard cicatriciel traité par la pressothérapie. Trois malades (25%) sont décédés. La durée moyenne d'hospitalisation a été de 21 jours.

Discussion

Les brûlures criminelles sont mal connues, tant au plan épidémiologique qu'aux plans clinique et évolutif, car il n'existe que très peu d'enquêtes réalisées concernqnt ce sujet. Dans l'étude de Edlich, elles ont représenté 1,6% des 99 cas de brûlures sérieuses avec facteur favorisant identifiable.' Crikelair, dans une série de 127 brûlés, a rapporté 27% de brûlures intentionnelles ("homicidal attack") coinprenant tous les actes de violences soit par liquides brûlants soit par flammes.' Cette incidence varie d'un pays à l'autre. En Angleterre, l'incidence de ces brûlures par l'eau bouillante chez les jeunes enfants est plus élevée que dans d'autres pays? Davies a constaté que moins de 5% des brûlures par flamme sont criminelles et responsables de 10% des décès.' Au Maroc, en absence d'un registre national, les chiffres que nous avons trouvés restent en deçà de la réalité.
Comme dans notre série, les auteurs de ces crimes sont de bas niveau socio-économique et culturel.' Toutes les parties du corps peuvent être touchéçs lors de ces crimes. Bartha a rapporté cependant le cas particulier d'une brûlure de l'appareil génital chez une femme rattachée à une jalousie sexuelle.' Cette observation soulève le problème de désordre psychologique chez les agresseurs, sur lequel a insisté Taelibeev.1 Dans notre série, les conflits conjugaux et entre amis représentent les circonstances de survenue prédominantes, souvent incluses dans un acte de violence, ce qui explique l'existence de lésions associées par armes blanches ou des traumatisme crâniens. Ce comportement est bizarre: ne serait-il pas un désir des agresseurs de faire souffrir les victimes plutôt que de les tuer? Contrairement à l'aspect classique des brûlures, celles d'origine criminelle sont étendues et profondes. Ce fait est dû à la brutalité et à la préméditation de l'acte criminel. Au plan juridique, ces brûlures peuvent poser des litiges. En effet elles peuvent être commises en post-mortem pour dissimuler un homicide. C'est le cas d'un cadavre qui a été brûlé alors que la cause de la mort était un hématome cérébral à l'autopsie.'

Conclusion

Les brûlures criminelles surviennent dans un entourage de bas niveau socio-économique et culturel. Les disputes entre amis et les conflits conjugaux sont les circonstances de survenue prédominantes. Les auteurs de ces crimes présentent souvent des troubles psychologiques, ce qui reste à élucider.
L'essence est l'agent le plus fréquemment en cause. La gravité de ces brûlures tient d'une part à leur étendue et à leur profondeur et d'autre part à la sévérité des lésions associées.

SUMMARY. Criminal bums are distinguished by the circumstances of their occurrence and the gravity of the lesions. The epidemiology is however little known. This retrospective study considers twelve cases of criminal burns treated in a Bums Centre in Morocco between January 1992 and May 1994. In this period 9000 cases of aggression were treated in the Casualty Department. The twelve patients (eight male and four female) were of low socioeconomic and cultural level. The average age was 28 years. They represented 3.5% of the patients treated in the Centre and 1.2% of all cases of aggression. The circumstances of the aggression varied. The bum extent varied from 8 to 60%, with an average of 28%. The commonest agent involved was petrol (36%). There were associated lesions from cold-steel weapons in three patients. Three patients died and nine recovered, of whom four required skin grafting. The average duration of hospitalization was three weeks.


BIBLIOGRAPHIE

  1. Edlich R.F., Glasheen W., Attinger E.O.: Epidemiology of serious burn injuries. Surgery, Gynecology and Obstetrics, 154: 505-9, 1982.

  2. Crikelair G.F., Symonds F.C., Ollstein RX: Burn causation: its many sides. J. Trauma, 8: 572-82, 1968.

  3. Davies J.W.L.: Problems of bums in India. Bums, 1 (suppl.): Sl S24,1990.

  4. Vigh G., Bartha I.: Burning of the genitalia of woman because ofjea lousy: reported crime of severe bodily injury committed with extraordinary cruelty. Deutsch Z. des Gerichts Med., 66: 13-18, 1969.

  5. Taelibeev B.A., lashish I.L., Brusilovskaia M.I.: Psychic disorders in bums. Soviet Med., 29: 79-83, 1966.

  6. Ritter C.: Ein hitzgeliertes subdurales Hdmatom bei einer Brandleiche als Hinweis auf ein vitales Geschehen. Z. Rechtsmed, 103: 227-30, 1990.




 

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