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vol = 3
number = 3
prevlink = 143
titolo = "REVIVRE APRÈS LA BRÛLURE
PERTURBATION DES RELATIONS PARENTS-ENFANTS.
FANTASME DU PARENT MALTRAITANT DANS L'ACCIDENT DE L'ENFANT BRÛLÉ."
data_pubblicazione = "Nov 2002"
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RÉSUMÉ.
Ce texte aborde comment la culpabilité des parents peut contaminer et pervertir la relation avec leur enfant gravement brûlé. Nous verrons l'importance d'affronter cette culpabilité au travers d'un exemple clinique qui éclaire de manière positive ce postulat que les enfants ont besoin de parents qui se réapproprient leur légitimité de parent quand ils pensent l'avoir perdue.
Mots clés : brûlure, enfant, psychologie.
Particulièrement intéressée par les relations familiales, cela fait une quinzaine d'années que j e travaille auprès d'enfants et leurs familles. Depuis un an, je travaille à Romans Ferrari dans le service des brûlés et donc, c'est avec un certain regard extérieur que je m'interroge. Les premières remarques que j'ai entendues de la part des parents que j'ai reçus ont été leurs plaintes et leur désarroi quand ils disaient "mon enfant devient méchant" pour les plus grands et chez les parents de plus j eunes enfants "on n'y arrive plus", venant chercher de l'aide auprès du psychologue. C'est comme si les parents se plaignaient de maltraitance de leur enfant à leur égard. Ces enfants sont généralement très gravement brûlés, à plus de 30% de la surface corporelle. Les parents se faisant malmener par leur enfant : on entend bien là une culpabilité présente et tellement lourde à porter que le sentiment d'agression s'est inverse. Avant d'aller plus loin dans la réflexion, je voudrais faire quelques rappels :
a) Pour Juan-David Nasio,
La douleur corporelle est une brèche, une rupture, une effraction de la limite protectrice du moi. Cette effraction est provoquée par un accident externe, par exemple la brûlure[1].
le trauma veut dire "qu'il y a un impact démesuré pour un corps, un élément ou un être qui n'arrive pas à l'assimiler, c'est trop important pour qu'il l'intègre" [2]. Lors de la douleur, le moi est en état de trauma parce qu'il n'arrive pas à assimiler cette entrée massive d'énergie, il n'arrive pas à l'intégrer, à concilier avec elle. "Cette idée de conciliation, d'intégration, d'assimilation, ajoute-t-il, est tout le temps présente dans l'oeuvre de Freud, toute la théorie de l'inconscient est basée sur cette idée de choses qui ne sont pas conciliables avec nous-mêmes" [3].
b) La douleur
chez l'enfant est toujours accompagnée par un fort sentiment d'être puni. En dehors du contexte de la maladie sévère, le pent enfant expérimente le plus souvent la douleur lorsqu'il méconnaît les limites de son propre corps (se couper), la limite du possible lorsqu'il s'essaie à de nouveaux exploits ( par exemple, tomber en grimpant sur un tabouret), quand il défie l'autorité parentale. Autant d'actes inscrits dans l'identification ou la rivalité. D'ailleurs les parents sont souvent convaincus que leur enfant n'agit pas dans le cadre de la normalité mais dans celui des "bêtises", la répression devenant alors l'unique forme de prévention[4].
Il existe des accidents purement dus au hasard, il y a aussi la maltraitance avérée. Je vais aujourd'hui parler des accidents qui sont justement la conséquence d'un compromis, que l'on peut ranger parmi les actes manqués. L'accident grave, tel que la brûlure, chez un enfant est souvent en lien avec un défaut de vigilance de l'adulte, une mauvaise évaluation de la situation dans laquelle se trouve l'enfant, et donc une impossibilité de prévenir l'accident.
Lorsque j'évoque l'idée de fantasme de maltraitance, je touche bien là quelque chose de l'ordre de l'inconscient, du non-conscient.
Il s'agit bien souvent d'un compromis entre les pulsions hétéro-agressives et le désir d'autopunition qui les accompagne. Pour l'adolescent, il est aux prises avec des pulsions contradictoires qu'il n'arrive pas à gérer. C'est souvent chez lui un compromis entre le désir de mort et le désir de vie, de maîtrise de soimême et des éléments. Chez le petit enfant, peut-on parler là aussi d'actes manqués ? Il faut reconnaître le rapport étroit entre l'enfant et l'inconscient parental. On entend souvent les mères dire : "il m'a fait un accident, une bêtise, une maladie". L'accident de l'enfant peut être compris, décodé comme acte manqué du parent (et bien souvent de la mère qui est bien plus présente auprès de l'enfant). C'est sa culpabilité, ce sont ses conflits intrapsychiques qui peuvent aboutir à un accident de son enfant[5].
Nous pouvons donc penser que, lors d'un accident domestique qui entraîne la brûlure grave chez l'enfant, ce fantasme d'être un ou des parents) maltraitant(s) est là en toile de fond, bien présent.
Ce traumatisme narcissique familial entraîne inévitablement des perturbations dans la relation entre l'enfant et ses parents et plus largement dans les relations familiales.
Pour pouvoir revivre après la brûlure dans des relations acceptables pour chacun des membres de la famille et particulièrement entre l'enfant et ses parents, il semble incontournable d'aborder cette notion de culpabilité. J'ai de nombreux exemples au centre de Romans oû lorsque l'état de crise est passé (j'entends par état de crise, le temps qu'il faut pour mettre en place le protocole de soins et lorsque l'enfant est installé au centre, avec le taxi, le VSL mis en place), à ce moment, on propose des rendez-vous pour rencontrer les parents... mais pour certains d'entre eux, c'est si difficile de parler que la rencontre avec le psychologue n'arrive pas à se faire.
Du côté de l'enfant, il y a le sentiment d'avoir subi un préjudice irréparable à jamais et du côté des parents d'avoir commis sur l'enfant une faute irréparable. Les contraintes et la durée des soins pouvant s'étaler sur plusieurs années, voire au-delà de la fin de la croissance de l'enfant, sont là en permanence pour rappeler et raviver le traumatisme.
Le parent se sent maltraitant sur le plan fantasmatique et il va avoir du mal à poser les interdits à l'enfant, à lui faire supporter les frustrations liées aux contraintes de la vie quotidienne. La relation est contaminée par la culpabilité, ce qui la pervertit.
Le parent se sent tellement coupable que sa culpabilité le sidère face aux actes. L'enfant n'est plus reconnu pour luimême mais seulement comme corps souffrant. Pourtant l'enfant pour se structurer a besoin des limites que lui posent ses parents et si elles n'y sont pas, il va faire monter les enchères. Il cherche ainsi quelqu'un qui le contienne, qui le sécurise et qui se considère comme son parent car l'enfant a toujours besoin de lui. C'est là que les parents nous disent que leur enfant est devenu méchant et qu'ils ne savent plus comment reprendre un contact vrai avec lui. En fait, dans l'accident, l'enfant a aussi perdu ses parents, ceux qui tiennent à lui en lui mettant des limites bienveillantes. Il faut donc que les parents se réap proprient cette légitimité de parent qu'ils croient avoir perdue dans l'accident.
Il va donc sans dire qu'à côté des soins physiques apportés pour soigner le corps il sera incontournable pour l'enfant et sa famille qu'on prenne en compte le traumatisme psychique lié à l'accident et qu'on veille aux relations familiales en aidant la famille au maintien et /ou à la restauration des liens avec leur enfant.
Je souhaite terminer sur un exemple clinique qui montre qu'une culpabilité reconnue et acceptée par le parent permet aux relations parents-enfants de se vivre de manière structurante pour chacun.
La semaine dernière j'ai rencontré, à sa demande, une maman et sa petite fille de deux ans et demi. La mère était soucieuse car sa petite fille, jusque-là épanouie et indépendante, s'exprimant facilement, n'arrivait pas à parler de leur accident, restait collée à elle, était devenue très phobique dès qu'elle voyait une allumette s'enflammer et refusait complètement le biberon (l'accident était arrivé lors de la préparation de son biberon). Sans donner ici en détail les circonstances de l'accident car ce n'est pas le sujet, cette j eune femme a pu parler de sa réaction au moment où le feu prenait dans leur tente de camping. Après avoir jeté sa femme dehors pour la mettre hors des flammes, c'est son mari qui est allé chercher les enfants dans le feu et elle s'est dit qu'elle n'aurait jamais pu traverser les flammes. Elle s'est sentie coupable et s'est même dit qu'en pensant cela elle était une mauvaise mère... Ensuite elle a pu en parler à une de ses amies. Lors de l'entretien, bien que cela reste encore tout proche et traumatique (elle a encore besoin d'en parler), j'ai vu une femme au clair avec ses sentiments de culpabilité... elle a élaboré, pensé à cela sans se laisser envahir par cette culpabilité. Elle accepte cela comme : "Eh bien, je suis comme ça, ça ne m'empêche pas d'aimer ma fille, mes enfants." C'est justement cela qui est important, reconnaître et accepter ses limites : cela nous permet de rester nous-même et de ne pas pervertir nos sentiments. En ayant reconnu ce qu'elle ressentait, en ayant mis en mots cette culpabilité, cela lui permet de se remettre et on peut même dire rester en relation avec ses enfants à bonne distance, ce qui lui permet d'être à leur écoute. Elle les autorise aussi à ressentir des choses différentes d'avant l'accident, à être différents sans leur renvoyer de la culpabilité.
J'ai vraiment le sentiment que cette maman en lien avec sa fille ne souffre pas démesurément pour elle, elle ne lui prend pas sa place mais tente d'offrir à sa fille un espace afro qu'elle puisse élaborer ce qui s'est passé. Winnicott aurait parlé d'une mère suffisamment bonne. Je pense que cette dame est venue me voir aussi pour obtenir de la réassurance par rapport à ce qu'elle ressentait au fond d'elle-même, et venir chercher un repère par rapport à sa culpabilité. C' a st vraiment un exemple qui éclaire de manière positive le sujet que j'expose aujourd'hui.
Pour l'enfant, il est primordial qu'il sente que ses parents ne sont pas détruits par ce qui lui arrive afin de pouvoir travailler sur sa propre souffrance psychique car il a besoin de parents solides pour affronter cela. Il ne pourra l'entreprendre seulement s'il sait ses parents suffisamment fort, sinon il va protéger ses parents en restant figer dans ce qui vient d'arriver. C'est pour cela qu'il est indispensable de réparer, restaurer les liens enfantsparents. Et dans cet exemple, on voit bien comment la maman est prête à aider sa fille. Elle arrive semble-t-il à faire la part de ce qui lui appartient et de ce qui appartient à sa propre fille.
Summary
This text approaches how the culpability of the parents can seriously contaminate and pervert the relation with their burned child. We will see the importance to face this culpability through clinical example which clarifies in a positive way this postulate that children need parents who appropriate their legitimacy of relative when they think of having lost it.
Key words : burn, child, psychology.