% vol = 7 number = 2 prevlink = 52 titolo = "LES REVES DES PATIENTS BRULES" data_pubblicazione = "Mai 2005" header titolo %>
RÉSUMÉ.
Véritable expérience des limites, la brûlure engendre des conséquences dévastatrices tant sur le plan physique que psychique et plonge le patient dans un état de vulnérabilité narcissique importante. Pour survivre au choc de la " mauvaise rencontre ", le brûlé va mener un combat acharné pour reprendre ou garder pied dans la vie. Les rêves post-traumatiques et répétitifs, décrits dans la littérature, semblent représenter pour certains auteurs, les témoins de cette lutte. Nous nous sommes donc attachée à étudier la vie onirique des patients brûlés afin de mieux comprendre le sens et la fonction de ces rêves. Nous avons postulé que le sommeil des brûlés était régulièrement envahi par des rêves effrayants voire traumatisants et ce, dans le but d'une meilleure intégration du traumatisme de la rencontre avec le feu. L'analyse de la vie onirique de 6 sujets a démontré que leurs rêves, bien qu'ils ne soient pas répétitifs et pas forcément en rapport avec leur accident, sont un moyen, parmi tant d'autres, que leur Moi se donne pour élaborer l'effraction subie et parfois même des traumatismes bien plus anciens. Toutefois, nous avons remarqué que leurs productions oniriques permettaient de rendre compte du travail psychique à l'oeuvre et pouvait présager des mécanismes de défense mis en place par ces " handicapés de l'image " [Tisseron ].[1]
Mots clés : Brûlure, Rêves post-traumatiques, Image, Tentative d'intégration du traumatisme.
" L'homme se colle aux images pour entendre le bruit de l'humain " Serge Tisseron.
Notre stage au sein d'un service de rééducation de grands brûlés nous a permis de constater que la brûlure avec ses conséquences dévastatrices tant sur le plan physique que psychique représente un exemple type de traumatisme psychologique. En effet, après la rencontre " explosive " avec la menace de mort qui ébranle une première fois ses défenses internes, le brûlé doit encore faire face à la douleur des soins et aux éventuelles séquelles physiques (esthétiques et/ou fonctionnelles) et sociales, constituant une seconde effraction de son appareil psychique. Pour survivre à ce choc traumatique, le brûlé, comme beaucoup de traumatisés, va mener un combat acharné, souvent inconscient, pour reprendre ou garder pied dans la vie. Nous avons postulé que les rêves après le trauma étaient les témoins de cette lutte.
Partant de cette hypothèse, nous avons centré notre attention sur les diverses productions oniriques posttraumatiques de patients brûlés afin de nous aider à mieux comprendre le but ou la fonction de ces rêves.
La rencontre avec le feu ne peut jamais être considérée comme anodine ; elle constitue un double traumatisme.
Le feu suscite une pluralité de représentations aussi diverses qu'antagonistes : il est à la fois symbole de lumière et de purification, mais il est aussi destructeur. Il fascine et dans le même temps effraie, il attire et fait fuir, réchauffe mais peut brûler. Ainsi, le feu représente la vie mais aussi la mort, la haine mais aussi l'amour, la destruction mais aussi la renaissance. De ce fait, la rencontre " fusionnelle " avec le feu ne peut être considérée comme une rencontre insignifiante, les conséquences d'une telle confrontation engendrant, malheureusement des dommages, la plupart du temps irréversibles, tant sur le plan physique que psychologique. Ce rendez-vous inattendu peut alors constituer un traumatisme majeur pour l'individu.
Véritable expérience des limites, la brûlure entraîne une désorganisation psychique dans le même temps qu'elle met en péril son pronostic vital. Confrontés à un événement inattendu, à la " mauvaise rencontre ", les patients brûlés sont tous sous le coup d'un choc qui a anéanti leurs défenses habituelles. On retrouve toutes les caractéristiques du traumatisme tel qu'il a été décrit par Freud et Ferenczi : la soudaineté, la non-préparation face à ce qui, faisant effraction et mettant en échec la capacité de symbolisation du sujet, est de l'ordre de l'indicible et provoque l'effroi, la sidération et la fragmentation du Moi. La brûlure constitue un réel traumatisme, dans la mesure où elle déborde les capacités du Moi à l'intégrer dans le tissu psychique. Elle plonge le sujet dans un état de vulnérabilité narcissique importante. De plus, son inscription cutanée va donner corps à quelque chose d'impensable, de l'ordre de l'horreur. Dans la brûlure, le Moipeau privé de son étayage corporel présente un certain nombre de défaillances auxquelles, selon Anzieu [2], il serait toutefois " possible de remédier en partie par des moyens psychigues ". Nous supposons que le rêve pourrait constituer un recours possible. En effet, selon cet auteur, " le rêve nocturne retisse la nuit ce qui du Moi-peau s'est défait le jour sous l'impact des stimuli exogènes et endogènes ". La pellicule du rêve tenterait donc de remplacer l'enveloppe tactile défaillante par une enveloppe visuelle plus mince, plus frêle mais donc plus sensible.
Comment le psychisme réagit-il face à la " mauvaise rencontre " ?
Le psychisme peut répondre à toute situation nouvelle par deux attitudes opposées. La première est l'introjection : les expériences sensorielles, affectives, motrices et fantasmatiques provoquées par la situation sont intégrées aux expériences précédentes du sujet et contribuent à l'enrichissement de sa personnalité. La seconde est l'inclusion psychique : les nouvelles expériences se regroupent et constituent une sorte de corps étranger au sein du psychisme ; celui-ci est alors contraint de fonctionner de manière partiellement clivé. Ce type de mécanisme comporte le risque d'un blocage de la pensée et de l'affectivité et peut être à l'origine de pensées, de rêves, d'émotions et de comportements qui paraissent échapper au sujet.
Dans le cas des rêves, l'image va fonctionner comme un lien psychique. L'iconique, en construisant un lien entre le corps et les mots, va donner à l'image un statut d'intermédiaire : entre la perception du réel et le mot qui tente de le traduire, entre le geste et la parole. " Les images sont la voie privilégiée que l'être humain s'est donné pour explorer la non-coincidence entre le monde réel et le monde des représentations " [Tisseron] . [ 1 ]
La pellicule du rêve aurait une fonction de réparation du Moi-peau
L'écran du rêve, comme l'image, représente, pour Pontalis, à la fois une surface de projection mais aussi une surface de protection. " L'homme qui dort trouve dans l'écran la mince pellicule qui le garantit contre le trop d'excitations " [3].
Anzieu reprend cette dernière considération et avance l'idée que les trous produits dans le Moi-Peau seraient transposés, par le travail de la représentation, en lieux scéniques où pourraient alors se dérouler les scénarios du rêve. Les trous seraient ainsi colmatés par une pellicule d'images, essentiellement visuelles. Ainsi, le rêve posséderait, d'une part, une fonction vitale de reconstruction quotidienne de l'enveloppe psychique et constituerait, d'autre part, un pare-excitation qui recouvre le psychisme du dormeur. Cette enveloppe est éphémère (elle ne dure que le temps du rêve) et peut se rompre à tout moment (d'où le réveil angoissé).
Cependant, pour qu'il y ait intégration et transformation des éléments externes non métabolisés par le Moi, le rêve doit se produire dans un espace psychique qui assure les fonctions d'un contenant et d'une enveloppe. Or il semble que ces deux fonctions aient été mises à mal dans la brûlure.
Du point de vue clinique
Au cours de cette recherche, nous avons tout d'abord été décontenancée par l'absence de rêves post-traumatiques re'pétitifs tels qu'ils sont décrits dans la littérature dans pareille situation. Puis, progressivement, nous avons pris conscience que ce qui transparaissait à travers l'analyse de chaque cas, était que les rêves après l'accident constituaient une solution proposée à chacun pour tenter de symboliser les pulsions et les conflits latents mais aussi l'expérience traumatique. Nous avons pu remarquer que les patients rencontrés pouvaient être regroupés en deux groupes:
- Ceux pour qui les rêves fonctionnent effectivement comme de véritables opérateurs de liaison psychique permettant ainsi de faire advenir sur la scène onirique et donc à la conscience des conflits actuels et passés.
- Ceux pour qui l'absence ou la quasi-absence de rêves vient signifier un refus d'intégration des expériences, une sorte de blocage de la dynamique psychique inconsciente. L'analyse des rêves post-traumatiques (entendons après l'accident traumatique) du premier groupe témoigne d'une réactualisation ou d'une mise en évidence des problématiques anciennes ou actuelles des sujets.
En effet, il existe une pulsion innée, puissante et réelle à vouloir donner sens à nos expériences, spécialement celles qui nous semblent arbitraires. Dans cette lutte pour donner sens à l'événement catastrophique, nous l'associons à ce qui est déjà familier, ou à ce qui lui ressemble par certains aspects importants. Ce processus, lié à ce que Freud appelait " liaison ", est en partie responsable de cette tendance fréquemment rencontrée dans la réponse au traumatisme. Le traumatisme du présent sera lié aux relations troublées ainsi qu'aux événements perturbants du passé et redonnera vie à des problèmes anciens ou enterrés qui avaient été, jusqu'alors, plus ou moins gérables. Ainsi, le trauma en rendant les sujets plus vulnérables et plus sensibles aux excitations internes et externes donne une vie nouvelle aux angoisses et aux pulsions primitives qui resurgissent brutalement. Ceci peut s'expliquer par le fait que le traumatisme réquisitionne une partie de l'énergie déjà liée dans les systèmes de fonctionnement pour contre-investir la menace. L'équilibre nécessaire entre les pulsions refoulées et les forces refoulantes se trouve alors bouleversé et il n'est pas rare de voir réapparaître différentes angoisses, comme par exemple l'angoisse de castration, d'abandon, d'impuissance, de mort.
En ce qui concerne le second groupe, nous avons remarqué un rétrécissement de la fonctionnalité du Moi qui est venu appauvrir de manière impressionnante les rêves et les associations. En effet, lors de situations qui introduisent le danger d'un bouleversement de l'homéostase psychique, la mobilité est mise en question puisque le fonctionnement mental devient peu discriminatif ; la figurabilité est menacée, la liaison des affects aux représentations se maintient mal, celle entre représentations de choses et représentations de mots apparaît comme bloquée. Cette résistance du Moi a comme résultat le fléchissement du niveau de l'activité mentale et l'aplatissement des capacités représentatives et associatives. L'activité onirique est quasi réduite au silence et le désinvestissement relationnel envahit la scène transférentielle. Ainsi, si l'inconscient dynamique ne produit que pauvrement, c'est parce qu'il est dans ces cas sous la contrainte d'une économie libidinale en perte de sa mobilité. On assiste alors à un blocage des intériorisations, des représentations et des affects.
Que nous enseigne cette recherche ?
D'une part, nous avons constaté, contrairement à ce que nous avions prévu au préalable, que le traumatisme de la brûlure n'avait pas forcément d'incidence sur la vie onirique des patients brûlés pendant leur séjour dans un centre de rééducation. Les mêmes causes n'ont, en effet, pas les mêmes conséquences traumatiques selon les individus chacun y réagit non seulement en fonction de l'état de nonpréparation et de passivité où il se trouve au moment de l'événement, mais aussi suivant sa propre histoire et ce qui l'a constituée.
D'autre part, nous avons remarqué que ce n'était pas tant le rêve en lui-même qui importait mais plutôt le fait de créer des narrations qui pouvaient donner corps aux émotions afro de les rendre conscientes et métabolisables au cours de la vie diurne. Ce n'est donc pas tant le rêve et son récit qui comptent, mais le fait de saisir les émotions qui sont en amont. Ainsi, ce sont les " dérivés narratifs " de l'activité onirique qui permettent de s'approcher de la vérité émotionnelle du patient.
L'essentiel serait donc, pour un psychologue confronté à ce genre de problématiques traumatiques, de travailler sur la mise en mots de ce que le patient a été capable de transformer en " pictogrammes visuels ", même s'il a perdu le contact avec ce qui les a engendrés. La possibilité de verbalisation et de réengagement dans la symbolisation constitue l'un des facteurs de prévention d'une névrose traumatique.
Il s'agit donc de proposer un premier contenant à une souf france psychique traumatique pour des sujets qui sont en détresse et qui n'expriment pas véritablement de demande. L'enjeu du travail avec les patients " traumatisés " est de favoriser l'accès à la symbolisation, c'est-à-dire de réorganiser leur fonctionnement mental sous le signe de l'efficience symbolique.
Il faut retenir du traumatisme psychique la singularité de la rencontre et la pluralité du devenir. Chacun trouve à y répondre à sa manière. Celle-ci dépend de la position que prend le sujet à l'endroit des effets de la rencontre. Cette confrontation peut parfois réaliser des tableaux cliniques variés. Il est important de reconnaître que l'événement n'est traumatique pour un suj et que dans sa portée accidentelle. C'est cette part d'incalculable pour l'un qui fait que les conséquences ne seront pas identiques pour tous les sujets soumis à un même événement. Aussi, nest-ce pas tant la dimension quantifiable de l'événement que sa singularité pour celui qui s'y trouve confronté qui est déterminante. Le traumatisme intervient toujours sur les fondements d'une histoire et d'un inconscient et son destin psychique ne prend sens qu'au regard d'une singularité.
Summary
Real experience of limits, burn engenders devastating consequences as much on the physical plan than psychic plan and plunge the patient into an important narcissistic vulnerability state. To survive the shock of the " bad meeting ", burned patient is going to lead a great fight to start again or to keep foot in the life. Post-traumatic and repetitive dreams, described in the literature, seem to represent for certain authors, the witnesses of this fight.
So we attempted to study the dream life of burned patients to understand sense and function of these dreams. We postulated that the sleep of the patient was regularly invaded by terrible dreams even traumatisants with the aim of a better integration of the traumatism of the meeting with the fire. The analysis of the dream life of 6 subjects demonstrated that their dreams, although they are not repetitive and not necessarily in touch with their accident, are a mean, among so many others, to elaborate undergone burglary and sometimes some more former traumatism. However, we noticed that their dream productions allowed to realize the psychic work and could augur mechanisms of defence set up by these " handicapped persons of the image " [Tisseron (1)].
Key words : burn, post-traumatic dream, dream, psychic work.
Correspondance:
*Stagiaire dans le service du Dr Goudet-Lunel de la Tour de Gassies