Annals of Burns and Fire Disasters - vol. VIII - n. 4 - December 1995

LES LAMBEAUX EN ILOT DE L'AVANT-BRAS DANS LE TRAITEMENT DES SEQUELLES DE BRULURE DE LA MAIN

Boukind H, Terrab S, Alibou F, Chafiki N, Bahechar N, Zerouali 0. N.

Service des Brûlés et de Chirurgie Réparatrice, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc


RESUME. Les lambeaux en îlot de l'avant-bras occupent de plus en plus une place privilégiée dans le traitement des pertes de substance de la main. Nous avons utilisé ces lambeaux pour la couverture des pertes de substance engendrées par la libération des rétractions après brûlure de la main chez 20 patients. Ainsi nous avons utilisé le lambeau en îlot sur l'artère radiale dans neuf cas, sur l'artère interosseuse postérieure dans six cas, sur la branche distale de l'artère cubitale dans trois cas, et deux lambeaux sur l'artère cubitale. Les résultats sont très satisfaisants en dehors d'une nécrose totale d'un lambeau interosseux postérieur. Les lambeaux en îlot de l'avant-bras permettent une couverture en un seul temps opératoire et la mobilisation et la kinésithérapie précoces, avec une meilleure résolution de l'oedème et une meilleure vascularisation de la main,

Introduction

Les brûlures de la main sont fréquentes et pourvoyeuses, sous nos cieux, de séquelles incompatibles avec une fonction adéquate de cet organe noble. Aussi, ces séquelles se font sous forme de rétractions dans des attitudes vicieuses, dont la libération engendre des pertes de substance. Le recouvrement de ces défects dépend de plusieurs facteurs, notamment leur siège, la nature des structures misees à nu et le capital cutanéovasculaire du patient. Ainsi, quand ces pertes de substance sont superficielles, leur couverture par une simple greffe cutanée est possible; quand elles sont réduites mais mettent à nu des organes nobles, elles peuvent être traitées par des plasties locales; quand elles sont étendues, d'autres moyens de couverture s'avèrent nécessaires: lambeaux de voisinage, lambeaux à distance, voire lambeaux libres. Cette étude rétrospective s'intéresse à la place des lambeaux en îlot de l'avant-bras dans le traitement des séquelles de brûlure de la main.

Matériel et méthodes

Cette étude concerne 20 patients colligés entre janvier 1992 et mai 1994 au Service des Brûlés, Chirurgie Plastique et Réparatrice du C.H.U. Ibn Rochd de Casablanca. Parmi ces patients, cinq étaient de sexe féminin et quinze de sexe masculin. Ils étaient âgés de 6 mois à 70 ans, avec une moyenne d'âge de 20 ans. La brûlure était thermique dans 18 cas et électrique dans les deux autres. La perte de substance intéressait (Tableau I):

• la face dorsale de la main (7 cas)

• la face palmaire (8 cas)

• la première commissure (5 cas) (resurfaçage de la première commissure)

Les procédés de couverture ont fait appel (Tableau I): au lambeau en îlot sur l'artère radiale (9 cas) au lambeau en ilot sur l'artère cubitale (2 cas) au lambeau en îlot sur l'artère interosseuse postérieure (6 cas) au lambeau en îlot sur la branche distale de l'artère cubitale dans trois cas

Tableau 1: Nature du lambeau utilisé en fonction du siège des pertes de substance

Type de lambeau

Chinois

Sur l'artère cubitale

Dorso cubitale

Interosseux Postérieur

Siège de la P.D.S.

Face dorsale de la main

4

 

 

3

Face palmaire

4

1

3

 

Première commissure

1

1

 

3

Total

9

2

3

6

Résultats

Globalement nous avons assisté à une nécrose totale, une nécrose partielle et trois souffrances veineuses résolutives.
Sur le plan de la couverture: dans tous les cas, les éléments nobles de la main ont été recouverts, mais par example la couverture palmaire par un lambeau chinois apporte une peau épaisse à l'origine d'une gêne fonctionnelle et esthétique, qui nécessitera des temps opératoires supplémentaires pour dégraissage.
Sur le plan fonctionnel: la reprise de la mobilité des articulations du poignet et des doigts dépend de l'ancienneté des séquelles de la brûlure; ainsi quand celles-ci sont anciennes, la participation tendineuse et articulaire nous impose une ténolyse, arthrolyse voire arthrodèse en position de fonction.
Site donneur: les mesures des lambeaux étaient en général larges, n'autorisant pas une fermeture par suture directe; de ce fait, dans 17 cas nous avons eu recours à la greffe du site donneur par une peau semi-épaisse prélevée au niveau de la cuisse.
Sur le plan esthétique: vu qu'il s'agissait en principe de mains complexes- séquelles de brûlure incompatibles avec toute fonction de la main, le retentissement psychologique de l'handicap pesait plus lourd que la rançon cicatricielle, notamment celle du site donneur.

Discussion

En matière de pertes de substance engendrées par la libération des rétractions de séquelles de brûlure de la main, les procédés techniques de recouvrement se complètent et ne s'excluent pas.
Outre le siège et l'étendue de la perte de substance, le choix du procédé est tributaire de la fiabilité de ce procédé, de l'épaisseur de la peau à remplacer et surtout du capital cutanéo-vasculaire du patient.
Les lambeaux en îlot de l'avant-bras ont métamorphosé l'approche du traitement des défects de la main et ce grâce à la possibilité de couverture cutanée en un seul temps opératoire, la mobilisation et kinésithérapie précoces de ce segment de membre avec meilleure résolution de l'oedème, et partant une meilleure vascularisation de la main.

Fig. 1 - Résultat après libération et couverture par un lambeau chinois d'une rétraction de la face dorsal de la main. Fig. 2A - Libération d'un énorme placard cicatriciel de la face dorsale de la main.
Fig. 1 - Résultat après libération et couverture par un lambeau chinois d'une rétraction de la face dorsal de la main. Fig. 2A - Libération d'un énorme placard cicatriciel de la face dorsale de la main.
Fig. 2B - Levé d'un large lambeau interosseux postérieure emportant les veines de l'avant-bras. Fig. 2C - Résultat post-opératoire.
Fig. 2B - Levé d'un large lambeau interosseux postérieure emportant les veines de l'avant-bras. Fig. 2C - Résultat post-opératoire.

Il en découl e une amélioration des résultats fonctionnels, tout en évitant les risques encourus par les méthodes microvasculaires et l'inconfort des lambeaux à distance.' Cependant le recours à ces lambeaux en îlot n'est possible qu'en l'absence de brûlure de l'avant-bras et/ou atteinte des axes vasculaire de celui-ci.
Le premier lambeau décrit est le lambeau sur l'artère radiale, ou lambeau chinois. Facile et fiable, son arc de rotation permet d'atteindre les défects de la face dorsale et palmaire de la main. Cependant, son épaisseur le rend peu commode dans la couverture des pertes de substance de la face palmaire. Par ailleurs, la cicatrice du site donneur',' et surtout le sacrifice de l'artère radiale le font récuser par plusieurs auteurs au profit du lambeau en îlot sur l'artère interosseuse postérieure), Quant au lambeau prélevé sur l'artère cubitale, il permet de prélever de grandes palettes cutanées très mobiles, pouvant atteindre les faces palmaire et dorsale de la mair ainsi que la première commisure.
En outre, il apporte une peau fine, non poilue, mais sacrifie un axe vasculaire important de la main. Nous ne l'avons utilisé que chez deux patients présentant une brûlure de la face Postérieure de l'avant-bras. Nous le déconseillons à cause du sacrifice de l'artère cubitale: artére principale de la main. Le lambeau sur la branche distale de l'artère cubitale évite ce sacrifice mais son pédicule est court, ne permettant d'atteindre que le poignet ou le bord cubital de la main.
Par contre le lambeau basé sur l'artère interosseuse postérieure permet de disposer de grandes palettes cutanées en préservant les axes vasculaires principaux de la main, Son indication principale est le resurfaçage de la première commissure. Dans notre série, il a même été scindé en deux dans un cas, permettant ainsi de recouvrir la face cubitale du pouce et la face radiale de l'index. Les résultats ont été excellents, sans souffrance veineuse ni nécrose.

Fig. 3 - Résultat après libération d'une bride du bord cubital de la main et couverture par un lambeau sur la branche de l'artère cubitale. Fig. 4A - Rétraction de la l ère commissure.
Fig. 3 - Résultat après libération d'une bride du bord cubital de la main et couverture par un lambeau sur la branche de l'artère cubitale. Fig. 4A - Rétraction de la l ère commissure.
Fig. 4B - Libération + levé d'un lambeau interosseux postérieure scindé en deux. Fig. 4C - Résultat post-opératoire.
Fig. 4B - Libération + levé d'un lambeau interosseux postérieure scindé en deux. Fig. 4C - Résultat post-opératoire.

Ce lambeau permet aussi le recouvrement des défects de la face dorsale de la main. Outre sa finesse, sa texture et sa couleur, qui se rapprochent de la région à recouvrir, il se distingue par sa fiabilité par la possibilité de son utilisation même en cas d'atteinte des artères radiale et cubitale   2 et par la morbidité minime du site donneur
Depuis sa découverte la popularité de ce lambeau ne fait qu'augmenter; même Reigstad et ses collaborateurs,' qui rapportent une série de 32 lambeaux libres pour recouvrement de défects de la main, déclarent qu'après utilisation du lambeau levé sur l'artère interosseuse postérieure, celui-ci aurait pu remplacer quelques lambeaux libres de taille moyenne.
L'équipe de Ueli Büchler 6 affirme que ce lambeau constitue une alternative au lambeau chinois et autres lambeaux régionaux, ainsi qu'aux lambeaux à distance et libres. L'inconvénient majeur de cette technique s'avère être la difficulté de dissection du pédicule, 1,2, ' ainsi que la souffrance veineuse habituelle dans ce type de lambeau. Ce problème de retour veineux peut être dépassé en modifiant la technique de prélèvement, et ce en incluant les veines sous-cutanées de la face postérieure de l'avant-bras dans le lambeau.

Conclusion

Les lambeaux en îlot de l'avant-bras sont d'un grand secours dans le traitement des séquelles de brûlure de la main. A ce titre, une mention spéciale doit être réservée au lambeau sur l'artère interosseuse postérieure et à ses multiples avantages, notamment celui de préserver les principaux axes vasculaires de la main.

SUMMARY. Forearm island flaps are increasingly used in the treatment of substance loss in the hand. We have used these flaps to cover substance losses caused by the liberation of post-bum hand contractures in 20 patients. In particular we used an island flap on the radial artery in nine cases, on the posterior interosseous artery in six cases, on the distal branch of the ulnar artery in three cases, and two flaps on the ulnar artery. The results were very satisfactory except for a total necrosis of a posterior interosscous flap. Forearm island flaps permit coverage in one operating time as well as early mobilization and kinesitherapy, with better resolution of oedema and better vascularization of the hand.


BIBLIOGRAPHIE

  1. Gilbert A., Masquelet A.C., Hentz R.V. et al.: Les lambeaux artériels pédiculés du membre supérieur. Monographie du groupe d'étude de la main expansion scientifique française, 72-102, Paris, 1990.
  2. Costa H., Comba S., Martin S. et al.: Further experience with posterior interosseous flap. Brit. J. Plast. Surg., 44: 449-54, 1991.
  3. Landi A., Luchetti R., Soragni 0. et a].: The distally based posterior interosseous island flap for the coverage of skin loss of the hand. Arm. Plast. Surg., 27: 527-35, 1991.
  4. Bootz R, Biesinger E.: Reduction of complication rate at radial forearm flap donor sites. ORL, 5 3: 160-4, 199 1.
  5. Holevich B., Madjarova, Paneva Holevich E.: Fasciocutancous island flap from the dorsal forearm. Handehir. Mikrochir. Plast. Chir.: 23: 23-7, 1991.
  6. BUchler U., Frey H.P.: Retrograde posterior interosseous flap. J. Hand Surg., 16A (2): 283-92, 1991.
  7. Reigstad A., Hetland KR., Bye K., Rokkum M.: Free flaps in the reconstruction of hand and distal forearm injuries. J. Hand Surg., 17B (2): 185-8, 1992.
This paper was received on 12 January 1995.

Address correspondence to: H. Boukind M.D., Service des Brûles et de Chirurgie Réparatrice, CHU, Ibn Rochd, Casablanca, Morocco.




 

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