Annals of Burns and Fire Disasters - vol. IX - n. 2 - June 1996

PREVALENCE DE VINFECTION DANS LE SERVICE DES BRULES DU C.H.U IBN ROCHD

Boukind ER, Chlihi A, Alibou F, Chafiqui N, Terrab S, Bouchta A, Bahechar N, Zerouali N.O.

Service des Brûlés et de Chirurgie Réparatrice, C.H.U. Ibn Rochd, Casablanca, Maroc


RESUME. Les auteurs rapportent les résultats d'une étude rétrospective portant sur 178 brûlés colligés au Service des Brûlés de Casablanca (Maroc) de janvier 1993 à juin 1994, afin d'évaluer la prévalence de l'infection. Il s'agit de 92 hommes et 86 femmes d'âge moyen de 26 ans, la surface corporelle brûlée est en moyenne de 40%. La flamme est en cause dans 80% des cas. Sur 162 hémocultures réalisées chez 41 patients, 62 sont positives (soit 38,2%) avec isolement du Pseudomonas aeruginosa dans 37% des cas, du Staphylococcus dans 12,9% ainsi que l'Acinetobacter dans 12,9% des cas. Sur 122 prélèvements cutanés, 98,3% sont positifs avec isolement, par ordre de fréquence, du Pseudomonas aeruginosa (47,5%), du Proteus (18,3%) et de l'Acinetobacter (15%). Seul le tiers des hémocultures positives est associé à un prélèvement local positif au même germe. Il a été noté une proportion élevée de résistance aux antibiotiques testés du Pseudomonas aeruginosa, du Staphylococcus et de l'Acinetobacter. Par ailleurs un décès sur deux survenu pendant la période d'étude est secondaire à l'infection. Enfin les auteurs se proposent d'insister sur l'intérêt des mesures préventives à tous les niveaux de prise en charge des brûlés tant sur le plan technique que sur l'information et l'éducation du personnel soignant impliqué dans la transmission de germes en perpétuelle mutation.

Introduction

Bien que les progrès en matière de prise en charge des brûlés aient permis ces dernières années la survie de malades gravement atteints, l'infection reste la complication la plus fréquente et la plus redoutable chez le grand brûlé. En raison de l'importance des moyens antibactériens utilisés, on assiste à une sélection de germes de plus en plus résistants aux antibiotiques. Le but de ce travail est d'établir la prévalence de l'infection dans notre unité ainsi que d'étudier la sensibilité des germes isolés à différents antibiotiques.

Patients

L'étude porte sur 178 brûlés hospitalisés au service durant la période janvier 1993 - juin 1994. Il s'agit de 92 hommes et 86 femmes dont l'âge s'échelonne entre 8 mois et 81 ans, avec une moyenne de 26 ans. La surface corporelle brûlée varie entre 5 et 100%, avec une moyenne de 40%. La brûlure par flamme représente 80% des étiologies.

Méthodes

Les différents types de prélèvements ne sont pas systématiques. Les prélèvements locaux par écouvillonnage sont réalisés au moment du changement de pansement chaque fois qu'il y a des signes cliniques d'infection locale, notamment la modification de l'aspect de la brûlure, le changement de la coloration de la zone brûlée et des zones adjacentes, ou l'approfondissement de la brûlure. Les hémocultures sont réalisées en cas d'élévation de la température au dessus du 38,5 'C ou d'hypothermie en dessous de 36,5 'C et en cas de troubles de comportement ou digestifs.
Au cours de cette période il a été réalisé 284 prélèvements bactériologiques. Seuls 61 patients ont bénéficié d'un prélèvement soit chez 34% de l'ensemble des patients hospitalisés. Il s'agit de 162 hémocultures et de 122 prélèvements locaux.

Résultats

Sur les 162 hémocultures réalisées chez 41 patients, seules 62 (soit 38,2%) sont positives. Celles-ci sont apparues chez 23 patients. Les germes isolés sont rapportés sur le Tableau I. La sensibilité aux antibiotiques des différents germes les plus fréquemment isolés est rapportée sur les Figs. 1, 2 et 3.

Fig. 1 - Sensibilité aux antibiotiques du Pseudontonas aeruginosa isolé aux hémocultures.

Fig. 1 - Sensibilité aux antibiotiques du Pseudontonas aeruginosa isolé aux hémocultures.

Sur les 178 patients de l'étude, seuls 45 ont bénéficié de prélèvements locaux. Sur 122 prélèvements 120 sont positifs (soit 98,9%) et ce chez 43 patients. Dans deux cas les prélèvements sont stériles. L'incidence des différents germes retrouvés aux prélèvements locaux est résumée sur le Tableau H. La sensibilité des trois principaux germes isolés est rapportée sur les Figs. 4, 5 et 6.

Fig. 2 - Sensibilité aux antibiotiques du Staphylococcus isolé aux hémocultures. iFig. 3 - Sensibilité aux antibiotiques de l'Acinetobacter isolé aux hémocultures.
Fig. 2 - Sensibilité aux antibiotiques du Staphylococcus isolé aux hémocultures. Fig. 3 - Sensibilité aux antibiotiques de l'Acinetobacter isolé aux hémocultures.

 

 

N' prélèvements

Pourcentage

Pseudomonas aeruginosa 57 47,5
Proteus 22 18,5
Staphylococcus 18 15,0
Klebsiella 8 6,6
Enterobacter 8 6,6
Acinetobacter 4 3,3
Bacillus 1 0,8
Streptococcus 1 0,8
Flavobacterium 1 0,8
Examens stériles 2 -

Tableau Il - Incidence des différents germes isolés par prélèvements locaux

Quant à la corrélation entre les résultats des hémocultures et des prélèvements locaux, seules 35 hémocultures sont associées à un prélèvement cutané de fait et seul le tiers des hémocultures positives est associé à la présence du même germe au niveau prélèvement local (Fig. 7).

Fig. 4 - Sensibilité aux antibiotiques du Pseudomonas aeruginosa isolé aux prélèvements locaux.

Fig. 5 - Sensibilité aux antibiotiques du Proteus isolé aux prélèvements locaux.

Fig. 4 - Sensibilité aux antibiotiques du Pseudomonas aeruginosa isolé aux prélèvements locaux.

Fig. 5 - Sensibilité aux antibiotiques du Proteus isolé aux prélèvements locaux.

Sur la période d'étude, il a été observé 42 cas de décès dont 20 cas sont liés à l'infection, soit un pourcentage de décès par infection de 47,6% contre 23,5% par rapport au reste des malades. Ainsi, on s'aperçoit qu'un décès sur deux est secondaire à l'infection.

Fig. 6 - Sensibilité aux antibiotiques du Staphylococcus isolé aux prélèvements locaux. Fig. 7 - Corrélation entre résultats des hémocultures et des prélèvements locaux.
Fig. 6 - Sensibilité aux antibiotiques du Staphylococcus isolé aux prélèvements locaux. Fig. 7 - Corrélation entre résultats des hémocultures et des prélèvements locaux.

Discussion

La brûlure représente un excellent milieu de culture bactérienne. L'infection de la brûlure est donc un phénomène obligatoire et inévitable. Elle est bénéfique car elle favorise l'élimination des tissus brûlés; mais lorsqu'elle est excessive, elle doit être redoutée en raison de ses conséquences locales et générales. Il importe donc de déterminer le caractère invasif ou non de la pullulation microbienne. Les examens microbiologiques cutanés de surface réalisés dans la présente étude, s'ils permettent de fournir rapidement des résultats qualitatifs et facilement reproductibles, ne sont pas pour autant d'une grande fiabilité par la fréquence élevée de faux positifs et de faux négatifs.' Par contre plusieurs auteurs admettent l'existence d'une concordance entre les résultats du comptage de germes à la biopsie cutanée et les résultats des hémocultures et introduisent la notion de seuil (105 germes par gril de tissu), au-delà du quel le risque septicémique augmente considérablement.',',' L'un des inconvénients de cette méthode est le délai de résponse, habituellement de 48 heures. L'étude histopathologique d'une biopsie cutanée permet d'établir également l'existence ou non d'une infection invasive, avec une faible marge d'erreur, dans un délai en moyenne de 24 heures. Ces méthodes ne sont pas malheureusement de pratique courante chez nous. Concernant les résultats obtenus, il a été noté l'incidence élevée des hémocultures positives (13%) ainsi que la fréquence du Pseudomonas aeruginosa isolé dans 37% des hémocultures secondé par le Staphylococcus et l'Acinetobacter dans 13% des cas.
Reigl a rapporté dans une étude semblable que les Staphylococci epidermidis et aureus sont les plus fréquemment isolés à la première semaine d'hospitalisation, avec une nette prédominance du Pseudomonas aeruginosa après le huitième jour. Johnson' et El Danaf ont retenu, sur des séries respectivement de 297 et 105 brûlés, des taux d'hémocultures positives avec septicémies respectivement de 7,0 et de 5,7%. Il est à noter que la population de malades étudiée dans ces séries, ainsi que les moyens de prise en charge, ne sont pas comparables aux nôtres.
Pour ce qui est des résistances des germes aux différents antibiotiques, il est difficile d'établir une comparaison entre nos résultats et ceux de la littérature. Cependant il existe certaines concordances puisque moins de 50% des pyocyaniques restent sensibles aux céphalosporines, à la gentamycine, à la nétilmycine et aux quinolones. Le Staphylococcus est également de plus en plus résistant aux bêtalactamines, aux céphalosporines de première génération et à la gentamycine. L'Acinetobacter présente moins de 50% de sensibilité à tous les antibiotiques testés.
La conséquence la plus redoutable chez le brûlé par des germes multirésistants est le décès, bien que les causes de mortalité chez le brûlé soient parfois difficiles à classer car souvent différents facteurs sont intriqués. L'infection est responsable de 11 à 64% des décès selon divers auteurs.
Par ailleurs il est admis de considérer comme origine septique le décès survenant au décours d'un état de choc avec plusieurs hémocultures positives au même germe, mais il est plus difficile d'apprécier la responsibilité de l'infection au cours des défaillances multiviscérales chez le grand brûlé. Les germes de plus en plus résistant aux antibiotiques et les conséquences de l'infection chez le brûlé incitent à adopter une stratégie and-infectieuse rigoureuse.
Dans le cadre de cette lutte contre l'infection, il est nécessaire d'agir à différents niveaux, et d'abord sur le plan local en favorisant le recouvrement cutané le plus rapidement possible en insistant sur l'intérêt de la détersion dirigée et surtout sur l'excision précoce."," L'usage de lits fluidisés réalise une véritable prévention contre la macération et donc l'infection. Il faut améliorer les défenses naturelles du brûlé en assicurant un bilan calorique et protéique poSitifl2 et par la pratique de vaccination, notamment antitétanique et antipyocyanique. Cette dernière, de plus en plus utilisée, représente à l'heure actuelle une cure thérapeutique tout à fait essentielle."," Plusieurs études ont
démontré aussi l'intérêt de la décontamination sélective de l'appareil digestif pour limiter les contaminations endogènes moyennant la dislocation bactérienne',`,` Enfin le recours aux traitements spécifiques, antiseptiques ou antibiotiques par voie locale ou générale n'étant pas sans inconvénients, les mesures de prévention gagnent une place primordiale dans cette lutte contre l'infection nosocomiale chez le brûlé.
Synder et Coll.11 ont pu éradiquer dans leur unité le Staphylococcus métirésistant au bout de 10 mois de l'instauration de mesures rigoureuses de prévention. Le succès d'un tel programme dépend intimement du temps consacré à la communication et à l'éducation du personnel soignant impliqué dans la transmission des germes et dépend également du caractère rigoureux des mesures de désinfection et du contrôle de l'écologie bactérienne du service, qui doit être régulière avec confrontation clinico-bactériologique. Les protocoles antibiotiques doivent être alors adaptés à une obligatoire mutation de germes.

Conclusion

C ' ompte tenu de la gravité de l'infection, principale cause de mortalité chez le grand brûlé, tous les moyens mis en oeuvre sont actuellement orientés vers les mesures de prévention. Le prix des antibiotiques et de la durée d'hospitalisation prolongée par cette infection et les complications qui en découlent coûtent bien plus chère qu'un service bien équipé, avec des circuits isolés et un person nel soignant bien formé et informé.

SUMMARY. The results are described of a retrospective study aimed at assessing the incidence of infection in 178 burn patients admitted to the Casablanca Burns Centre (Morocco) from January 1993 to June 1994. The patients (92 male and 86 female; average age 26 years) had an average burned body surface area of 40%. Fire was involved in 80% of the cases. Out of 162 haemocultures performed in 41 patients, 62 (38.2%) were positive: Pseudomonas aerugi . nosa was isolated in 37.0% of cases, and Staphylococcus and Acinetobacter each in 12.9%. Out of 122 skin tests, 98.3% were positive: most frequently isolated was Pseudomonas aeruginosa (47.5%), followed by Proteus (18.3%) and Acinetobacter (15%). Only one-third of the positive haemocultures were associated with a local test positive to the same germ. Pseudomonas aeruginosa, Staphylococcus and Acinetobacter showed a high rate of resistance to the antibiotics tested. During the period of study one death out of two was secondary to infection. The importance is stressed of preventive measures at all levels of bum patient treatment, both on the technical level and as regards the training and on-going education of nursing and medical staff who are involved in the transmission of germs that are in a perpetual state of mutation.


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This paper was received on 28 March 1995.

Address correspondence to: Dr E. H. Boukind, Service des Brûlés et de Chirurgie Réparatrice, C.H.U. Ibn Rochd, Casablanca, Morocco.




 

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