
|
Brûlures,
vol. 1, avril 2000
Copyright 2000, Ed. Carr. Méd. |
PREJUDICES
SEXUELS ET BRÛLURES
R. Costagliola1,
N. Telmon1, A. Brouchet2, D. Rougé1,
M. Costagliola2
1
Service de Médecine légale, CHU Rangueil, 31054 Toulouse
2 Centre des brùlés, CHU Rangueil, 31054 Toulouse
RÉSUMÉ
Sur le plan
médico-légal, le préjudice sexuel se définit comme l'impossibilité, du fait de
séquelles traumatiques, d'accomplir l'acte sexuel ou de procréer d'une manière normale.
On peut être amené à envisager deux aspects distincts de préjudice sexuel, pas
forcément spécifique de la brûlure puisqu'on peut le retrouver aussi chez des grands
traumatisés porteurs de séquelles cicatricielles variées. Chez les brûlés, les
séquelles siégeant au n~veau de la sphère génitale entraînent, cela est facile à
concevoir, un préjudice sexuel direct , mais il existe un autre préjudice sexuel que
l'on pourrait qualifier d'indirect : en effet, certaines séquelles cicatricielles bien
qu'extra génitales, mais siégeant au niveau du visage, des mains, de la région mammaire
chez la femme, des parties découvertes en général ou même si elles sont cachées par
les vêtements dans la vie courante, ont souvent une répercussion sociale du fait du
retentissement psychologique et du « regard de l'autre ».
A propos de 52 observations de victimes de brûlures, les auteurs évoquent leur
expérience avec un recul de cinq ans, en analysant les problèmes d'évaluation, que le
préjudice sexuel direct ou indirect soit isolé ou associé chez le même individu.
Si l'évaluation du dommage sexuel direct chez le brûlé est assez facile du fait des
lésions anatomiques objectives, le préjudice sexuel indirect décrit par le patient est
plus difficile à valider et il faudra dans bien des cas solliciter l'avant d'un sapiteur
spécialisé. Ce préjudice indirect est de toute façon à différencier du préjudice
esthétique.
Au total l'indemnisation des séquelles sexuelles de brûlute peut nécessiter une
dualité d'évaluation, du déficit fonctionnel et de ses conséquences psycho-affectives.
Mots clés:
Psychiatrie - médecine légale - sexualité.
INTRODUCTION
Les brûlures de la
sphère génitale sont rares mais peuvent laisser des séquelles génito-sexuelles très
importantes. Le préjudice sexuel n'est pas spécifique de la brûlure puisqu'on peut le
retrouver aussi chez de grands traumatisés, paraplégiques notamment, porteurs de
séquelles cicatricielles variées. L'évaluation du retentissement sur la fonction
sexuelle devra prendre en compte les séquelles anatomiques de brûlures ainsi que les
conséquences psycho-affectives qui en résultent. A partir de 52 observations de victimes
de brûlure, pour lesquelles une expertise en dommage corporelle a été pratiquée, nous
présentons des résultats préliminaires concernant l'évaluation médico - légale du
dommage sexuel.
1. LE PRÉJUDICE
SEXUEL
A. Définition
médico-légale
Le préjudice sexuel se définit comme l'impossibilité totale ou partielle où
se trouve la victime, du fait des séquelles traumatiques qu'elle présente, soit
d'accomplir l'acte sexuel, soit de procréer ou de se reproduire d'une manière normale
[1].
B. Deux aspects
distincts
On peut être amené à envisager deux aspects distincts du préjudice sexuel :
un préjudice sexuel
direct concernant les séquelles siégeant au niveau de la sphère génitale,
un préjudice sexuel indirect en rapport avec des séquelles de brûlures extra -
génitales.
- Le préjudice sexuel direct
Il concerne les séquelles de brûlures affectant l'appareil génital ou les séquelles
localisées dans les régions voisines. Il peut s'agir de séquelles telles qu'une
rétraction du pénis chez l'homme ou des déformations anatomiques persistantes au niveau
des organes génitaux externes chez la femme, qui vont rendre difficile voire impossible
l'acte sexuel. Des brides et des rétractions cutanées majeures en région sus -
pubienne, périnéale ou à la face interne des cuisses peuvent avoir un retentissement
fonctionnel et perturber les possibilités physiologiques pour accomplir l'acte sexuel en
provoquant une gêne mécanique.
- Le préjudice sexuel indirect
Il regroupe les séquelles de brûlures extra - génitales, quelle que soit leur
localisation. Le visage et le cou peuvent être le siège d'aspects excessivement
disgracieux voire monstrueux. D'autres régions, telles que les mains, peuvent être
également concernées car ce sont des parties découvertes particulièrement visibles et
donc exposées au regard de l'autre [2]. Mais les lésions cachées par les vêtements
peuvent parfois se laisser apercevoir, comme la région mammaire chez la femme, l'abdomen
ou les membres inférieurs.
Ces lésions bien qu'extra - génitales peuvent, tout comme les séquelles de brûlure
génitale, avoir des conséquences psychologiques graves du fait de l'impossibilité ou de
la difficulté d'accomplir l'acte sexuel par le sujet, tant sur le plan affectif que sur
le plan du plaisir physique. Le côté visible des séquelles physiques peut représenter
un obstacle à la vie affective et la dévalorisation du corps, qui intervient beaucoup
plus pour l'autre, peut aboutir à une diminution de la libido [3].
II. EVALUATION
MEDICO-LÉGALE DU PRÉJUDICE SEXUEL CHEZ LE BRÛLÉ
A. Résultats
préliminaires d'une étude rétrospective
Nous avons colligé 52
observations de victimes de brûlure pour lesquelles une évaluation du préjudice sexuel
à été envisagée, dans le cadre d'une expertise en dommage corporel. Il s'agit d'une
étude rétrospective sur six ans à partir d'observations concernant 40 hommes et 12
femmes.
Dans 22 cas, il s'agissait de brûlures des régions génitales et para-génitales.
L'importance des séquelles anatomiques a permis de retenir un prejudice sexuel direct
chez 5 sujets. Dans les autres cas il n'y avait pas de préjudice authentifiable du fait
de l'absence de séquelles fonctionnelles et psychologiques.
Des séquelles de brûlure extra-génitale ont été constatées chez 30 sujets ; le
caractère certain du préjudice sexuel concernait 7 sujets pour lesquels les séquelles
s'accompagnaient d'un retentissement psycho-affectif majeur avec diminution de la libido
et des conséquences importantes sur l'activité sexuelle. Chez les autres sujets, soit on
ne retrouvait pas de retentissement psychologique, soit l'examen clinique ne retrouvait
que des séquelles modérées de brûlure à type de dyschromie ou de cicatrices minimes.
Ces éléments nous ont conduits à infirmer l'existence du préjudice sexuel allégué
par certains sUjets dans les suites de leur brûlure.
B. Comment évaluer le
dommage génito-sexuel
L'évaluation
médico-légale des séquelles chez le brûlé est fondamentale dans le cadre d'une
indemnisation. Cette évaluation repose sur l'appréciation de divers chefs de préjudice.
- Vincapacité permanente partielle (IPP)
C'est le dommage définitif qui constitue une diminution des possibilités de l'individu.
La part d'incapacité correspondant au déficit de la fonction sexuelle, c'est-à-dire à
l'impossibilité de réaliser des besoins physiologiques et/ou de procréation, peut être
quantifiée par un taux en pourcentage, indiqué dans différents barèmes dont le barème
de la Société de Médecine Légale et de Criminologie de France [4].
- Le préjudice esthétique
Il s'agit d'indemniser les séquelles de nature à enlaidir la victime. On n'emploie
pas de cotation chiffrée mais on indique le degré de l'atteinte par un qualificatif de
très léger à très important.
- Le préjudice sexuel
C'est un préjudice autonome, non chiffré, distinct du préjudice esthétique et de FIPP
puisque la vie sexuelle dépasse largement le cadre des capacités physiologiques et que
c'est le statut affectif du sujet tout entier qui est en cause. Le taux d'IPP ne
traduisant que partiellement le retentissement des séquelles de brûlure sur la vie de la
victime, le préjudice sexuel nécessite une double évaluation, à partir des séquelles
anatomiques fonctionnelles et à partir de l'existence d'un retentissement psychologique.
Ainsi, l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier indiquant que l'indemnité de 175 000
francs au titre de FIPP incluait l'indemnisation des séquelles génitales avec perte
d'érection a été cassé au motif que le préjudice sexuel subi par une victime
d'accident constitue un préjudice personnel distinct de celui découlant de PIPP [5].
D'autre part, bien que l'activité sexuelle constitue un des agréments de l'existence, le
préjudice sexuel est distinct du préjudice d'agrément. En effet, le préjudice
d'agrément ne s'analyse aucunement comme la privation générale, partielle ou totale des
agréments de l'existence, mais comme l'impossibilité stricte et spécifique de se livrer
à une activité culturelle (théâtre, conférences ... ), sportives (football, tennis
... ) ou de loisir (télévision, lecture, promenade ... ). Le préjudice sexuel et le
préjudice d'agrément représentent donc deux chefs de dommage rigoureusement distincts *
qui ne peuvent être confondus en aucune manière [1].
C. Le rôle de l'expert
Le préjudice sexuel,
notamment indirect, peut être difficile à affirmer car il se prête mal aux
investigations, fait intervenir des facteurs qui ne sont pas exclusivement organiques et
peut reposer sur de simples allégations. L'effort de l'expert doit consister à affirmer
ou infirmer le caractère certain du préjudice ainsi que le caractère certain et direct
de la relation causale. U interrogatoire est le temps essentiel de l'expertise, instauré
dans un climat de confiance permettant la reconstitution de la vie sexuelle intime du
sujet, afin de comprendre le trouble et son importance [6]. La description clinique des
séquelles de brûlure repose sur des constatations médicales objectives et doit
déboucher sur l'affirmation ou sur l'infirmation du préjudice allégué. Lorsqu'il
existe des lésions organiques graves telles que des brûlures importantes des organes
génitaux externes, l'évaluation médico-légale du préjudice sexuel est alors
relativement facile. Il suffit de décrire le préjudice et d'affirmer sans ambigtiité sa
certitude. Il en est de même lors de brûlures extra-génitales avec des séquelles
cicatricielles majeures, pour lesquelles un préjudice sexuel indirect peut-être retenu.
A l'inverse lorsque les lésions physiques sont minimes ou paraissent sans rapport avec
les troubles sexuels allégués, on ne pourra affirmer avec certitude l'existence d'un
préjudice sexuel indirect. L'appréciation des séquelles sexuelles nécessite une
approche psychologique [7] et il peut être alors utile de soumettre le sujet à l'examen
d'un psychiatre, d'un psychologue ou d'un sexologue.
III. CONCLUSION
Souvent le dommage sexuel
n'est pas pris en compte dans la mission d'expertise car le dommage sexuel n'est pas
déclaré par les victimes [8] et son appréciation est alors plus difficile. Quand un
sujet se plaint d'un trouble de la sexualité qu'il considère comme une séquelle de son
accident, il faut envisager la répercussion sexuelle directe ou indirecte que peut avoir
une brûlure. Dans les cas litigieux ou difficiles, l'expert doit s'efforcer de recueillir
des présomptions aussi précises que possibles et il sera utile de demander un avis
psychiatrique.
SUMMARY
From forensic
psychiatry point of view, the sexual prejudice is defined as the impossibility to conduct
a normal intercourse due to his or her post-traumatic stress disorder or even to be able
to procreate in a normal way (non medically assisted way).
We probably should think of two distinct aspects of sexual prejudices, those that are
specifically and directly related to the bum injury itself and others resulting from the
acquired disabilities of disfiguring scars in major trauma patients.
In bum patients, the disfiguring scars are mainly localized within the genital area, which
is readily conceivable hence attributed to direct sexual prejudice ; other indirect
prejudice does exist as well : As it is the case when other types of scars that are
localized away from the genital area, like ; the face, the hands, the thorax and mammary
region in women, exposed areas of the body and even covered areas with our daily dress,
could have social repercussion due to personal psychological effects and that of the peer
people as well.
According to 52 cases of burned patients, the authors evoke their experience over the past
five years dealing with the problematic evaluation of direct and indirect sexual
prejudices in their isolated and combined forms in the same patient.
If the direct sexual prejudice is clearly understood due to anatomical localization of the
injury, the indirect sexual prejudice related by the patient is somehow difficult to
validate thus in certain cases it is recommended to have the testimony of an expert
physician. This indirect prejudice is to be distinguished from other cosmetically related
prejudices.
On the whole, liability due to sexual dysfunction resulting from burn injuries need to be
doubly evaluated, not only with respect to her or his functional deficit but also to their
psyho-affective consequences.
RÉFÉRENCES
- Melenec L. Le préjudice sexuel. Gazette du
Palais, 1977: 525-29.
- Arbus L, Rougé D. Le rôle du médecin
traitant dans les expertises. Paris : Eska, 1995.
- François N. Les atteintes neurologiques
acquises de la fonction génito-sexuelle. Rev franç dommage corp, 1986 : 12 : 31 - 46.
- Barème d'évaluation mdico-légale des
incapacités permanentes en droit commun, Lyon : Alexandre Lacassagne, 1991.
- Biclet P. Le préjudice sexuel constitue un
préjudice personnel distinet de celui de l'incapacité permanente partielle. Médecine et
Droit, 1999 : 34 : 31.
- Rousseau C, Fournier C. L'évaluation du
dommage atteignant la fonction de reproduction. Rev franç dommage corp, 1986 : 12 :
87-94.
- Bogaerts F, Boeckx W. Burns and sexuality.
J Bum care Rehabil, 1992 : 13 : 39-43.
- Balakrishnan C, Imel L. Effect of penile
bums on sexual function. J Bum care Rehabil, 1992 : 16 : 508-10.
Correspondance: Prof. D. Rougé
Service de Médecine légale, CHU Rangueil
31054 Toulouse. |
|