<% vol = 3 number = 3 prevlink = 123 nextlink = 143 titolo = "Le visage brûlé" data_pubblicazione = "Nov 2002" header titolo %>

Yvonne Garond1

1 Service du Dr Goudet-Lunel CRF La Tour De Gassies, 33523 BRUGES CEDEX


RÉSUMÉ.
De quoi est faite cette terreur qui se transforme très souvent en agressivité chez ceux qui croisent le brûlé gravement atteint au visage ? La psychanalyse et les mythes vont nous éclairer en ce domaine et nous nous laisserons guider dans cette réflexion par le livre de Simone Korff " d'OEdipe à Frankenstein " figures du handicap Avril 2001.


Mots clés : brûlure, visage, psychanalyse.




I - Introduction

Freud analyse que l'inquiétante étrangeté vient du vacillement des certitudes liées aux perceptions et aux différenciations habituelles et rassurantes. La défiguration est hors de la figuration attendue, elle attaque la sécurité de l'harmonie visuelle , de l'équilibre esthétique attendu. Cela déstabilise notre narcissisme et cela vient toucher l'inconnu de nous même, notre inconscient. Il y a en chacun d'entre nous une part d'étrangeté. Et lorsque nous rencontrons un être humain" pas comme les autres " étrange, il risque de nous dévoiler, tel un miroir, notre propre étrangeté. Et voici la personne défigurée quasiment en position d'accusé, " Nous les brûlés avec nos cicatrices on est déjà une agression " disait l'un d'eux. Ainsi la personne " défigurée " nous tend un miroir qui met à nu nos imperfections et reflète une image dans laquelle nous répugnons à nous reconnaître, carelle porte atteinte à notre image de l'intégrité humaine et nous conduit aux confins de ce qui serait spécifiquement humain. De plus, les cicatrices sont la marque qu'il s'est passé quelque chose de grave, et un signe extérieur des souffrances qui ont été subies.

C'est ainsi qu'un patient brûlé au visage et dont les mains sont en partie amputées s'entend dire à l'arrêt du bus : " quelqu'un dans cet état ne devrait pas vivre ", ou bien une mère attendant sa fille, brûlée au visage, à la sortie de l'école entend : " Non mais regarde moi cette horreur !". Ou encore un patient, rendant visite à un voisin, s'entend dire : " Bon ben maintenant ça serait mieux que vous partiez parce que mes petits enfants vont arriver "
Chacune de ces 3 personnes a réagi de façon différente.
Bien souvent, sans qu'il y ait des réactions d'une telle agressivité, verbalisées, il y a une sorte d'effroi. Ainsi une patiente non brûlée hospitalisée longuement dans le service, me dit qu'il lui a fallu 6 ou 7 mois pour pouvoir approcher un patient brûlé gravement au visage, alors qu'elle a des contacts si faciles ; Ce qu'elle avait à l'esprit en le voyant c'est : " quest-ce qu'il a pu souffrir ! . Et j'imaginais ce feu dévorant, ce visage et ces mains". 2 ans après, je pouvais lui faire la bise et maintenant j e ne vois plus du tout les brûlés pareil "

Figure de l'inquiétante étrangeté, reprenons le mythe de la Méduse : l'effroi pétrifié

Méduse était l'une des trois Gorgones, trois monstres qui habitaient non loin du royaume des morts. Sa laideur tenait aux serpents grouillants qui entouraient son visage à la place des cheveux. Son regard était si perçant qu'il transformait en pierre quiconque osait affronter cette vision horrible et la regarder dans les yeux. Persée réussit à trancher la tête de Méduse en utilisant une ruse. Pour éviter d'être pétrifié par son regard, il s'approcha d'elle, se servant de son bouclier poli comme d'un miroir. Si bien qu'il parvint à s'emparer de la tête de Méduse qui lui servira de trophée permettant d'éloigner ses ennemis. L'effroi qu'inspire Méduse est lié à l'angoisse de castration comme le souligne Freud. Mais la monstruosité de la Gorgone joue également sur les interférences entre l'humain et le bestial, le masculin et le féminin, le beau et le laid. Ce mélange inquiétant suscite un effroi lié à ce qui est informe ou évoque la mort et l'altérité. Pour la brûlure il est arrivé que des patients nous parlent de leur " peau de serpent " ou encore une patiente me disait à propos du lambeau sur sa main : " ça me fait penser à une grosse limace que j'aurai, posé sur la main ".

Les catégories rationnelles de la pensée s'effondrent et la pensée magique refait surface. Pour parer à cette situation, un clivage s'opère dans le fonctionnement du moi entre la pensée rationnelle et la pensée magique qui co-existent en s'ignorant, le fantastique devient réel. Il y a mise en relation brutale d'une perception interne avec un fantasme refoulé. Cette collusion fait vaciller les différenciations du sens commun, le même et l'autre, la vie et la mort, les frontières entre l'organique et le psychique chancellent dangereusement.
Le regard que l'on porte sur un être " anormal " a une force agressive : Persée décapite méduse en se servant du miroir pour renvoyer au monstre son propre visage fascinant. L'anomalie blesse le regard et dès lors le regard blessé se veut blessant.
C'est ce mécanisme qu'avait très bien compris ce patient dont je parlais plus haut, qui, à l'arrêt du bus s'était vu adresser ces paroles terribles, radicales, témoignant d'un véritable clivage " les gens se font une histoire, ils sont dans l'imaginaire, si je ne dis rien, alors c'est malsain et donc je leur parle, je trouve bien quand ils viennent me demander, ça pose une question, ils s'interrogent et j'aime leur répondre ". La parole humaine vient là ainsi rompre le sortilège maléfique et l'effroi, les repères humains se remettent en place.
Mais pour en arriver là, il faut souvent du temps. Pour ce patient cela faisait 9 ans qu'il avait eu son accident. Il va très bien et a reconstruit sa vie de façon très satisfaisante malgré ses séquelles importantes. Tandis que ce patient dont le voisin lui disait de partir parce que ces petits enfants arrivaient, c'était son premier séj our chez lui, et cela a suscité un mouvement dépressif, d'autant plus important que cela correspondait déjà à une problématique personnelle sous jacente. Le fait qu'il ait été capable d'en parler lui a permis, dans un premier temps, de pouvoir surmonter cette blessure. Mais les soins ne sont pas terminés et il est encore très fragilisé.
Je voudrais insister également sur la difficulté rencontrée par les femmes auxquelles on a été obligé de raser les cheveux : elles sont confrontées, dans les premiers mois, à une difficulté supplémentaire dans le regard des autres qui touche à une problématique identificatoire : quand une jeune fille est prise pour un garçon ou qu'une femme entend qu'on lui dit " Bonj our Monsieur ". Le choc est touj ours important.

D'autres mythes ou Contes nous aident à réfléchir à ces problématiques

en danger les frontières entre l'humain et le bestial. Cela correspond également au témoignage de patients qui avaient, pour des raisons neurologiques, des mouvements incontrôlés, ou des sourds conversant en langue des signes (par le passé cette langue a été interdite) ou une patiente dont le corps est déformé par la polyarthrite rhumatoïde. Ces patients, comme les brûlés, peuvent être confrontés à ce rejet dû au fait qu'à ne voir que l'enveloppe on oublie le vrai visage de l'autre. Dans ces signes trompeurs, l'autre ne sait plus entendre un message humain et reste désemparé. Apparaît alors la crainte de voir en miroir chez cet autre atteint d'une anormalité, les forces obscures qui ne nous sont pas étrangères.

Avec le conte du vilain petit canard d'Andersen nous sommes dans ces maléfices du miroir avec un problème d'identification au même.
En effet le suj et atteint dans les parties visibles de son corps peut-être dans un lien de soumission aliénante au regard de l'autre, le regard de l'autre peut opérer comme un miroir maléfique, dont l'effet est destructeur et mortifère, lorsque le sujet, tel Narcisse, se noie dans un reflet au lieu de le constituer en objet interne. Narcisse n'est pas mort de s'être perdu dans le miroir d'une fontaine en Grèce en prenant son reflet pour son corps réel [ 1].

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La connaissance de soi nest pas une donnée immédiate. Il s'agit d'une construction graduelle (Zazzo) [ 2] et le brûlé a tout ce travail de reconnaissance et de reconstruction intérieur à refaire, alors que son visage met un grand moment a se stabiliser.

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Conclusion

Comme le vilain petit Canard, le patient brûlé peut se sentir dans la solitude étrange de celui qui n'a pas de semblable. Ce patient qui avait décidé d'adresser la parole aux gens qui le regardait a su et a pu renouer le lien humain : " Pour ne pas rester exilé sur le seuil entre le non être, le nulle part, flottant entre deux mondes ". Comme le formule Charles Gardou [ 3].


Summary
Of what is made this terror which is very often transformed into aggressiveness for those who cross the burned seriously reached with the face? The psychoanalysis and the myths will light us in this field and we let ourselves guide in this reflexion by the book of Simone Korff " of OEdipe with Frankenstein " figures of the handicap April 2001.


Key words : burn, face, psychoanalysis.



Références

  1. Racamier P-C (1992) Le génies des origines Psychanalyse et Psychoses, Paris, Payot.
  2. R Zazzo : reflets de miroir et autres doubles Paris PUF 1993.
  3. Gardou C (1997) " les personnes handicapées exilées sur le seuil " revue Européenne du handicap mental, dialogues.

Lectures proposées

  1. Freud 5.(1919) : "l'inquiétante étrangeté", L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1980.
  2. Freud S. (1922) : "la tête de méduse", Résultats, idées et problèmes 1l, Paris, P.U.F
  3. Vernant J-P 1985 : "la mort dans les yeux, Paris, Hachette Roudevitch. M. 1995 : "j'ai sur mon corps un masque" contraste n°3, 1995 : n°172-1844
  4. Simone Korff - Sausse.G d' Oedipe à Frankenstein. Figures du Handicap, avril 2001, chez Desclée de Bouver et Le miroir brisé : l'enfant handicapé, sa famille et la Psychanalyse. Calmam -Levy 1996
  5. Winnicott D.W., "le rôle de miroir de la mère et la famille" : jeu et réalité, Paris, Gallimard 1971
  6. Gardou.C. 1997, "les personnes handicapées exilées sur le seuil", revue européenne du handicap mental, Dialogues p.6-17
  7. R.Zazzo : reflets de miroir et autres doubles - Paris Puf 1993
  8. Canguilhem G (1943-1966) : Essais sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, Paris P.U.F, coil "Quadrige" 1991