Annals of Burns and Fire Disasters - vol. IX - n. 2 - June 1996

BRULURE ET EPILEPSIE - ETUDE SUR UNE DECENNIE 1984-1994

Jowdar S., Kismoune R, Boudjemia F, Bacha R, Abchiche M.

Services des Brûlés et de Chirurgie Plastique, CHU de Douera, Douera, Algérie


RESUME. L'épilepsie et la brûlure sont deux affections connues depuis l'antiquité: elles ont toutes les deux un caractère sacré et surnaturel enfoui dans l'inconscient des gens. Bien qu'ayant bénéficié des progrès techniques de la médecine et de la chirurgie, ces deux pathologies, quand elles se rencontrent, s'associent pour handicaper sérieusement le malade qui en est atteint. A travers l'étude de plus d'une centaine de cas, les auteurs tentent une approche du mécanisme de la brûlure chez l'épileptique. La non observance médicamenteuse, la pénurie des médicaments, la honte d'aller consulter et le recours à la médecine traditionnelle sont autant de facteurs qui rendent l'épileptique plus vulnerable à la brûlure. La profondeur des lésions, l'atteinte des extrémités, la faible surface brûlée et les brûlures itératives sont les caractéristiques des brûlures chez les épileptiques. Après avoir passé en revue les méthodes thérapeutiques médico-chirurgicales, des axes de prévention sont soulignés pour rendre l'épilepsie plus acceptable.

Introduction

Mal de la chute, mal d'Hercule, mal divin, mal astral, l'épilepsie aura vite perdu son caractère sacré et supernaturel pour devenir dès l'ère chrétienne une affection neurologique décrite par Hippocrate et Galien.
Les sujets atteints d'épilepsie sont toujours victimes de préjugés sociaux extrêmement vivaces relatifs à l'origine, à la chronicité de l'affection, considerée par ailleurs comme tare héréditaire, aux troubles psychiques qu'on y croit obligatoirement liés, et à la dangeros ité du malade.
Une des conséquences de la crise d'épilepsie est le traumatisme où la brûlure représente au moins la moitié des causes. L'association de ces deux problèmes de santé publique rend difficile la prise en charge de l'épilepsie.Le traitement de l'épileptique en Algérie se heurte particulièrement à deux problèmes: les classiques difficultés d'approvisionriment et le rejet social dont les malades font l'objet. Passée sous silence par l'entourage, l'épilepsie se révèle parfois brutalement aux autres par la brûlure.

Definition

L'épilepsie est un syndrome neurologique paroxystique à début brutal et de brève durée caractérisé par des crises convulsives ou non convulsives avec troubles de la conscience, décharges électro-encéphalographiques pathologiques, traduisant des perturbations importantes (générales ou locales) de la fonction cérébrale.
Parmi les épilepsies susceptibles de causer des accidents de brûlures, il y a:

  1. l'épilepsie généralisée primaire type grand mai
  2. syndrome de Lennox et Gastaut
  3. l'épilepsie généralisée secondaire symptomatique

car dans toutes les formes d'épilepsie on retrouve une perte de conscience entraînant une chute brutale sur place d'où la possibilité de brûlures graves si le malade se trouvait à proximité d'un feu.
La brûlure est souvent profonde car la durée de la crise grand mal ou tonico-clonique est de 5 à 10 minutes. La crise grand mal cause le plus d'accidents.

Casuistique

Les études statistiques concernant l'épilepsie au Maghreb et en Afrique sont éparses. On estime que dans certaines régions africaines la prévalence de l'épilepsie est de 4%, contre 1 % en moyenne dans le monde. En Algérie, cette pathologie est fréquente, par la forte natalité, l'importance des accouchements dystociques, de souffrance foetale à la naissance, et l'importance de la pathologie néonatale. Dans le service de chirurgie plastique et des brûlés de Douera, 2682 brûlés graves ont été traité durant la période 1984-1994, dont 125 épileptiques, soit 4,6%. Durant la même période, 1169 patients atteints de séquelles de brûlures ont été admis, dont 35 épileptiques, soit 2,9%

Etiologie

Age et sexe
En ce qui concerne les brûlures récentes, on note que la moitié des épileptiques environ se brûlent à l'entour de l'âge de 20 ans. Les femmes représentent les deux tiers des brûlés. Le lieu de l'accident se situe au domicile des patients et à la cuisine (115 sujets). Dix seulement se sont brûlés au travail.

Causes de l'accident

A l'interrogatoire des brûlés, il semble que la crise soit souvent précédée d'un malaise prémonitoire "lipothymique" favorisé par l'atmosphère confinée et chaude des cuisines. La crise comitiale s'installe avec perte de conscience et chute dans le foyer avec brûlure dont l'importance est liée à la durée de la perte de connaissance. Il faut signaler que dans notre série 15 patients ne se savaient pas épileptiques avant l'accident thermique.

Siège, étendue et profondeur des brûlures

Les brûlures chez les épileptiques se caractérisent par une étendue moyenne en general inférieure ou égale à 20,70. Par contre, la brûlure est presque toujours profonde, avec souvent carbonisation (117 malades dans la série). Quant au siège, les extrémités lors de la chute dans le foyer sont les plus atteintes, avec lésions des mains (75 patients), extrémités céphaliques (25 patients) et 15 cas d'atteinte des membres inférieurs. Les atteintes face-mains sont fréquentes dans notre série (39 cas).

Age (ans)

Hommes Femmes

Total

15-24

15 35

50

25-34

10 25

35

35-44

15 18

33

45-54

2 4

6

>55

- 1

1

Total

42 83

125

(= 25 brûlures itératives)

Brûlures (%)

Superficielles

Profondes

Total

<20

2

7

80

>20

6

39

45

Total

8

117

125

Tableau 1 - Brûlures épileptiques: casuistique 1984-94 (âge et sexe) Tableau II - Surface et profondeur des brûlures (125 brûlés)
  1. Au niveau de l'extrémité céphalique:
  2. les brûlures de cuir chevelu entraînent une destruction des bulbes pileux et la zone brûlée va laisser une région alopécique plus ou moins étendue (Figs. 1, 2, 3, 4)
  3. les zones cartaligeneuses, oreilles et nez, en raison de la n-~nceur cutanée qui les recouvre, paient un lourd tribut à la brûlure avec malheureusement des séquelles inesthétiques indélébiles
  4. la région oculo-palpébrale généralement épargnée dans les brûlures thermiques est fréquente lors des brûlures chez les épileptiques, avec souvent des ectropions palpébraux séquellaires et parfois cécité par brûlure oculaire (Figs. 5, 6)
  5. les lèvres sont atteintes avec le nez et les oreilles, et la microstomie qui en résulte gêne les actes opératoires réparateurs.
Fig. 1 - Carbonisation de l'extrémité céphalique. Fig. 2 - Même malade après détersion. Brûlure du globe oculaire.
Fig. 1 - Carbonisation de l'extrémité céphalique. Fig. 2 - Même malade après détersion. Brûlure du globe oculaire.

Le cou, en raison de la finesse se son tégument, est pourvoyeur de séquelles même en cas de brûlures superficielles, allant de la bride linéaire à la synéchie stemo-mentonnière
Au niveau des membres supérieurs et des mains, la brûlure se termine souvent par des amputations ou des séquelles fonctionnelles majeures. (Figs. 7, 8) On retrouve les mêmes lésions au niveau des pieds et des orteils et les amputations sont fréquentes.

iFig. 3 - Brûlure profonde hemiface. Fig. 4 - Aspect après greffe de peau.
Fig. 3 - Brûlure profonde hemiface. Fig. 4 - Aspect après greffe de peau.

Les séquelles de brûlures

En ce qui concerne les séquelles de brûlures admises en tant que telles et pour la première fois dans le service ' les mêmes lésions sont retrouvées. Il s'agit en général de séquelles majeures, synéchies, engluements, amputations. La répartition selon le siège est la même, avec prédominance au niveau de la main et de l'extrémité céphalique.

Les aspects socio-économiques et psychologiques

Surface et profondeur des brûlures (125 brûlés) L'étude des caractères sociaux de ces patients montre Brûlures (%) Superficielles Profondes Total que: <20 2 7 80 * 80% d'entre eux sont issus de milieu rural >20 6 39 45 * 20% sont d'origine urbaine, et l'on note à ce niveau Total 8 117 125 la surpopulation des dorniciles (10-15 personnes pour 3 pièces) et l'exiguïté des cuisines 75% des épileptiques sont issus de population économiquement faible

Mains = 75
Extrémité céphalique et cou = 25
Membres inférieurs = 15
Autres localisations = 10
Total = 125

Age (ans)

Hommes

Femmes

Total

15-24

4

5

9

25-34

4

10

14

35-44

2

8

10

45-54

0

2

2

>55

-

-

-

Total

10

25

35

Tableau III - Sièges des brûlures Tableau IV - Age et sexe des patients atteints de séquelles de brûlures

 

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Fig. 5 - Brûlure profonde de la face et du cuir chevelu.

Le statut de l'épileptique dans le milieu social est difficile. L'épileptique entache l'aura familiale, il est celui par qui le scandale arrive, il subit les comportements d'évitement pouvant aller jusqu'au cloître, l'exclusion de l'école et l'imposition du célibat. Quand le mariage est possible, le divorce est fréquent. Ce rejet peut parailtre paradoxal de la part d'une culture qui, traditionnellement, fait jouer à la communauté un rôle soignant.
A cet aspect social s'ajoutent d'autres facteurs qui augmentent la fréquence des crises. Il s'agit, quand le malade est traité, de l'arrêt du traitement par le malade, par raréfaction des crises ou leur disparition temporaire.

Mains = 15
Extrémité céphalique = 10
Membres inférieurs = 5
Autres = 5
Total = 35
Tableau V - Anatomie des séquelles

La non disponibilité des médicaments anti-épileptiques ou la difficulté de leur acquisition sont des facteurs de non observance thérapeutique.
Le recours à la médecine traditionnelle est quasi constant: s'il atténue l'aspect surnaturel de la maladie, il n'influe en rien sur l'apparition des crises et leur fréquence.
Par ailleurs, la notion de brûlure itérative est presque pathognomonique de l'épilepsie. C'est un facteur important. Vingt-cinq patients ont eu des brûlures itératives, parmi eux, dix se sont brûlés trois fois. C'est là un aspect où la prévention doit être maximale.

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Fig. 6 - Aspect après greffe de peau.

Traitement

Le traitement est double, vis-à-vis de l'épilepsie, visà-vis de la brûlure.

Traitement de la brûlure
Il est classique: la réanimation, les soins locaux et la greffe sont le trépied thérapeutique habituel. Il est à noter cependant que les anesthésies générales sont délicates par ,la réduction de l'éventail des drogues anesthésiques en raison du terrain particulier de ces patients.
Il n'est pas rare que ces patients fassent des crises comitiales au cours de leur hospitalisation, ou en ambulatoire. Le personnel paramédical doit être au fait de ces situations et réagir avec efficacité.
La profondeur des lésions a abouti à des amputations pour trente des patients. Le traitement des séquelles fait appel à la chirurgie réparatrice souvent itérative, rendue difficile par la récidive des brûlures. La rééducation, l'appareillage et la pressothérapie concourent à mieux réinsérer ces patients.

Le traitement neurologique

Il s'agit tout d'abord d'identifier l'épilepsie et son type. Il sera nécessair d'établir un traitement médicamenieux, efficace, le moins cher, et disponible. Si l'épilepsie st connue, il faudra ajuster les traitements antérieurs et surtout établir les modalités de surveillance et de suivirigoreuses.

Fig. 7 - Brûlure profonde de la main de l'avant-bras. Fig. 8 - Carbonisation des doigts.
Fig. 7 - Brûlure profonde de la main de l'avant-bras. Fig. 8 - Carbonisation des doigts.

Les malades perdus de vue sont une cause de non observance thérapeutique et de réapparition des crises. La collaboration entre chirurgien, neurologue et médicin généraliste doit être obligatoire et continue.

Résultats

Dans cette série, il y a eu à déplorer vingt décès: quinze brûlures profondes centrofaciales avec brûlures respiratoires irréversibles, cinq brûlures étendues au delà de 50%. Dix patients traités se sont à nouveau brûlés aggravant leur pronostic fonctionnel. Le reste des patients est stabilisé et l'on tente de maintenir un traitement anti-contitial au long cours.

Conclusion - prévention

La conjugaison des deux problèmes de santé publique - épilepsie et brûlure - complique l'approche thérapeutique. C'est tout l'apport d'une prévention rigoureuse bien adaptée aux conditions locales, avec un langage approprié à cette catégorie de population, qui améliorera le pronostic de ces deux affections.
Il faut démystifier l'épilepsie dans l'esprit de la population en lui ôtant son caractère surnaturel. Il faut oeuvrer pour lutter contre l'exclusion de cette catégorie de patients, et éviter de confiner la jeune fille épileptique aux strictes tâches ménagères (particulièrement la cuisine). Il faut pousser ces patients à reprendre leur scolarité, ou en enseignement professionnel, et permettre un avenir matrimonial sans cacher la maladie. Il faut surtout aménager l'environnement de l'épileptique et surtout les cuisines en mettant les foyers en hauteur, sur un plan stable. Dans les foyers traditionnels, les foyers se trouvent à même le sol. Il ne faut jamais laisser un épileptique tout seul près d'une source thermique.
Tout au long de son existance, le mode de vie de l'épileptique va se trouver perturbé par cette affection. Il est nécessaire que les efforts conjoints des spécialistes médecins et non médecins aboutissent à une meilleure vision de cette maladie, laquelle reste très souvent compatible avec un mode de vie, sinon strictement normal, du moins très satisfaisant.

SUMMARY. Bums and epilepsy are two affections that have been known since antiquity. Both have a sacred, supernatural nature hidden deep in people's subconscious. Despite technical progress in medicine and surgery, when these two pathologies coincide they combine to handicap the affected person still further. On the basis of the study of over a hundred cases, we have tried to establish a new approach to the burn mechanism in epileptics. Failure to follow medical advice, the shortage of appropriate medicines, a feeling of shame to consult a doctor, and the resort to traditional medicine are all factors that make the epileptic vulnerable to burns. Bums in epileptics are characterized by the depth of the lesions, involvement of the extremities, limited extent, and recurrence. After an analysis of therapeutic and medico-surgical methods, some guidelines to prevention are underlined in order to make epilepsy more accepta e.


BIBLIOGRAPHIE

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  12. Weber M.: Mode de vie des épileptiques. Revue du Praticien, 34, 49: 2705-12, 1984.
This paper was received on 6 June 1995.

Address correspondence to: Dr S. Joucdar, Service de Brûlés et de Chirurgie Plastique, Centre Hospitalier Universitaire de Douera, Douera 42455, Algérie.

 

AWARD OF THE G. WHITAKER INTERNATIONAL BURNS PRIZE PALERMO, ITALY
FOR 1996

In the course of a meeting held on April 26th 1996 at the seat of the G. Whitaker Foundation, the Adjudicating Committee, after examining the scientific activity in the field of research, teaching, clinical organization, prevention and cooperation among the nations presented by the various candidates, unanimously decided, in the light of the consideration guiding the analysis of the high level of the candidates, to award the prize for 1996 to:
John Burke M.D., Emeritus Professor of Surgery at the Harvard University Medical Faculty and Emeritus Director of the Trauma Service, Massachusetts General Hospital, Boston USA

The Prize was awarded with the following motivation:
"for dedicating a lifetime to teaching and to the assistance of patients in the sector of surgery. He has a vast and qualified activity in the field of burns, to the knowledge of which he has contributed with numerous publications on various aspects, in particular infections and metabolism. His studies for the realization of artificial skin and the use of bionraterials have been notable.
"
The official prize-giving of the prestigious award will be held on September 26th 1996 in Palermo at the seat of the G. Whitaker Foundation in the presence of the authorities and of representatives of the academic, scientific and cultural world.




 

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