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DE VALTERNANCE: DECUBITUS VENTRAL DECUBITUS DORSAL CHEZ LES BRULES ATTEINTS Service des Brûlés - Hôpital Cochin, Paris. RÉSUMÉ Les défaillances respiratoires chez les brûlés posent de difficiles problèmes thérapeutiques. Nous rapportons notre expérience de l'utilisation du décubitus alterné (DA), associant des phases de décubitus dorsal (DD) et de décubitus ventral (DV), chez 12 brûlés en insuffisance respiratoire aiguë. Le recours au DA était décidé devant la nécessité de ventiler de façon prolongée le patient avec une fraction inspiratoire en oxygène (Fi02) supérieure à 0,7 pour maintenir une pression partielle en oxygène (Pa02) au delà de 90 Torr. Trois patients sont décédés (25%) dont 2 en raison des troubles respiratoires. Chez les 10 patients répondeurs, la moyenne du rapport Pa02/FiO2 était avant DA de 115 (extrêmes 79-167) et, après DA de 233 (extrêmes 181-286). Le nombre moyen de séances de DV a été de 10 par patient. Ce travail confirme chez le brûlé, l'efficacité du décubitus ventral dans la prise en charge des défaillances respiratoires aiguës rapportées dans la littérature pour d'autres pathologies. Mots clés: Problèmes respiratoires, réanimation.Introducion Les insuffisances respiratoires aigues sont fréquentes chez les brûlés. Elles peuvent être en relation avec des lésions primitives provoquées par une inhalation de fumées, ou avec une pneumopathie secondaire survenant le plus souvent chez un patient intubé. Environ 20% des patients hospitalisés dans les centres de brûlés présentent des lésions d'inhalation DECUBITUS DORSAL CHEZ LES BRULES ATTEINTS D'INSUFFISANCE RESPIRATOIRE AIGUE F. LEBRETON, M. SCHLOTTERER, D. ARCHAMBEAU, D. WASSERMANN associées aux brûlures cutanées. Le retentissement de ces « brûlures pulmonaires » sur l'évolution est considérable puisque, selon les auteurs, elles sont associées a une mortalité de 20 à 80 % (1, 2, 3, 4). La mortalité due aux lésions d'inhalation pulmonaire croît avec la surface de la brûlure cutanée (4). Dans 77% des deces qui surviennent chez les victiMes de lésions d'inhalation, c'est l'insuffisance respiratoire qui est à l'origine du décès, le plus souvent en raison d'une surinfection bronchique (3). Par ailleurs, la surmortalité constatée chez les patients brûlés intubés mais indemnes de lésions d'inhalation est équivalente à celle observée au décours de l'évolution des lésions d'inhalation (5). La gravité des complications pulmonaires chez les brûlés exprime les difficultés thérapeutiques rencontrées. Le recours à la ventilation assistée est le plus souvent indispensble et expose le patient à des complications en rapport avec des pressions d'insufflation et des fractions inspiratoires en oxygène (Fi02) élevées. Ainsi, dans les cas les plus graves, on se trouve souvent devant une impasse thérapeutique : la dégradation des gaz du sang impose d'augmenter la Fi02 et la ventilation minute, au risque d'entraîner une nouvelle dégradation de la fonction pulmonaire. C'est dans des contextes équivalents que l'utilisation du décubitus ventral alterné avec le décubitus dorsal a été proposée dans les insuffisances respiratoires Intéret de l'alternance décubitus ventral quelle que soit leur étiologie [6,7,8] et chez les brû- recueil en continu de la saturation en oxygène de l'hélés [9]. Nous rapportons ici notre expérience de l'utilisation du décubitus ventral chez 12 patients brûlés présentant une défaillance respiratoire. Matériel et Méthode De janvier 1997 à mars 1999, 288 patients ont été hospitalisés dans le centre des brûlés de l'hôpital Cochin. Parmi ceux-ci, 51 patients (17,7%) ont nécessité la mise en ventilation assistée dont 12 (4,2%), victimes d'une défaillance respiratoire sévère, ont été traités par décubitus alterné (DA) associant en alternance des périodes de décubitus ventral (DV) et des périodes de décubitus dorsal (DD). Les séances de DA ont été instaurées chez ces 12 patients en raison de la nécessité de recourir de façon prolongée à une Fi02 supérieure ou égale à 0,7 pour maintenir une pression partielle en oxygène (Pa02) supérieure à 90 Torr. Les principales caractéristiques de ces patients sont réunies dans le tableau 1. Il s'agissait de patients porteurs de brûlures relativement sévères puisque la surface brûlée moyenne était de 36,25 % avec des scores de gravité élevés Indice de Baux moyen : 76 (extrêmes 36 - 120) UBS moyen : 62 (extrêmes Il - 138) ; ABSI moyen : 8 (extrêmes 5 - 11). Les circonstances de survenue des brûlures comprenaient 7 incendies, 4 explosions de gaz et une immolation. A l'arrivée dans le service à JO, tous les patients étaient intubés et ventilés. Un patient présentait une intoxication oxycarbonée (14,5% de carboxyhémoglobine), 7 patients sur 12 avaient inhalé de la fumée avec présence de lésions à la fibroscopie bronchique réalisée à l'entrée, un patient avait un blast pulmonaire avéré (pneumomédiastion). Au cours de la période de DA, tous les patients étaient sous assistance respiratoire en mode volume contrôlé avec pression positive de fin d'expiration (peep). Une hypoventilation alvéolaire modérée avec hypercapnie permissive était instaurée afin de limiter le risque de barotraumatisme. Tous les patients étaient sédatés (Fentanyl + Flunitrazepani ou Midazolam), 10 patients étaient curarisés (Pancuronium ou Vecuronium). Cinq patients étaient sous amines pressives. Enfin, 3 patients ont reçu de l'oxygène additionnel et 2 ont bénéficié d'une adjonction d'inhalation de monoxyde d'azote (NO). La surveillance respiratoire des patients comportait le moglobine (Sa02) par oxymètre de pouls, des paramètres ventilatoires du respirateur et du malade et la réalisation de gaz du sang au moins une fois par jour. Tous les patients traités par DA étaient couchés sur un lit à coussins d'air avec fuite d'air ou sur un lit fluidisé. La durée des périodes de DV ou de DD dépendait de l'évolution des paramètres ventilatoires et des paramètres cliniques. La position était maintenue tant que l'on constatait une amélioration de ces paramètres, en particulier de la Sa02. Enfin les séances de DA étaient arrêtées lorsqu'une hématose satisfaisante pouvait être obtenue de façon stable pour une Fi02 inférieure ou égale à 0,5. Résultats Parmi les 12 patients traités par DA, 3 sont décédés (25 %). Deux de ces décès ont été imputés à l'aggravation de l'état respiratoire du patient malgré le traitement par DA. En ce qui concerne le troisième patient, son état respiratoire a été nettement amélioré par le DA mais il est décédé secondairement (au 50ème jour après la brûlure) d'une autre complication (troubles du rythme). Par comparaison, sur les 51 patients ventilés au cours de la même période, 17 patients sont décédés (33,3%). L'évolution du rapport Pa02/FiO2 pour chaque patient est rapportée dans la figure 1. Ce rapport, avant l'instauration des séances de DA, était en moyenne de 115 avec des extrêmes de 79 à 167. Ce même rapport, lors de l'arrêt des séances de DA, était en moyenne, pour les patients survivants, de 233 avec des extrêmes de 181 à 286, soit un gain global de Il 8. La figure 2 présente, pour chaque patient, le nombre de jours séparant l'intubation du début des séances de DA. La figure 3 analyse pour chaque patient le nombre de jours de DA.Les valeurs moyennes sont respectivement de 7,7 jours (extrêmes : 4 et 18 jours) pour le délai entre intubation et début de DA et de 6,2 jours (extrêmes 2 et 11 jours) pour la durée du DA. Le nombre d'heures de DV cumulées par patient et par jour a été en moyenne de 11 avec des extrêmes de 8 à 17 heures. Le nombre de séances de DV par malade a été en moyenne de 10 avec des extrêmes de 2 à 22, soit 120 séances de DV pour la totalité des patients. Après l'arrêt du DA, la ventilation assistée a été maintenue, chez les 10 survivants pendant plusieurs jours (fig. 4). Discussion La technique de ventilation en décubitus ventral et dorsal alterné a été proposée depuis 1976 dans les hypoxémies graves (8). Des résultats favorables sur l'évolution de la Pa02 chez des patients présentant un syndrome de défaillance respiratoire aigu (SDRA) ont été rapportés par de nombreux auteurs (6, 7, 10, 11, 12). Chez des patients brûlés en insuffisance respiratoire aiguë, Crenn et coll. (9) ont montré, sur 17 patients, une importante amélioration (+ 100%) du rapport Pa02/FlO2 après mise en décubitus ventral.Dans notre étude, l'amélioration observée est équivalente à celle constatée par ces derniers auteurs puisque le rapport Pa02/FiO2 passe en moyenne de 115 à 233 après recours au DA. Deux de nos patients (soit 16,6% de notre population) n'ont pas été significativement améliorés par le DA et sont décédés pendant celui-ci dans un tableau d'insuffisance respiratoire. Les 10 autres patients peuvent être considérés comme répondeurs si l'on retient avec Chatte et coll. (11) comme significatif une augmentation de 20 du rapport Pa02/FiO2. Le pourcentage de répondeurs (22%) dans l'étude de Chatte et coll. est voisin du nôtre. Plusieurs mécanismes physiologiques ont été proposés pour expliquer ces améliorations de la fonction respiratoire induites par le DA. Le gradient de pression pleurale, lié à la gravité et qui est physiologiquement responsable d'une hypoventilation des zones déclives est moins important chez un sujet en décubitus ventral. La distribution des volumes gazeux et la ventilation sont donc plus homogènes apres passage en DV (13, 14), ce qui perrnet d'ouvrir des territoires alvéolaires qui étaient précédemment atélectasiés en DD. En ce qui concerne la distribution de la perfusion pulmonaire, plusieurs travaux (15, 16) effectués sur l'animal ont montré la meilleure perfusion des régions dorsales du poumon, indépendamment de la gravité, ce qui explique qu'en DV, la répartition de la perfusion est nettement plus homogène qu'en DD. En DD les effets anatomiques et ceux de la gravité s'additionnent pour favoriser la distribution du sang vers les zones dorsales au détriment des zones ventrales. Il existe donc en DD une importante inégalité du rapport ventilation/perfusion avec ventilation élevée / perfusion basse au niveau des régions ventrales (supérieures) et ventilation basse / perfusion élevée au niveau des zones dorsales (inférieures). En DV en revanche, les zones dorsales (supérieures) du poumon restent bien perfusées malgré la gravité et deviennent bien ventilées grâce à la gravité, alors que les zones ventrales (inférieures) sont bien perfusées grâce à la gravité et relativement bien ventilées en raison d'un gradient de pression pleurale plus faible qu'en DD. Le DV améliore donc l'hématose par amélioration globale du rapport ventilation /perfusion (7, 17). L'aspect relativement transitoire de l'amélioration qui impose en pratique une alternance du DV et du DD est probablement en rapport avec la formation de nouvelles atélectasies en DV au niveau des zones ventrales (inférieures) (18).D'autres explications ont été également proposées telle une amélioration du drainage des voies aériennes : le DV favorise le drainage de la cavité oropharyngée et celui des bronches en raison de l'anatomie des voies aériennes : la trachée et la majorité des bronches sont obliques en bas et en arrière. Il n'existe malheureusement aucune étude permettant de codifier le traitement par DA dont l'efficacité clinique apparaît incontestable. Sur quels critères doit-on commencer les séances de DA ?, quelle est la durée optimale des phases de DV et de DD ?, quels sont les critères d'arrêt des séances de DA ?, existet-il des critères permettant de prévoir lesquels parmi les patients seront répondeurs ? En ce qui concerne l'indication du DA, il apparaît, à la lecture des études disponibles, qu'il est réservé par les différents auteurs à des cas d'insuffisance respiratoire particulièrement sévères avec un effondrement du rapport Pa02/FiO2. Les valeurs moyennes de ce rapport sont en effet de 105 (11), 106 (10), 100 (9) suivant les études. Dans notre étude, la valeur moyenne de ce rapport est de 115 avec des extrêmes de 79 et 167. On peut être surpris par une telle dispersion dans la gravité des patients pour lesquels le DA a été prescrit. Ceci s'explique par le fait qu'il s'agit ici d'une étude rétrospective et que la valeur du rapport Pa02/FiO2 n'a pas été utilisée comme seul critère de décision de traitement par DA. La décision de retournement du patient a été également fondée sur son état clinique et, en particulier, sur la cinétique de l'aggravation de l'hématose. On retrouve, dans les autres études, une inhomogénéité identique des rapports Pa02/FiO2 avant le recours au DA, ce qui montre bien l'importance du contexte clinique. L'efficacité du DA, sa facilité de mise en oeuvre et sa relative innocuité militent en faveur d'un début plus précoce des retournements dans l'évolution de la défaillance respiratoire. Pour ce qui est de la durée des phases de DV et de DD, aucune règle ne peut être déduite de l'analyse de Intérêt de l'alternance décubitus ventral la littérature. En réalité, c'est l'amélioration de l'hématose qui doit dicter le rythme des retournements. Dans l'étude de Crenn et coll. (9), la durée moyenne de DV par 24 heures était de 8 heures., chiffre proche des 11 heures observées dans notre étude. Dans certain cas, la durée du DV a été écourtée en raison de problèmes héniodynamiques. Dans d'autres, elle a été prolongée car l'amélioration de l'hématose se poursuivait largement au delà de 10 heures. Les phases de retournement ont été également conditionnées par des impératifs techniques : le décubitus ventral rend difficile la réfection des pansements, il interdit le changement des cathéters. Sur le plan technique, le retournement du patient ne pose pas de problèmes insurmontables. Il n'en reste pas moins que la mise en oeuvre de séances de DA représente une surcharge importante de travail pour le personnel. Un minimum de 3 personnes est en effet indispensable pour retourner le patient et, dans notre étude, chaque patient a nécessité une moyenne de 22 retournements. Les complications sont potentiellement nombreusesmais peuvent être évitées si l'on prend les précautions adéquates. Le risque de lésions cutanées par compression, notamment au niveau du menton, du nez et du front n'est pas négligeable. Une bonne installation du patients et l'utilisation d'un lit adapté, qu'il s'agisse d'un lit fluidisé ou d'un lit à coussins d'air à fuite d'air, permet de limiter ce risque qui reste cependant important (nous avons observé dans notre étude deux escarres limités du visage). Le retournement expose au risque d'extubation accidentelle, de coudure ou de débranchement des sondes et cathéters. Un nombre suffisant de personnel et une attention soutenue de celui-ci doit permettre d'éviter ces incidents. Une éventuelle décompensation hémodynamique est toujours possible et doit inciter à assurer une volémie satisfaisante avant la mancouvre de retournement. Enfin, en dehors des situations cliniques contre-indiquant toute mobilisation, comme les pathologies instables du rachis, les contre-indications au DA sont pratiquement inexistantes.
Légende :
SUMMARY Acute respiratory insufficiencies are frequent in bum patients and are particularly difficult to treat. We report here our experience with the use of prone position in such patients. Prone position was used in 12 patients severely burned because inspiratory oxygen fraction (FiO2) above 0.7 was necessary to obtain an arterial partial oxygen pressure (Pa02) above 90 Torr. Among the 3 death, 2 patients died from respiratory insufficiency. The mean number of prone position use per patient was 10. In the 10 responding patients, Pa02/FiO2 increases from 115 (range 79-167) before use of prone position to 233 (range 181-286) after prone position. This study confirms the efficiency, in burn patients of the positive effects of prone position on acute respiratory failures. RÉFÉRENCES
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