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Brûlures, vol. 1, avril 2000
Copyright 2000, Ed. Carr. Méd.

EFFETS DE LA FOUDRE SUR L'ORGANISME HUMAIN, ILLUSTRÉS PAR DES CAS CLINIQUES

Laguerre J 1, Conil JM 1, Favarel H 1, Brouchet A 1, Grolleau JL 2, Costagliola M 3, Chavoin JP 4

1 PHAR - Service de Chirurgie Plastique, Réparatrice et Esthétique: Unité de Brûlologie et Service d'Anesthésie et Réanimation CHU de Toulouse
2 PHU - Service de Chirurgie Plastique, Réparatrice et Esthétique. Hôpital de Rangueil: CHU de Toulouse
3 PU - Faculté de Médecine : Université Paul Sabatier, Toulouse
4 PUPH, Chef du Service de Chirurgie Plastique, Réparatrice et Esthétique: Unité de Brûlologie. Hôpital de Rangueil, CHU de Toulouse


RÉSUMÉ

Aussi loin que l'on remonte dans la littérature, on retrouve des récits relatant des accidents consécutifs à la fulguration chez l'homme ou chez l'animal.
La foudre était alors associée à la colère des dieux ou à la notion de châtiment. Cet article fait le point actuel sur ce que l'on connaît du phénomène. Des notions de physique élémentaire sont d'abord rappelées donnant les caractéristiques de la foudre et de ses manifestations.
Ce phénomène tue entre 20 et 50 personnes par an et est à l'origine de dégâts considérables. Les mécanismes d'action des courants de foudre chez l'organisme humain se font soit de façon directe, soit par contact, soit par éclair latéral, ou encore atteinte indirecte, et enfin par courant de sol appelé tension de pas.
Les lésions déterminées sont à la fois thermiques et électro-thermiques. Peuvent être associés : des effets de blast, des effets acoustiques lumineux ou traumatiques. Les tableaux cliniques sont détaillés avec en particulier les signes neurologiques; des observations illustrent ces descriptions.
La conduite à tenir est précisée, mais surtout sont détaillées des mesures de prévention. En conclusion, les auteurs soulignent le caractère polymorphe et parfois spectaculaire de la symptomatologie clinique et l'extrème variabilité du pronostic.

 

Mots clés : Brûlures électriques - foudre.

Aussi loin que l'on remonte dans la littérature, on retrouve des récits relatant des accidents consécutifs à la fulguration chez l'homme ou chez l'animal. Aristote signale déjà des paralysies succédant immédiatement à un coup de foudre. La foudre était alors associée à la colère des dieux et à la notion de châtiment pour les fautes ou les péchés commis [ 1 ].

I. LA FOUDRE

On sait déjà depuis deux siècles que les éclairs et la foudre sont une forme d'électricité. L'origine de la foudre est en général un nuage orageux, de type cumulo-nimbus, en forme d'enclume occupant une surface de plusieurs dizaines de kilomètres carrés et ayant une épaisseur de plusieurs kilomètres. Le volume de ce nuage peut dépasser 1 000 KM3 et la masse est de l'ordre de centaines de milliers de tonnes d'eau. Les cumulo-nimbus sont constitués de gouttes d'eau à la partie inférieure, de particules de glace à la partie supérieure et se constituent à partir de courants atmosphériques ascendants dont la vitesse peut dépasser 20 mètres/seconde.
Ce nuage tonne un véritable dipôle électrique dont la partie supérieure est chargée positivement et dont la partie inférieure est chargée négativement. Il existe parfois aussi une poche chargée positivement à la base du nuage. Lorsque la charge électrique du nuage devient suffisante pour provoquer la rupture diélectrique de l'air, une prédécharge peu lumineuse, le plus souvent née à la partie inférieure du nuage, progresse par bonds à très grande vitesse, au hasard, en direction du sol. L'altitude de la base du nuage est d'environ 2 à 3 000 mètres.
Lorsque cette prédécharge appelée traceur par bonds (stepped-leader) ou précurseur parvient à quelques dizaines de mètres du sol, à partir d'un objet quelconque faisant saillie, une prédécharge ascendante prend naissance et rejoint le canal ionisé que constitue le précurseur. La rencontre de ces deux prédécharges constitue un intense courant électrique, arc de retour (retum-stroke) qui s'engouffre dans le canal et devient très lumineux. Cet ensemble de phénomènes constitue le coup de foudre le plus fréquent de type descendant. Si des stmctures de très grande hauteur font saillie, par exemple en montagne, c'est généralement le processus inverse qui se produit et le traceur part du sommet de la proéminence et se dirige vers le nuage. On distingue plusieurs types de coups de foudre qui se définissent selon la polarité et la direction. Le plus fréquent est le coup de foudre descendant négatif En montagne, les coups de foudre sont souvent de type ascendant négatif. La polarité du champ électrique au sol est déterminée par celle de la partie du nuage où est née la décharge initiale [2].

Les éclairs

L'éclair peut être défini comme la manifestation lumineuse de la foudre. Quand la charge du nuage est suffisamment importante pour que le champ électrique dépasse la résistance locale de l'atmosphère, l'éclair jaillit. Au moment de la décharge, le champ électrique est de l'ordre d'un million de volts et fournit une puissance équivalente à environ 100 millions d'ampoules électriques ordinaires. Durant cette fraction de seconde, l'énergie électrostatique est transformée en énergie électromagnétique (phénomène lumineux), en énergie acoustique (tonnerre) et enfin en chaleur. Il faut conserver présent à l'esprit que l'éclair se propage dans les deux sens. Les éclairs les plus nombreux et les plus importants sont situés à l'intérieur du nuage et sont invisibles. Leur trajet semble aléatoire. En fait tout indique que les trajectoires suivent les lignes de plus grande concentration de charges.

Le feu de Saint Hèlme

C'est une autre manifestation lumineuse de l'électricité atmosphérique. Il s'agit de multiples et petites décharges formant des aigrettes à l'extrémité des mâts ou des piolets. Ces lueurs sont stationnaires ou peuvent osciller autour des pointes.

La foudre en boule

Sphère lumineuse jaune orangée de quinze à vingt centimètres de diamètre, elle reste un mystère pour les scientifiques. Elle se comporte de façon imprévisible , soit elle s'évanouit, soit elle explose en créant des dégâts.

Le tonnerre

C'est le phénomène acoustique. Il est provoqué par la violente expansion de l'air dans le canal de l'éclair résultant de son échauffement instantané. L'onde de pression ainsi créée est voisine de 100 atmosphères expliquant l'intensité sonore. Le tonnerre n'est perçu qu'après l'éclair car la vitesse de propagation du son est nettement inférieure à celle de la lumière. Pour connaître la distance du point de chute de la foudre, par rapport au point d'observation, il suffit de compter le temps séparant l'apparition de l'éclair du moment où l'on commence à entendre le tonnerre et de diviser le temps ainsi obtenu par 3 pour arriver à la distance en kilomètres.

Quelques chiffres annuels

  • 20 à 50 personnes sont tuées;
  • 17 000 incendies des biens immobiliers 0 10 % au moins des feux de forêts;
  • 50 000 compteurs électriques sont endommagés;
  • 20 000 têtes de bétail sont victimes de la fulguration.

Il existe des cartographies définissant le nombre de jours par an au cours duquel le tonnerre a été entendu dans un lieu donné : courbes de niveau kéraunique:

  • 15 à 30 en France;
  • 180 en Indonésie ou en Afrique du Sud.

Plus intéressante est la densité de coups de foudre au sol par km2 et par an:

  • 1 à 3 coups en France.

Exemples de risque defoudroiement:

  • ferme isolée de 450 M2 au sol probabilité 1 coup tous les 100 ans
  • arbre de 15 ni de hauteur et de 10 ni de diamètre 1 coup tous les 200 ans
  • homme de 1,70 ni: 1 coup tous les 10.000 ans.
Figure 1 : Cas n° 1. Lésions du pied

Figure 1 : Cas n° 1. Lésions du pied

Figure 2 : Cas n° 2. Lésions des cuisses

Figure 3 : Cas n° 2. Lésion paraombilicale en regard de la boucle de la ceinture

Figure 2 : Cas n° 2. Lésions des cuisses Figure 3 : Cas n° 2. Lésion paraombilicale en regard de la boucle de la ceinture

Figure 4 : Cas n° 2. Fusion de la boucle

Figure 4 : Cas n° 2. Fusion de la boucle

II. LE FOUDROIEMENT

L'action du courant électrique sur l'organisme humain est soumise à divers facteurs, en rapport d'une part avec les caractéristiques du courant et, d'autre part avec la résistance du tissu traversé. Le corps humain, debout en contact avec le sol, constitue une résistance d'environ 200 W.
La résistance globale du sujet est la résultante de la résistance du milieu intérieur du corps et de celle de la peau. Il semble que les formations liquidiennes, vasculaires et méningées représentent des voies de moindre résistance. La résistance de la peau est conditionnée par son degré d'humidité et par la surface de contact. L'organisme et notamment le cerveau doivent être considérés comme un ensemble d'armatures et de diélectriques constituant une série de condensateurs sphériques, concentriques.
Lorsqu'il y a application d'une tension trop élevée, il y a perte des propriétés isolantes et le passage du courant électrique à travers le milieu crée dans les solides un phénomènes de claquage ou de percement. La foudre atteint l'homme soit directement soit indirectement [3, 4].

A. Atteinte directe

L'atteinte est directe lorsque le corps se trouve sur le trajet de la foudre. Quatre principaux mécanismes sont décrits et peuvent s'associer entre eux :

1. Le coup de foudre direct
Le plus souvent, le voltage d'un coup de foudre est tel qu'il est dérivé en grande partie à la surface du corps sous forme d'un arc de contournement (external flashover). La différence de potentiel, entre la partie supérieure du corps et le sol, est si élevée qu'elle amorce un arc électrique dans lequel s'écoule la majeure partie du courant. Un à dix ampères seulement traversent l'organisme et ce pendant quelques centaines de microsecondes.
On peut comparer ce mécanisme à "l'effet de peau" circulation des courants de hautes fréquences à la surface des conducteurs [5].
Lorsque le gradient de potentiel est faible, toute l'intensité du courant de l'éclair traverse le corps avec des conséquences pathologiques, en fonction des organes traversés.
On oppose les éclairs descendants, qui provoquent facilement un arc de contournement, aux éclairs ascendants, plus dangereux pour l'organisme humain, pour lesquels le courant d'ampérage insuffisant parcourt l'organisme durant plusieurs dixièmes de secondes avant l'éclair proprement dit. Ces différents mécanismes permettent d'expliquer les différents types de lésions rencontrées, notamment la volatilisation des vêtements et la vaporisation de la sueur par les courants de surface, ceux-ci se chargeant d'électricité de même signe que la surface cutanée, comme sur un électroscope. Les objets métalliques portés sur le corps constituent un trajet préférentiel pour le courant de foudre. Portés sur la tête ils sont particulièrement dangereux : "effet épingle à cheveux" (Kitagawa). Sur la partie inférieure du corps ils favorisent la formation d'un arc de contournement, c'est "l'effet fermeture éclair" théoriquement protecteur.

2. Electrisation de contact
Cas où le corps humain est en contact direct avec un élément conducteur lui même directement foudroyé. Il s'agit d'une circonstance plus dangereuse car dans ce cas le courant traverse l'organisme.

3. Eclair latéral
Une personne au contact avec la terre s'abrite sous une structure conductrice (arbre, tente ... ) recevant elle même un coup de foudre direct. La différence de potentiel entre le conducteur et la tête de l'individu s'élève et produit un claquage diélectrique de l'air d'où la création d'un éclair latéral suivant le trajet de moindre résistance. Les conséquences sont les mêmes que celles d'un coup de foudre direct. Ces accidents peuvent se produire à l'extérieur, mais aussi à l'intérieur (téléphone). On cite également les foudroiements collectifs en plein air avec propagation d'une personne à l'autre.

4. Le foudroiement par tension de pas

L'éclair frappe un point du sol et le courant se répartit dans le sol, dans toutes les directions. Plus la résistivité du sol est importante (roche, eau, terre), plus les courants sont intenses et se propagent loin. Une personne debout sera soumise à une différence de potentiel d'autant plus élevée que la distance entre ses pieds sera importante et qu'elle sera proche du point d'impact. Ces courants de sol sont plus dangereux pour les quadrupèdes que pour l'homme (debout), le coeur étant en dehors du trajet.
En synthèse on distingue les conséquences dues aux effets électriques non thermiques sur les organes traversés et les effets électrothermiques.

B. Atteinte indirecte

On observe plusieurs mécanismes

  • l'effet blast par surpression;
  • l'effet acoustique (120 à 130 décibels)
  • l'effet lumineux dû à l'arc électrique;
  • les traumatismes indirects par chute ou projection (Paralysie transitoire ou effet de souffle).

III.. LE FOUDROYÉ

La fulguration est un accident brutal : "l'homme qui voit l'éclair et entend le tonnerre n'est pas celui qui sera foudroyé" PLINE.
Immédiatement après avoir été frappé par la foudre la victime peut présenter différents tableaux :

  • la mort immédiate due à des lésions graves irréversibles ou à une chute post-fulguration;
  • un tableau d'asphyxie banale le plus souvent : la victime est immobilisée, la face et les extrémités sont cyanosées, la cage thoracique est figée, traduisant une inefficacité ventilatoire ou une véritable apnée;
  • un tableau syncopal: dans ce cas la victime est en arrêt ou tout au moins en inefficacité cardiorespiratoire. Le faciès est pâle, les pouls sont imperceptibles ou abolis. Cet état de mort apparente peut se prolonger de quelques secondes puis se résoudre spontanément sinon une réanimation cardio-circulatoire est nécessaire.

Dans les cas les plus bénins, il n'y aura pas de perte de connaissance et la symptomatologie se résumera à un syndrome déficitaire plus ou moins transitoire ou hyperalgique localisé.
Devant la multiplicité des manifestations cliniques, nous présenterons les différents signes observés appareil par appareil [6].

Signes neurologiques
Ils sont la conséquence de différents mécanismes:

  • Paralysies post foudroiement: kérauno-Paralysies qui régressent en quelques heures sans séquelles [7];
  • Lésions anatomiques dues à l'effet Joule sur le trajet du courant : système nerveux central ou périphérique;
  • Lésions dues aux spasmes vasculaires voire aux thromboses: paralysies ; syndromes pyramidaux, extra-pyramidaux, cérébelleux; paralysies atrophiantes spinales ; troubles neuro végétatifs.

Ce sont les troubles les plus fréquents et les plus caractéristiques allant de la simple perte de connaissance de mécanisme mal connu au coma avec lésions cérébrales. L'amnésie est quasiment constante.
Les troubles centraux sont en général graves et irréversibles alors que les lésions périphériques peuvent être temporaires. Un syndrome déficitaire rapidement résolutif à type de paralysie flasque ou spastique est un des éléments les plus originaux de la sémiologie neurologique. On note très souvent une hyperesthésie des segments atteints.
L'atteinte des nerfs crâniens est fréquente amaurose, surdité, aphasie ou dysarthrie sont également observées.
Des séquelles psychiques ont été décrites allant des troubles bénins hystériformes aux troubles graves par lésion cérébrale (démence) en passant par le syndrome subjectif type traumatisé crânien. L'épilepsie post-fulguration est par contre contestée. En conclusion on peut souligner le caractère protéiforme des atteintes neurologiques..

Signes cardiaques
Ils sont moins fréquents que les signes neurologiques. Les troubles du rythme sont les mêmes que ceux observés lors de l'électrocution. Ils peuvent être également la conséquence d'une hypoxie post syncope respiratoire.
Le risque de fibrillation ventriculaire est majeur s'il y a interférence entre le courant de foudre et la période vulnérable (onde T) du cycle de contraction cardiaque. Des lésions ischémiques équivalentes d'infarctus classique ont été décrites avec précordialgies, inversion des ondes T, courant de lésion et élévation enzymatique [8].

Lésions cutanées
On peut observer [9, 10]

  • des brûlures cutanées superficielles caractérisées par un aspect en feuilles de fougère : figures de Lichtenberg d'intérêt médico-légal. Ceci pourrait être dû au trajet du courant empruntant préférentiellement les zones cutanées les plus conductrices c'est à dire la microvascularisation. Il n'existe cependant aucune explication scientifiquement reconnue;
  • des brûlures plus profondes sont décrites, notamment des lésions nécrosantes à l'emportepièce au niveau des points d'entrée et de sortie avec atteinte des tissus sous-jacents, musculaires et osseux ,
  • des brûlures thermiques classiques par arc électrique et des brûlures de contact par fusion de pièces métalliques (colliers, boutons ... ).

Lésions oculaires
De nombreuses lésions ont été retrouvées:

  • des lésions du segment antérieur: kératites, ulcérations avec perforation de la cornée, conjonctivites, blépharites, irido-cyclites. Des atteintes cornéennes avec lésions d'opacification évoluant vers une cataracte;
  • des lésions du segment postérieur : choriorétinites, oedème rétinien, hyphémas, hémorragie de la vitrée.

On peut rencontrer également:

  • des perturbations au niveau de la vision des couleurs.

Signes auditifs
Surdité de transmission due à une destruction du tympan et de l'oreille moyenne. Plus rarement surdité de perception par atteinte directe du nerf auditif ou lésions vasculaires vestibulaires.
Cas particulier : foudroiement téléphonique pouvant associer électrisation, barotraumatisme et parfois brûlure du conduit auditif externe.

Autres effets
Des lésions traumatiques sont fréquentes mais non spécifiques par projection ou chute. Chez la femme enceinte on retrouve 50% de morts foetales.
Enfin, les cas de myoglobinurie avec insuffisance rénale ne sont pas spécifiques et doivent être attribués à l'ischémie tissulaire par hypoxie lors de manoeuvres de réanimation tardive.

Anatorno-pathologie et Histologie
Il existe une certaine unité de lésions avec atteinte parenchymateuse, congestion diffuse, oedème, hémorragies, tuméfaction du tissu lymphoïde.
Histologiquement on note une vasodilatation, des suffusions hémorragiques, une endothélite dégénérative et parfois une hyperplasie avec nécrose des formations gliales.

IV. CAS CLINIQUES

Cas defulguration de groupe
Un groupe de 40 randonneurs échelonnés sur 200 mètres est surpris par un violent orage en fin d'après-midi, mi-juin alors qu'il redescendait un sommet pyrénéen de 2 200 mètres. La foudre fauche une dizaine d'entre eux situés sur une crête. Une victime est foudroyée et projetée dans un ravin. Elle chute sur des rochers quelques mètres en contrebas. Selon les témoins immédiats, elle a le visage meurtri et ses vêtements sont lacérés et déchiquetés.
Les tentatives de réanimation respiratoire entreprises par ses proches restent vaines. Les autres victimes sont projetées au sol ou ressentent de violentes secousses électriques. Trois d'entre elles sont immobilisées avec des brûlures au niveau des pieds. Après sauvetage par le peloton de gendarmerie de Haute Montagne, deux des victimes sont transférées au Centre des Brûlés du CHU de Toulouse. Il s'agit de deux jeunes femmes de 32 et 41 ans qui décrivent les mêmes phénomènes : sensation d'une décharge électrique traversant tout le corps et d'une force irrésistible les projetant au sol. Elles ressentent ensuite une paralysie de la partie inférieure du corps avec une gêne à l'ampliation thoracique pendant quelques minutes. Il n'y a pas de perte de connaissance et le temps de récupération d'une force motrice suffisante à la station debout est estimé à environ une dizaine de minutes faisant suite à la décharge. Les victimes décrivent l'apparition immédiate de douleurs importantes au niveau des chevilles, puis des pieds [11]. A l'arrivée dans le service, la symptomatologie neurologique a totalement disparu, si ce n'est à l'examen un signe de Babinski bilatéral qui régressera au bout de 24 heures environ.
Au plan cardio-vasculaire, les paramètres hémodynamiques et le tracé électrocardiographique sont strictement normaux. Au plan local, on observe de multiples zones de claquages cutanés en emportepièce au niveau des deux pieds avec persistance de phénomènes douloureux importants. Ces lésions présentent une zone centrale de nécrose blanchâtre avec un halo périphérique rouge vineux, mal délimité associé à un décollement épidermique (fig. 1).
Les examens biologiques complémentaires révèlent un dosage de la créatinine phosphokinase cardiaque normal pour les deux patientes et une légère élévation de la créatine phosphokinase totale: 150 U/L et 1530 U/L respectivement. Les clichés radiologiques osseux des pieds sont strictement normaux.
Le traitement associe une réhydratation adaptée au suivi clinique et biologique ainsi qu'une analgésie par dérivés morphiniques. Comme dans les électrisations, le haut risque thrombo-embolique est prévenu d'emblée par héparine de bas poids moléculaire soit 40 mg d'énoxaparine sodique par 24 h. Une attention toute particulière est portée à la prévention des complications infectieuses. Elle passe par la lutte contre les surinfections locales et par l'éradication des tissus nécrotiques. Les pansements sont effectués dans des conditions d'asepsie chirurgicale et les germes de colonisation sont recherchés systématiquement par comptages cutanés dès le deuxième jour. L'excision chirurgicale des lésions est pratiquée à la 48ème heure , il s'agit d' une excision large péri-lésionnelle des zones nécrotiques passant en tissu apparemment sain. Ce geste potentiellement insuffisant est complété par une détersion enzymatique à l'aide d'enzymes protéolytiques (fibrinolysine, désoxyribonucléase) en application locale tous les deux jours. De fait certaines lésions vont nécessiter un complément d'excision dès le quatrième jour.
La couverture par autogreffes en peau continue est réalisée après obtention d'un sous-sol correctement vascularisé sur le plan clinique, soit le huitième jour. Ceci correspond au délai habituel pour l'obtention d'un bourgeon de bonne qualité en l'absence de surinfection chez un sujet présentant un état nutritionnel satisfaisant. Les greffons respectivement de 120 et 190 CM2 sont prélevés au derinatome électrique au niveau du tiers supéro externe des cuisses. Il faut noter que la topographie des lésions préservait toutes les structures nobles ostéo-ligamentaires et vasculo-nerveuses.
L'évolution est favorable. Après la cicatrisation complète des greffons, une pressothérapie par chaussette compressive est mise en place et la rééducation entreprise. Aucune séquelle sensitivomotrice n'est à déplorer.
Ces observations soulèvent certains commentaires concernant le mécanisme des lésions et leur symptomatologie. Il s'agit d'un accident classique avec survenue brutale d'un orage qui frappe un groupe de randonneurs sur une arête exposée en montagne. De plus, le massif en question semble particulièrement exposé au "foc del cel" ("feu du ciel" en occitan). Le contexte dramatique de ce type d'accident explique l'absence d'observations détaillées concernant les victimes et notamment la quasi-impossibilité d'obtenir une vérification anatomo-pathologique des lésions, Ici, la personne décédée a été probablement victime d'un impact direct c'est-à-dire qu'elle se trouvait sur le trajet du coup de foudre. L'état des vêtements et de la chaussure récupérée semblent en faveur d'un arc de contournement associé. Cependant, selon les témoins, la cause immédiate du décès peut être attribuée soit au coup de foudre direct, soit à une conséquence indirecte par la chute induite. Comme cela est retrouvé dans la littérature, les autres victimes s'avèrent les plus proches de l'impact. On ne retrouve chez elles, ni perte de connaissance, ni lésions graves dans la partie supérieure du corps. Le mécanisme le plus probable est le foudroiement par tension de pas.
Le gradient de potentiel entre le point d'impact et les victimes les plus proches étant le plus élevé, seules celles-ci présentent des lésions anatomiques à type de brûlures.
La symptomatologie neurologique observée est typique avec paralysies motrices et sensitives transitoires, régressant en quelques heures sans séquelles.
Il s'agit bien des paralysies hystériques déterminées par la fulguration décrites par Charcot sous le nom de "kérauno-paralysies". L'absence de brûlures cutanées arborescentes type figures de Lichtenberg et la préservation intacte des vêtements peut s'expliquer par l'absence d'arc de contournement. Il est intéressant d'observer les caractéristiques perforations punetiformes, véritables orifices en emporte pièce au niveau des chaussures en cuir, directement en regard des lésions. Il n'existe aucun halo de carbonisation autour de cet orifice d'environ 8/lOème de millimètre. Par contre on retrouve des perforations avec brûlures des chaussettes calquées directement sur la topographie des lésions cutanées. Localement, les lésions sont voisines de celles observées dans les points d'entrée et de sortie lors des électrisations. Il s'agit de lésions en cocarde avec une nécrose centrale tissulaire définitive et un halo ischémique évolutif périphérique à cette nécrose possédant un gradient de lésions vasculaires dégressif selon l'intensité de la réaction électro-thermique intéressant soit l'épiderme, soit la totalité du derme et une partie plus ou moins importante de l'hypoderme. Quelle que soit l'importance des lésions, les atteintes vasculaires sont progressivement décroissantes en s'éloignant du foyer de nécrose. La gravité de la nécrose varie en fonction de l'intensité du courant.

Cas defulguration isolé
Faisant suite à un violent orage, les sapeurs pompiers sont appelés pour un homme de 24 ans errant dans une rue et cherchant du secours. Ils trouvent un homme hagard, désorienté, hyperalgique et dégageant une forte odeur de brûlé. Il présente une plaie du cuir chevelu , ses vêtements sont trempés, mais apparemment intacts. Ce patient est transféré au CHG de Tarbes, puis hospitalisé dans le Service des Brûlés de l'Hôpital de Rangueil à Toulouse le 1/06/1997.
A l'entrée dans le service on notait, outre un état de désorientation temporo-spatiale, des brûlures de deuxième degré superficiel et intermédiaire, sur environ 45% de la surface corporelle essentiellement au niveau du tronc et des cuisses (fig2).
On note en regard du collier et de la boucle du ceinturon, dans la région para ombilicale (fig3) des petites zones de brûlures plus profondes et la présence d'une conjonctivite bilatérale avec un ulcère central au niveau d'une cornée. La plaie du cuir chevelu a été suturée.
Après amélioration de l'état de conscience, l'anamnèse de l'accident a pu être reconstituée. Au plus fort de l'orage, le patient se souvient s'être abrité sous le hall d'une gare désaffectée, mais Présente une amnésie complète de la suite des-événements.
Sur le plan médical, la réanimation hydro-électrolytique initiale a été basée sur la règle d'Evans. Une nutrition hypercalorique, hyperprotidique et une prévention de la maladie thrombo-embolique par héparine de bas poids moléculaire ont complété le traitement.
L'évolution s'est compliquée de deux bactériémies à staphylocoque méthi-S traitées par antibiothérapie adaptée.
Sur le plan du traitement local, les zones brûlées ont bénéficié d'une détersion assistée par enzymes protéolytiques associée à une balnéothérapie et une fluidisation jusqu'à la cicatrisation complète.
Sur le plan psychologique un suivi s'est avéré nécessaire par les psychiatres consultants du service. Ceux-ci ont évoqué la possibilité d'un placement pour ce patient déjà placé en famille d'accueil.
Pour ce cas clinique également les mécanismes physiopathologiques reconnus permettent d'expliquer cet accident de fulguration.
Malgré l'absence de témoins, le patient étant réfugié sous un abri métallique ouvert a fort probablement été frappé par un « éclair latéral » qui a pris naissance entre la toiture et son corps par rupture diélectrique de l'air.
Les lésions observées, ainsi que la présence de vêtements quasiment intacts (non brûlés) avec présence de points de fusion (fig. 4) au niveau du ceinturon (nous n'avons pas vu le collier) sont largement en faveur d'une fulguration avec « arc de contoumement ».

V. CONDUITE A TENIR EN URGENCE

Elle n'est pas spécifique, il s'agit d'une réanimation cardio-respiratoire classique dont la précocité conditionnera le pronostic.
Le conditionnement des brûlures est classique avec refroidissement, emballage stérile et protection thermique de la victime.
La sédation et l'analgésie seront le plus souvent indispensables dans ce contexte de stress.
L'hospitalisation en soins intensifs doit être systématique. Les bilans biologiques et les variations enzymatiques permettront d'apprécier la gravité des lésions internes et un bilan neurologique soigneux servira de référence au suivi clinique.

VI. PRÉVENTION

Il n'y a pas de foudre sans cumulo-nimbus. Il faut donc être attentif aux prévisions météorologiques, surtout en montagne, en fin d'après-midi l'été et se souvenir que la foudre est attirée par les zones proéminentes du sol riches en charges positives. La surveillance météorologique se pratique à partir de stations au sol, mais également à partir de satellites

Moyens techniques

Paratonnerre : la protection des édifices contre la foudre est très ancienne puisque c'est au XVIllè-e siècle que Benjamin Franklin a mis au point le paratonnerre. Ce dispositif comprend une tige métallique dressée verticalement au-dessus du bâtiment, parfaitement isolée et dont l'extrémité inférieure est mise à la terre. Pour bien remplir son office, le paratonnerre doit présenter une faible impédance d'ondes et sa mise à la terre doit être aussi peu résistante que possible (nappe phréatique). La subdivision du conducteur de descente à brins parallèles répartis autour du bâtiment et aboutissant chacun à une prise de terre individuelle est recommandée (paratonnerre de Melsens).
La zone de protection d'un paratonnerre est généralement limitée à un cône ayant pour base le double de l'altitude de la pointe.
Lorsque l'on interconnecte les fils de descente du paratonnerre par des conducteurs horizontaux, on constitue une véritable cage de Faraday.
On utilise aujourd'hui des paratonnerres radioactifs : ces appareils comportent un générateur de rayons Béta ou Gamma qui ionisent l'atmosphère en le rendant plus conducteur au voisinage des pointes classiques de Franklin.
La protection nécessaire des réseaux EDF particulièrement exposés fait l'objet de recherches incessantes (éclateur à cornes, parafoudre).

Mesures de protection des sujets

Par temps d'orage, ne pas perdre de temps et rechercher rapidement un abri pouvant faire protection par cage de Faraday (véhicule automobile, bâtiment métallique).
En montagne [12, 13] un des premiers signes est l'apparition de grésillements à ionisations de l'air appelés : "abeilles". Si l'orage survient, il faut s'éloigner des endroits exposés, c'est-à-dire des zones du sol proéminentes, riches en charges positives : sommet, arête, fissure. Il faut rechercher une zone théoriquement protégée de l'impact direct, c'est-à-dire une zone en couronne, centrée sur une proéminence d'au moins 5 mètres de hauteur et dont le rayon interne est égal à cette hauteur et le rayon externe égal à deux fois cette hauteur.
Il faut également se protéger contre les courants de décharge circulant en surface : donc éviter de s'adosser à une paroi, de se glisser dans une fissure, de s'abriter à l'entrée d'une grotte ou à tout endroit où se situe un ruissellement.
Sur une paroi, il est conseillé de s'éloigner de celle-ci, de s'accroupir isolé du sol par une corde ou un sac et de s'assurer par une corde fixée perpendiculairement à la ligne de pente.
Il est par ailleurs fortement déconseillé d'utiliser des moyens de communication radiophoniques par temps orageux.
En mer, sur un bateau avec coque en bois ou polyester, il faudra assurer une continuité entre le mât, véritable paratonnerre et la mer qui constitue la masse. L'espace sera relié à la quille par une tresse métallique. On pourra utiliser une ligne de mouillage en chaîne disposée en guirlande autour des haubans d'un voilier. Si la coque est métallique, elle constitue une cage de Faraday et il suffit d'éviter le contact avec les pièces métalliques à l'intérieur de celle-ci.
En aéronautique, les avions subissent une "métallisation", c.'est-à-dire lajonction de toutes les pièces isolées à la masse par des tresses métalliques afin d'éliminer toute différence de potentiel et constituer une cage de Faraday parfaite isolée dans l'atmosphère.
Une automobile constitue un bon abri, à condition d'éviter de toucher toute partie métallique.

CONCLUSION

Les accidents de la fulguration sont donc caractérisés par des manifestations très variées et parfois très spectaculaires. Si l'impact direct est le plus souvent mortel, les atteintes secondaires sont de meilleur pronostic et parfois même guérissent sans séquelle.

 

SUMMARY

The more we look back through literature one finds some relating reports to lightning strikes and their effects on both human and animal species.
Lightning was then associated with God's anger and is related to the notion of punishment. This article points out our current knowledge about the phenomenon.
Some principles in elementary physics are being pointed out explaining the characteristics of lightning and its manifestations This phenomenon kills between 20 and 50 people per year and is the source of considerable damages.
The mechanisms through which lightning affect humans could be either : DIRECT (that is by a simple contact or a lateral flash,) INDIRECT, and finally through a STEP TENSION phenomenon where the current travels the ground before entering the body.
Lightning effects in the body are of thermal and electro-thermal nature. Other effects could be associated like: blast effects, sound effects, light or effects due to trauma.
TABLES are presented detailing in particularly neurological signs and symptoms with their related descriptions and observations. The principles of treatment are indicated by giving more attention to the preventive measures.
In conclusion, the authors of the article have underlined the polymorphic nature of the clinical symptomatology as well as it's unpredictable prognostic outcome that sometimes could be spectacular.


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Correspondance: Laguerre Jacky,
Unité de brûlologie, Service de Chirurgie plastique, Reparatrice et  Esthétique
Hôpital de Rangueil - 1, avenue du Prof. Poulhes
31403 Toulouse Cedcx.